A la tête de MiddleGame Ventures, Pascal Bouvier a déjà financé plus de 40 start-up, pour un montant de 300 millions d’euros. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

A la tête de MiddleGame Ventures, Pascal Bouvier a déjà financé plus de 40 start-up, pour un montant de 300 millions d’euros. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Alors que les développements technologiques se succèdent, Pascal Bouvier, cofondateur de MiddleGame Ventures, souligne l’importance d’investir dans les fintech.

Quel est l’état des opportunités d’investissement dans les fintech ? Comment ont-elles évolué au cours des dernières années ?

Pascal Bouvier. – «J’ai commencé à investir dans les fintech il y a plus de 15 ans. À cette époque, les évolutions règlementaires et les problématiques nouvelles rencontrées par les grandes sociétés actives dans le secteur financier – banques, assurances, etc. – offraient de réelles opportunités pour le développement des fintech. Aujourd’hui, les choses ont énormément changé avec la digitalisation. De nombreux secteurs ont été chamboulés. Le secteur financier a compté parmi les derniers à se lancer dans cette voie. Aujourd’hui, une partie de l’industrie financière a mis en place un certain nombre de choses au niveau digital. Mais il reste une grosse marge de progression pour la plupart de ces acteurs. Il est donc encore possible de trouver des start-up qui accompagneront les grands groupes dans leur digitalisation ou qui deviendront elles-mêmes des acteurs majeurs dans les prochaines années. Les opportunités sont donc toujours importantes.

Pourquoi cette transformation digitale a-t-elle tant traîné dans le secteur financier et quelles sont aujourd’hui les dimensions sur lesquelles un important travail doit encore être mené?

«Il y a eu plusieurs vagues de développement des fintech. La première s’est surtout attachée à améliorer l’expérience utilisateur, la relation entre le client et sa banque, son assureur, etc. Des avancées importantes ont également été réalisées au niveau des paiements, des assurances, et de tout ce qui concerne les prêts. Par contre, il reste encore beaucoup à faire au niveau de la gestion des actifs et au sein du marché des capitaux. La digitalisation et l’automatisation des process dans ces secteurs pourraient permettre à des acteurs majeurs d’offrir une meilleure expérience à leurs clients, mais aussi de réduire considérablement leurs coûts, ce qui constitue une priorité pour de nombreuses structures. Le numérique permet en effet de réaliser des économies en optimisant le modèle opérationnel, notamment en limitant le nombre de personnes nécessaires pour effectuer un certain nombre de tâches de back, middle et même front-office qui sont exigées par le marché ou par le régulateur. Mais la digitalisation permet aussi de gagner des parts de marché en offrant un meilleur service, attirant plus de clients.

Quelles sont les technologies les plus porteuses pour l’avenir des services financiers?

«L’une des technologies les plus matures et déjà largement adoptée par les acteurs du secteur financier est le cloud comput­ing, combiné aux API. L’adoption progressive de ces outils a permis à de nombreuses institutions de réduire considérablement le nombre de solutions technologiques utilisées pour le back et le middle-office, tout en fluidifiant beaucoup de process. Je citerais aussi les outils d’analyse de données avancés, qui reposent sur le machine learning ou l’intelligence artificielle (IA). Un certain nombre de solutions permettent aujourd’hui d’analyser des données ou des process, de monétiser certaines choses, et ce de façon auto­matique. Enfin, comment ne pas évoquer l’IA générative, telle que mise en œuvre par des sociétés comme OpenAI et son fameux ChatGPT, dont le potentiel est également énorme pour les services financiers.

Comment ChatGPT ou la technologie qui soutient cet outil pourraient-ils être utiles à la finance?

«Les modèles proposés par ChatGPT permettent, par exemple, de faire du codage de logiciels de façon très rapide. Ils pourraient aussi accélérer certains développements juridiques, comme la création de sociétés ou de fonds d’investissement. Or, ces tâches sont aujourd’hui effectuées par du personnel hautement qualifié, et souvent en grand nombre. Avec un agent d’IA, on pourrait envisager de diminuer drastiquement le nombre de collaborateurs nécessaires pour effectuer ces tâches, avec des conséquences importantes sur les coûts et sur la structure même de ce marché, des start-up jusqu’aux grandes sociétés. On peut presque parler d’une révolution, qui a des implications politiques, puisque l’on risque de voir une bonne partie des collaborateurs actuels se retrouver sans emploi.

Dans la vie, il n’y a pas de zones sans risques, à l’exception du cimetière.
Pascal Bouvier

Pascal BouviercofondateurMiddleGame Ventures

Quelle est votre opinion sur l’appel à faire une pause par rapport à la recherche sur l’IA, lancé notamment par Elon Musk?

«Il est normal qu’il y ait des résistances au changement. C’est le cas à chaque vague d’innovation. L’Église catholique a aussi voulu interdire l’imprimerie à ses débuts, car elle lui faisait perdre le contrôle de l’écriture et de la dissémination des écrits. On a vu le même mouvement avec le cloud il y a quelques années. Au début, tous les régulateurs étaient contre cette technologie, affirmant qu’ils n’autoriseraient jamais l’utilisation du cloud dans le secteur financier. Aujourd’hui, plus aucune banque ne fonctionne en dehors du cloud. Il en va de même pour la blockchain, qui n’a pas encore trouvé toutes ses applications. Mais cela ne saurait tarder. L’IA générative connaîtra le même sort, j’en suis convaincu. Quant à cet appel à l’arrêt des recherches en la matière, je suis sûr qu’Elon Musk n’y aurait pas pris part s’il était encore à la tête d’OpenAI. Ces technologies sont-elles dangereuses? Je dirais que toute nouvelle technologie comporte des risques, mais, de manière plus générale, il n’y a pas de zones sans risques dans la vie, à l’exception du cimetière. Entre le bannissement complet de l’IA et son développement incontrôlé, il me semble qu’il y a un grand espace à explorer. À mon sens, il faut pouvoir réglementer l’usage de cette technologie avec sagesse pour pouvoir en tirer profit, et ce au bénéfice du plus grand nombre.

Next Gate Tech fournit des solutions d’automatisation intelligentes pour l’industrie de la gestion d’actifs. (Visuel: Maison Moderne)

Next Gate Tech fournit des solutions d’automatisation intelligentes pour l’industrie de la gestion d’actifs. (Visuel: Maison Moderne)

Votre société est installée au Luxembourg, mais pas seulement. Vous avez aussi beaucoup voyagé. Comment évaluez-vous la maturité de l’écosystème fintech au Luxembourg par rapport à ce qui existe dans d’autres pays?

«Je parlerais d’abord de l’écosystème start-up au sens large. En 10 ans, celui-ci s’est considérablement développé, avec un nombre de start-up qui se situe aujourd’hui entre 550 et 600. La part du lion, parmi elles, est occupée par des fintech, ce qui est logique si l’on considère le fait que Luxembourg est une place financière d’envergure, particulièrement dans le secteur des fonds. Selon moi, il devrait toutefois y avoir bien plus de start-up, au Luxembourg, proposant des solutions aux acteurs des fonds, car le marché est là. Cela me tient donc particulièrement à cœur de faire en sorte de faire évoluer ces start-up, de leur faire prendre leur envol en soutenant ainsi l’ensemble de l’économie luxembourgeoise.

Que reste-t-il encore à mettre en œuvre?

«À l’heure actuelle, je trouve que l’éco­système pourrait être plus développé encore, car il existe un nombre considérable de prestataires de services dédiés aux fonds, dont certains ne disposent pas encore de solutions technologiques performantes. Les start-up peuvent répon­dre à ces besoins. Je ne vais pas nier que de nombreuses initiatives publiques ont été mises en place pour soutenir ces jeunes pousses, mais le Luxembourg pourrait encore faire mieux. Parmi les pistes d’amélioration, je citerais le renforcement des capacités d’attraction d’entrepreneurs talentueux, la mise en place d’un accompagnement permettant aux start-up de devenir des scale-up grâce à un système de mentor­ing, à du networking, au partage de bonnes pratiques… Ces mesures permettraient d’augmenter la notoriété de la Place, et d’attirer plus d’acteurs en retour.»