(Cet article a été mis à jour à 16h20 avec la réponse du ministre de l’Immigration et de l’Asile, , à Passerell)
L’asbl Passerell, créée en 2016, accompagne les demandeurs d’asile et les réfugiés dans des projets de socialisation avec des résidents du pays et dans la défense de leurs droits. Dans le cadre de ses activités, elle reçoit de nombreux exilé(e)s, et dans un communiqué publié ce vendredi 12 juillet, l’asbl livre le témoignage recueilli au Luxembourg de deux femmes réfugiées.
«Le Luxembourg s’est déclaré incompétent pour protéger ces deux femmes et leurs enfants», dénonce Passerell. «La première femme est une Somalienne née sous le régime shebab (intégristes appliquant la charia) et mariée de force à 13 ans. Après 10 ans et trois naissances issues de viols, elle a été reniée par son mari. Par après, elle a trouvé la protection d’un autre homme.
Leur relation a été condamnée par les shebab, qui ont conclu à la lapidation pour les deux. Le jeune homme a été lapidé en place publique. Elle a réussi à s’enfuir et s’est retrouvée dans les geôles libyennes. Incapable de payer la rançon de sa propre libération, elle a servi d’esclave domestique et sexuelle jusqu’à ce que son état de santé se dégrade au point d’en répugner ses bourreaux», explique l’asbl.
La vie des «enfants en jeu»
«La deuxième femme est Érythréenne. Violemment torturée par les autorités de son pays, elle a fui par la Libye, où elle a subi le viol répété devant sa fille, alors âgée de quatre ans. Lourdement traumatisées, elles n’ont pas réussi à faire valoir leurs droits en Suisse, où elles sont déboutées de l’asile. Alors que l’Érythrée est probablement le régime totalitaire le plus sévère après la Corée du Nord, la Suisse a débouté des centaines de ressortissants érythréens.»
À leur arrivée au Grand-Duché, le Luxembourg s’est donc déclaré incompétent pour l’octroi de la protection internationale. «La première parce qu’elle a déjà reçu une protection en Italie, la deuxième parce qu’elle a déjà été déboutée par la Suisse. Craignant un transfert forcé vers l’Italie où elle a vécu à la rue, la première a quitté le Luxembourg avec son bébé sans savoir où aller. La deuxième a reçu une notification de transfert vers la Suisse, qui la renverra dans son pays avec sa fille.»
«Créer une commission indépendante»
«Au-delà de la brutalité sans fin du parcours de ces deux survivantes, les vies des deux jeunes enfants sont aussi en jeu. Ils ont des droits particuliers: la Convention des droits de l’enfant. Ces droits sont-ils respectés lorsqu’ils sont transférés de force d’un pays à l’autre en cultivant l’insécurité et leur traumatisme? Cette question semble secondaire face à l’opportunité de faire diminuer le nombre de demandeurs d’asile au nom des règlements européens et tant pis si l’on donne du grain à moudre à Matteo Salvini qui, lui, ne les respecte plus.»
Si l’asbl «déplore» le départ de la première jeune femme avec son bébé, elle «espère» que le Luxembourg acceptera de se déclarer compétent pour la deuxième jeune femme. «Si le Grand-Duché souhaite effectivement protéger ces survivantes, il sera nécessaire de créer une commission parfaitement indépendante en mesure d’annuler une expulsion vers un autre État membre ou un pays tiers si celle-ci représente un danger objectif pour des personnes vulnérables, notamment lorsqu’il y a des enfants ou des victimes de torture et de violence sexuelle.»
Des «défaillances systémiques peuvent annuler le transfert»
Si le Luxembourg respecte de son côté l’application du règlement Dublin III – qui délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays qui l’a accueilli –, l’asbl luxembourgeoise lui reproche de ne pas tenir compte du parcours des demandeurs de protection internationale.
Les réfugiés sont en effet souvent passés par la Libye, où ils sont retenus dans des centres de détention en espérant pouvoir traverser la Méditerranée. Filippo Grandi, le haut commissaire aux réfugiés (HCR), avait d’ailleurs qualifié «d’atroces et d’inadmissibles» les conditions dans lesquelles les réfugiés y sont détenus, dans un communiqué publié en avril dernier.
Une jurisprudence récente de la CJUE «vient rappeler que les défaillances systémiques en termes de procédures et de conditions d’accueil dans un État membre peuvent tout à fait justifier l’annulation d’un transfert, et ce à toute étape de la procédure d’asile», rappelle Passerell sur son site internet.
Jean Asselborn répond à Passerell
Suite à la publication de ce communiqué, Jean Asselborn a également réagi par voie de presse, souhaitant «prendre position». «L’allégation ressortant dudit communiqué suivant laquelle le Luxembourg ‘s’est déclaré incompétent pour protéger ces deux femmes’ est erronée alors que la ressortissante somalienne est déjà bénéficiaire d’une protection internationale octroyée par un État membre de l’Union européenne et que le Luxembourg a déclaré la demande irrecevable au seul motif qu’une personne ne peut pas obtenir plus d’une protection internationale sur le territoire de l’Union européenne», explique notamment le ministre.
En ce qui concerne la réadmission de la ressortissante somalienne, «les autorités italiennes ont présenté les garanties nécessaires relatives à la mise à disposition d’un logement adéquat dès son arrivée en Italie», affirme Jean Asselborn, qui «tient à signaler que le Luxembourg s’est déjà déclaré responsable pour le traitement de la demande de protection internationale de 71 personnes vulnérables qui auraient dû être transférées vers l’Italie depuis novembre 2018.»
«Aucun retour forcé vers l’Érythrée»
Et le ministre luxembourgeois d’ajouter que «le Luxembourg s’est en tous points conformé aux dispositions du règlement dit ‘Dublin III’», cité précédemment. Face à la crainte de la ressortissante érythréenne d’être renvoyée de force dans son pays, cet «argument est à écarter du fait qu’aucun État européen ne procède à l’organisation de retours forcés vers l’Érythrée», insiste Jean Asselborn.
Concernant l’idée évoquée par l’asbl Passerell de créer une commission indépendante, le ministre explique que cette «initiative ne saurait être soutenue alors que ce rôle est exclusivement dévolu au pouvoir judiciaire».