Paperjam a interviewé Pascal Saint-Amans, partner du groupe Brunswick, le 3 février 2025. Il a supervisé la réforme fiscale internationale pendant près de dix ans, tout en travaillant en étroite collaboration avec les ministres des finances du G20 en tant que directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.  (Photo: Brunswick)

Paperjam a interviewé Pascal Saint-Amans, partner du groupe Brunswick, le 3 février 2025. Il a supervisé la réforme fiscale internationale pendant près de dix ans, tout en travaillant en étroite collaboration avec les ministres des finances du G20 en tant que directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.  (Photo: Brunswick)

L’accord fiscal mondial de l’OCDE adopté en 2021 impose un taux effectif minimum de 15% aux multinationales. Cette règle s’applique à plus de 50 pays. Les États-Unis ont décidé de ne pas appliquer la règle au niveau national, bien qu’ils soient l’un des signataires. Pascal Saint-Amans, du Policy Forum, pense que l’accord pourrait devoir être modifié pour se conformer aux exigences du nouveau président américain.

Par un décret signé le 20 janvier 2025, le président américain Donald Trump a rejeté l’accord fiscal mondial de l’OCDE, affirmant qu’il n’a «ni force ni effet aux États-Unis». L’objectif de son administration est de retrouver «la souveraineté et la compétitivité économique de la nation».

Contexte

Le 8 octobre 2021, l’OCDE a annoncé qu’un total de 136 pays sur 140 – dont le Luxembourg et les États-Unis – étaient parvenus à un accord politique sur un taux effectif minimum de 15% pour les entreprises. L’objectif était de changer fondamentalement le système international de l’impôt sur les sociétés.

Pascal Saint-Amans, partner du cabinet de conseil Brunswick et ancien directeur de l’OCDE, a observé que les entreprises basées en Irlande, au Luxembourg et à Singapour – où le taux d’imposition effectif était inférieur à 15% – ainsi que les pays où l’impôt sur les sociétés n’existe pas, tels que les îles Caïmans et la Barbade, ont tous été touchés par la nouvelle exigence.

«Les pays n’étaient pas tenus d’appliquer l’accord dans leur législation nationale», a déclaré M. Saint-Amans lors d’une interview. Il a fait remarquer que plus de 50 pays tels que ceux de l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Japon, la Corée du Sud, l’Afrique du Sud et la Barbade l’appliquaient. «Il faut comprendre que l’accord n’est pas pertinent pour de nombreux pays africains qui n’ont aucune entreprise dans le champ d’application de l’accord... Pourtant, 90% des multinationales dans le monde sont couvertes par le taux d’imposition minimal.»

Impact du retrait des États-Unis

«Nous n’en savons rien. Les États-Unis ne font pas vraiment partie de l’accord. Ils l’ont soutenu mais il n’a pas été adopté», a déclaré M. Saint-Amans le 3 février 2025. Pourtant, la nouvelle administration américaine n’a pas indiqué qu’elle se retirait de l’OCDE, contrairement à l’Organisation mondiale de la santé ou à l’Accord de Paris sur le climat. Trump pourrait vouloir faire modifier l’accord pour refléter ses exigences.

M. Saint-Amans a souligné que le taux d’imposition minimal des multinationales fonctionne même si les États-Unis et la Chine n’appliquent pas l’accord. Il convient de noter que leurs entreprises seront imposées dans d’autres pays où elles bénéficient de taux d’imposition avantageux.

Il a expliqué que l’accord comporte deux piliers. Le premier couvre de nouvelles règles permettant aux pays de partager les bénéfices, y compris des règles pour taxer les entreprises du secteur numérique. Il nécessite une convention multilatérale pour laquelle aucun accord n’a été conclu. Même si un accord avait été conclu, «tout le monde savait qu’une majorité de deux tiers était nécessaire au Sénat américain». Une tâche ardue. «En bref, les États-Unis ne se sont pas retirés d’un accord dont ils n’étaient pas membres.»

Le deuxième pilier repose sur trois mécanismes

En ce qui concerne le deuxième pilier, qui couvre l’impôt minimum sur les sociétés, les États-Unis ont accepté les principes, mais ont choisi de ne pas les appliquer. M. Saint-Amans a expliqué que le premier mécanisme de ce pilier permet aux pays européens, en théorie, de taxer les entreprises américaines basées aux États-Unis ou dans des pays paradis fiscaux où le prélèvement fiscal est inférieur à 15%. «Les Européens prendraient la différence entre 15% et le taux d’imposition effectif local, mais les républicains américains n’ont pas voulu. En effet, les États-Unis ont déclaré qu’ils s’opposeraient à ce que des pays étrangers prélèvent des impôts sur les sociétés américaines basées aux États-Unis.

Il est intéressant de noter que M. Saint-Amans a fait remarquer qu’un tel événement a une «matérialité limitée», étant donné que le taux d’imposition moyen aux États-Unis est d’environ 25% (21% au niveau fédéral et 3 à 4% au niveau des États). Cependant, il a fait remarquer que les crédits d’impôt sur la recherche et le développement peuvent s’appliquer aux entreprises pharmaceutiques et technologiques, mais aussi aux entités ayant des marques fortes, ce qui conduit à un niveau d’imposition effectif inférieur à 15%.

Le second mécanisme visait des pays tels que la Barbade, où l’impôt sur les sociétés est faible ou inexistant, et accueillait les entreprises américaines qui gagnaient de l’argent. «Comme quelqu’un imposera ces bénéfices à 15%, ces pays ont conclu qu’ils feraient mieux d’imposer eux-mêmes ces sociétés par le biais de l’impôt supplémentaire minimum national qualifié (Qualified Domestic Minimum Top-Up Tax, ou QDMTT).»

60 jours pour étudier la position américaine suite à la signature du décret par le président Trump.
Pascal Saint-Amans

Pascal Saint-AmanspartnerBrunswick

Le troisième mécanisme est la règle des bénéfices sous-imposés (UTPR) qui permet aux pays de taxer les entreprises «pour lesquelles personne ne prélève d’impôts».

États-Unis: examiner leurs options

Il pense que les États-Unis pourraient faire pression pour la suppression de la clause permettant aux autres pays d’imposer les sociétés aux États-Unis. «Cela ferait sauter l’impôt minimum sur les sociétés, étant donné l’absence d’incitation à appliquer le taux d’imposition minimum.» Par ailleurs, les États-Unis pourraient exclure l’imposition sur le sol américain, mais pas dans les paradis fiscaux.

«Nous verrons car [le secrétaire au Trésor] a 60 jours pour étudier la position américaine suite à la signature du décret par le président Trump.» Plus précisément, le décret stipule qu’il examinera «une liste d’options pour des mesures de protection ou d’autres actions que les États-Unis devraient adopter ou prendre en réponse à cette non-conformité ou à ces règles fiscales».

Trump pourrait-il doubler le taux d’imposition des entreprises européennes?

M. Saint-Amans note que l’article 891 du code des impôts américain a été «ressuscité» suite à l’arrivée de Trump, mais que son contrôle est «très faible». Il pense que les juges devraient se prononcer sur les ordres exécutifs perçus comme discriminatoires à l’égard de certaines entreprises.

Par ailleurs, le pouvoir du président inclut la capacité d’appliquer des mesures commerciales contre les entreprises européennes (tarifs douaniers). Il estime que le président dispose d’un large éventail de mesures de rétorsion.

Comment éviter les mesures de rétorsion à l’encontre des entreprises européennes?

Les pays européens ont adopté une directive européenne pour refléter le pacte fiscal mondial de l’OCDE.

«Il faut l’unanimité pour modifier la directive», souligne M. Saint-Amans. «Une modification de la directive est donc très peu probable.» En revanche, il pourrait imaginer un accord à l’OCDE selon lequel une entreprise située dans un pays imposé à un «taux nominal élevé», comme 25% aux États-Unis, par exemple, serait exemptée de la règle du paiement sous-imposé (UTPR).

Il s’agit d’une solution élégante qui pourrait donner aux entreprises américaines un avantage comparatif, mais M. Saint-Amans a répété que l’importance de cette mesure était faible. «Les États-Unis ne sont pas un paradis fiscal. De plus, il pense que Trump ne réduira pas l’impôt sur les sociétés malgré les promesses faites lors de la campagne présidentielle.

Taxes sur les services numériques (DST)

M. Saint-Amans a expliqué que les discussions à l’OCDE sur la taxation des entreprises technologiques ont commencé il y a plus de 10 ans sans jamais parvenir à un accord. Il estime que M. Trump a clairement indiqué que ces discussions étaient «arrêtées ou mortes».

Pourtant, des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Inde – mais pas le Luxembourg – ont décidé d’appliquer une TVD aux entreprises numériques. M. Saint-Amans a fait remarquer que M. Trump a réagi en appliquant des taxes de rétorsion en 2019 d’un montant équivalent à celui prélevé par les pays appliquant la TVD. Les sanctions ont été levées par le président Biden de l’époque, mais ont été réactivées par Trump.

M. Saint-Amans estime qu’une guerre fiscale est peu probable. Cependant, il ne s’agira peut-être pas d’un nivellement par le bas, c’est-à-dire de savoir qui taxera le moins, mais «chacun peut taxer à sa manière avec des mesures de rétorsion [telles que] des sanctions commerciales et fiscales».

Cet article a été rédigé initialement en anglais et traduit et édité en français.