Nathalie Delebois et Gwladys Costant, co-présidentes de la Federation for recruitment, search & selection (FR2S), expliquent les défis du recrutement des profils spécialisés dans le regulatory et la compliance. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Nathalie Delebois et Gwladys Costant, co-présidentes de la Federation for recruitment, search & selection (FR2S), expliquent les défis du recrutement des profils spécialisés dans le regulatory et la compliance. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Dans un contexte réglementaire se complexifiant, trouver des talents dans les domaines de la compliance et du regulatory devient de plus en plus difficile. Gwladys Costant et Nathalie Delebois, co-présidentes de la Federation for recruitment, search & selection (FR2S), décrivent l’état du marché.

Quels sont les besoins dans les métiers «Regulatory & Compliance»? Comment évoluent-ils?

Nathalie Delebois. – «La demande pour ces fonctions augmente de manière exponentielle. Il y a plusieurs raisons à cela: le renforcement des règles internationales, l’augmentation de l’exigence de transparence et d’intégrité des marchés, la protection des investisseurs et des consommateurs… Tous ces paramètres poussent le régulateur luxembourgeois à légiférer et à augmenter les contrôles en la matière. Pour faire face à ces nouvelles exigences, les entreprises doivent renforcer leurs équipes regulatory et compliance. Selon la FR2S, il y a peu de chance que la situation se stabilise rapidement.

. – «Le problème de pénurie de talents en regulatory et compliance s’est accentué ces dernières années. La CSSF a intensifié ses contrôles afin de renforcer la transparence de la place financière luxembourgeoise et, en conséquence, la demande en compétences a fortement augmenté. Le volume d’opportunités d’emplois est supérieur au nombre de candidats qualifiés disponibles sur le marché. Les derniers contrôles du GAFI (Groupe d’action financière) au Luxembourg donneront aussi le ton sur les futures tendances dans ce domaine.

Le volume d’opportunités d’emplois est supérieur au nombre de candidats qualifiés disponibles sur le marché.
Gwladys Costant

Gwladys Costantco-présidenteFederation for recruitment, search & selection (FR2S)

Quels sont les profils les plus recherchés?

G.C. – «Dans l’ensemble, la demande concerne l’ensemble des fonctions de compliance, qu’il s’agisse de rôles opérationnels en matière de reportings réglementaires PRIIPS (Packaged Retail Investment and Insurance-based Products), AIFMD (Alternative Investment Fund Manager Directive) et de lutte contre le blanchiment d’argent (AML), ou plus stratégiques comme des Responsables conformité ou Chief compliance officers. Tous les secteurs sont touchés par le manque de candidats: banque, assurance, sociétés de gestion, cabinets de conseil et même la CSSF qui absorbe de nombreuses ressources qualifiées. Des demandes de profils plus axés ESG et IT Compliance commencent à émerger.

La cybersécurité ou encore la conformité réglementaire en matière de gestion et de protection des données sont définitivement devenues des sujets de premier plan et elles s’accompagnent d’un grand nombre d’obligations légales et de directives internes, notamment liées à l’IT. Des profils en détection de la fraude et de la corruption (forensic) sont aussi de plus en plus recherchés au Luxembourg. La bonne nouvelle est que nos clients valorisent l’expérience pour ces métiers. Par conséquent, nous pouvons présenter des candidats qui ne sont pas considérés comme trop seniors à 45 ans.

Au-delà du renforcement des exigences réglementaires, qu’est-ce qui explique la pénurie actuelle?

N.D. – «Les recruteurs ont énormément de mal à trouver des candidats pour ces postes, car il n’y a tout simplement pas assez de personnes formées et compétentes pour répondre à la demande. Les profils spécialisés présents sur le marché sont sollicités en permanence et de moins en moins disposés à répondre aux différentes offres d’emploi, ce qu’on peut comprendre. L’autre difficulté rencontrée est que la plupart des profils recherchés doivent avoir une connaissance des réglementations locales et donc une expérience au Luxembourg, ce qui limite fortement le réservoir de candidats potentiels.

Les profils spécialisés présents sur le marché sont sollicités en permanence et de moins en moins disposés à répondre aux différentes offres d’emploi.
Nathalie Delebois

Nathalie Deleboisco-présidenteFederation for recruitment, search & selection (FR2S)

La problématique du recrutement en conformité est qu’elle n’est pas ‘juste’ luxembourgeoise. L’ensemble des places financières européennes sont confrontées à cette pénurie, compte tenu des réglementations en place. La solution n’est donc pas d’aller chercher des candidats dans d’autres pays, ces derniers se battant eux-mêmes pour préserver leur réservoir de talents, mais bien de transformer les compétences au niveau local. Trop souvent, les candidats qui se ‘reconvertissent’ trouvent peu d’employeurs enclins à les engager, car ils n’ont pas encore l’expérience du terrain. Il leur est recommandé d’aller ‘faire leurs armes ailleurs’ et de revenir ensuite.

La volonté des entreprises de recruter des candidats opérationnels, capables de délivrer à court terme, est encore plus marquée pour ces fonctions. Il serait donc intéressant de mieux valoriser l’offre de formation existante, notamment les certifications développées par l’ALCO, l’Association luxembourgeoise des compliance officer, de façon à permettre à un plus grand nombre de candidats de maîtriser rapidement les compétences nécessaires.

Les salaires flambent sur ce type de fonction, avec des négociations salariales pouvant aller jusque +30%.
Gwladys Costant

Gwladys Costantco-présidenteFederation for recruitment, search & selection (FR2S)

Quel impact le manque de talents a-t-il sur les salaires et les coûts de la compliance?

G.C. – «Les salaires flambent sur ce type de fonction, avec des négociations salariales pouvant aller jusque +30%. Les entreprises ont dès lors tendance à recruter des profils plus juniors pour limiter leurs coûts. Il n’est pas rare de voir des annonces de conducting officers exigeant seulement 5 à 7 ans d’expérience. Ces frais de personnel plus élevés entrainent une érosion de la profitabilité des entreprises. Ces dernières peuvent alors se poser la question d’onshorer, de faire ainsi appel à un prestataire externe situé dans le pays, voire d’offshorer. Cette deuxième option implique la création d’une entité juridique dans un autre pays, afin de disposer de ressources à un coût peut-être moins élevé. Cette réflexion ne s’applique qu’à certaines fonctions, lorsque cela est autorisé par la CSSF.

La digitalisation des processus de compliance au sein des entreprises, surtout dans les secteurs réglementés, tend à s’intensifier.
Nathalie Delebois

Nathalie Deleboisco-présidenteFederation for recruitment, search & selection (FR2S)

Avec l’évolution réglementaire et l’intégration de la technologie dans le domaine de la compliance, comment vont évoluer les profils dans ce secteur? Comment les compétences doivent-elles s’adapter?

N.D. — «La digitalisation des processus de compliance au sein des entreprises, surtout dans les secteurs réglementés, tend à s’intensifier. À ce titre, les personnes travaillant dans ce domaine vont devoir se former à de nouveaux outils numériques.»

G.C. – «Au-delà des compétences en automatisation, qui sont demandées dans l’ensemble du secteur financier, il y a un aussi un enjeu au niveau de la gestion des données, qui est de plus en plus complexe. Surtout, il s’agit de développer les compétences soft des candidats, dont l’agilité et la capacité d’adaptation, les qualités d’analyse et la communication sont autant d’atouts pour les entreprises ainsi que pour le Grand-Duché lui-même.»