Depuis deux ans, d’une crise à l’autre, les prix des matériaux de construction flambent et les délais d’achèvement s’allongent. Ce qui ne fait pas les affaires des entreprises du secteur qui craignent les pénalités en plus d’une réputation ternie par des projets qui tirent en longueur. Les raisons sont connues. Dans un premier temps, la pandémie a perturbé l’organisation de travail avec un taux d’absentéisme important. Résultat, les chaînes de production de matériaux et les réseaux logistiques ont longtemps tourné au ralenti, créant même des pénuries. La reprise postpandémie a créé des goulots d’étranglement dans les chaînes de production. Puis la guerre en Ukraine n’a rien arrangé puisque dans un monde globalisé, un grand nombre de matériaux est fabriqué en Ukraine et en Russie.
, trois intervenants ont débattu sur les alternatives «durables» que le secteur devrait adopter pour assurer un avenir à un secteur économique important pour un pays comme le Luxembourg promis à un développement démographie ambitieux.
L’optimisation des matériaux
Pour Laurent Keser, directeur études et projets chez Soludec, il est nécessaire de «revenir aux fondamentaux» tout en faisant preuve de pragmatisme. «En France, on utilise 80 à 90 kilos de ferraille par mètre cube de béton. Au Luxembourg, les normes imposent 120 à 130 kilos de ferraille par mètre cube de béton. Nous sommes clairement dans de la surconsommation de matériaux et je ne crois pas que les constructions en France soient de mauvaise qualité», a-t-il assuré lors du débat sur le sujet organisé par Paperjam.
Laurent Keser plaide également pour un certain pragmatisme sur les normes et la philosophie de construction au Luxembourg. «Je ne comprends pas pourquoi lors d’un terrassement sur de la roche perméable, nous devons encore mettre deux couches d’étanchéité comme si chaque construction devait accueillir une piscine. Ni pourquoi nous ne pouvons pas construire en hauteur, ce qui optimiserait l’utilisation des matériaux», a expliqué le directeur d’études de Soludec.
L’ingénierie technologique
Pour Damien Lenoble, physicien des matériaux à la tête d’une équipe de 100 chercheurs au département Matériaux du LIST, l’une des alternatives se trouvera dans les matériaux de demain comme les nanomatériaux ou encore les matériaux composites. «Dans le secteur de l’aéronautique, les matériaux composites sont utilisés pour justement réduire les poids. Ils seraient tout à fait possibles d’utiliser les mêmes procéder dans la construction, mais pour le moment cela n’est pas possible pour des raisons de normes», souligne le scientifique. Ce dernier plaide également pour l’utilisation de matériaux d’avenir comme les nanomatériaux. Sur ce point, le Luxembourg pourrait tirer un avantage certain puisque , producteur de nanotubes de carbone, a de fortes ambitions après avoir ouvert un centre de recherche et développement (R&D) et d’assistance de pointe de 350m² à Foetz.
Seul inconvénient, si la technologie existe, il faut encore lui donner des normes pour pouvoir l’appliquer sur le terrain.
Recourir au bois et à l’argile luxembourgeois
, Ingénieur-associée chez Schroeder&Associés et directrice du service regroupant les unités sur la construction en bois et le conseil en construction durable, plaide pour des solutions peut-être moins technologiques, mais plus «locale». Le bois luxembourgeois pourrait être une alternative à condition de se donner les moyens de l’exploiter de façon durable. «C’est déjà un travail que nous avons commencé avec le ministre Turmes afin de voir comment mieux utiliser le potentiel de nos forêts dans la Grande Région et développer une chaîne de production pour nos besoins», a souligné Martine Schummer.
Autre piste, l’argile. «Nous construisons actuellement un projet pilote avec des blocs en terre crue, donc en argile. Une terre que nous avons en grande quantité sur nos terrains», assure encore l’Ingénieur-associée. L’argile qui peut aussi s’intégrer dans des processus de construction à l’aide d’imprimantes 3D dédiées à la construction. «Je pense que l’argile a un grand potentiel par rapport aux matériaux composites et aux nanotechnologies, car il existe déjà des normes sur les constructions en argile», a encore argumenté Martine Schummer.
Ne pas négliger le coût de l’alternative
Les alternatives existent et les promesses de la technologie sont ambitieuses. Mais la réalité est souvent rattrapée par le coût. «Le bois est un très bon exemple, mais il ne faut pas négliger le coût et le temps nécessaire pour mettre en place une filière bois complète au Luxembourg ou dans la Grande Région», a nuancé Laurent Keser. Ce dernier s’inquiète également d’une autre crise à venir, celui de la transition énergétique à venir qui va impacter les entreprises dans les années à venir. «Il ne faut jamais négliger le coût des solutions alternatives et se demander si l’on est prêt à en payer le coût», a souligné Laurent Keser.