Carence – Le Luxembourg compte 3,5 médecins pour 1.000 habitants. (Photo: Shutterstock)

Carence – Le Luxembourg compte 3,5 médecins pour 1.000 habitants. (Photo: Shutterstock)

Un plan d’action pour réorganiser et repeupler un système de santé qui va droit dans le mur est devenu une urgence vitale pour le pays.

«Il y a certes un accord de coalition, mais il n’existe aucune loi de santé publique, et il n’est écrit nulle part la vision de ce qu’on veut comme organisation du système de soins dans 15 ans.» C’est à cette conclusion percutante qu’est parvenue Marie-Lise Lair, auteure de l’état des lieux des professions médicales et de santé commandé par le ministère de la Santé fin 2018. Un pavé de 688 pages issu de ses rencontres avec 647 personnes de 129 organisations au printemps 2019.

Effectifs réels, pyramide des âges, consultations, délais d’attente pour voir un spécialiste… La consultante, à laquelle on doit déjà l’audit sur les services d’urgences de 2017, a utilisé de nombreux critères pour estimer la démographie actuelle en évitant l’écueil des statistiques lacunaires présentées par le ministère ou la Caisse nationale de santé (CNS).

Car si le Luxembourg compte officiellement 2.481 médecins, seuls 2.088 s’avèrent véritablement disponibles pour les patients et facturent auprès de la CNS pour plus de 18.000 euros par an. Soit 3,5 médecins pour 1.000 habitants, alors que nos voisins se considèrent comme déjà en pénurie avec des ratios de 3,1 à 4 médecins pour 1.000 habitants.

«C’est la première fois qu’est objectivé ce que nous disons depuis plusieurs années», acquiesce le Dr Alain Schmit, président de l’Association des médecins et médecins-­dentistes (AMMD).

D’ici 2031, nous aurons perdu entre 59 et 71% des médecins.

Marie-Lise Lairconsultante dans le domaine des systèmes et services de santé

«D’ici 2031, nous aurons perdu entre 59 et 71% des médecins», selon qu’ils décident de partir à la retraite à 60 ou 65 ans, soulignait Mme Lair lors de la présentation de son rapport en octobre. Un chiffre inquiétant, d’autant plus que les plus de 60 ans pèsent pour 24,5% des prestations facturées à la CNS en 2017.

«Nous ne savions pas que ces médecins participent plus que proportionnellement à la santé des gens parce qu’ils travaillent encore plus que les autres, note M. Schmit. Nous sommes donc face à un double problème», puisqu’il faudra plus d’un jeune médecin pour remplacer un médecin à l’ancienne.

Le recrutement de la relève se heurte déjà aujourd’hui à un assèchement des bassins traditionnels de main-d’œuvre, la Grande Région et au-delà – sachant que la part de médecins luxembourgeois ne cesse de diminuer (51% parmi les généralistes et 48,9% parmi les spécialistes).

«Il faut que le système de santé et le pays soient attractifs, appuie M. Schmit. Notre enquête de satisfaction [au printemps dernier] a livré un verdict sévère parmi les praticiens hospitaliers, qui subissent un travail administratif de plus en plus lourd et une organisation de plus en plus difficile au sein des hôpitaux. Les médecins hospitaliers travaillent 60 à 80 heures par semaine; or les plus jeunes ont d’autres attentes de la vie et ne veulent pas que travailler.»

Le rapport de Mme Lair con­firme ce manque d’attractivité, renforcé par un coût du logement exorbitant et une médecine hospitalière à majorité libérale, donc sans garantie de revenu pour le médecin venu de l’étranger.

Un troisième pilier de la santé

Le vice-Premier ministre et mi­­nistre de la Santé, (LSAP), a d’ores et déjà énoncé les «mesures profondes» à engager, comme la structuration de la gouvernance des ressources professionnelles de la santé au sein du ministère, la «définition d’une vision commune de l’organisation des soins de santé pour les 15 années à venir», la revalorisation des professions médicales ou encore le renforcement du nombre d’étudiants en médecine.

L’AMMD soumet de son côté trois suggestions de mesures à prendre dès maintenant pour enrayer la pénurie à venir. D’abord, inciter les nouveaux résidents – 25.000 arrivent chaque année – à choisir un médecin traitant. «Le médecin généraliste doit être la première destination en cas de problème de santé. Or, souvent, les nouveaux arrivants vont plutôt aux urgences, explique M. Schmit. Lorsqu’un nouvel arrivant s’inscrit à la commune, on pourrait lui expliquer l’intérêt d’avoir un médecin traitant.»

Deuxième idée: «Permettre aux médecins de s’associer au sein de sociétés, comme c’est le cas à l’étranger, ce qui leur permet de mieux répartir le travail en interne.»

Troisième proposition – et comme la précédente, une revendication de longue date: favoriser l’émergence de structures ambulatoires.

«Ce serait un accès facilité pour les patients devant subir des manipulations limitées, des interventions à visée diagnostique, voire thérapeutique, comme l’endoscopie, l’imagerie…», explique M. Schmit. De telles structures apportant «davantage de confort et de sécurité» aux patients par rapport à un environnement hospitalier où les médecins sont beaucoup moins disponibles.

«Ces structures constitueraient le troisième pilier du système de santé aux côtés de la consultation libérale et de l’hôpital», assure le médecin, qui les voit comme «un pont» avec les hôpitaux, qui pourraient se concentrer sur les interventions chirurgicales lourdes.

Un premier tour de table a eu lieu lors de la réunion quadri­partite d’automne le 13 novembre dernier, avant la constitution de groupes de travail réunissant les mêmes acteurs de la santé, praticiens comme financeurs, afin de poser dans les prochains mois les jalons d’une nouvelle gouvernance en matière de ressources humaines dans la santé. Histoire de freiner à temps avant de rentrer dans le mur.