Alors que le week-end devrait nous offrir un peu de répit après quasiment deux semaines de pluie, pourquoi ne pas aller se mettre au vert à deux pas du centre-ville de Luxembourg? Haut lieu de pique-niques estivaux avec sa vue imprenable sur le Grund et la ville haute, le parc Dräi Eechelen se prête bien aussi aux promenades d’automne, avec feuilles mortes à ramasser, ou à fouler joyeusement pour les plus jeunes, et œuvres d’art originales à découvrir pour tous.
Point de départ: l’entrée du Mudam, en contrebas de la place de l’Europe. De ce côté, le musée de Ieoh Ming Pei se fait forteresse et laisse plutôt à voir les douves de l’ancien fort Thüngen, dans lequel il s’insère. «Michel Desvigne a pris en considération la forêt d’arbres anciens qui entoure le site et créé une esthétique de lisière de forêt, de passage entre des zones dénudées et minérales, les arbres de hauteur moyenne et les arbres plus vieux et plus hauts», explique Delphine Harmant, médiatrice au Service des publics du Mudam. «C’est pourquoi les pavages sont par endroits ajourés, et les pavés soulevés par les racines des arbres sont peu à peu retirés», histoire de laisser libre cours à la reconquête de l’espace par la nature.
Les yeux du visiteur s’arrêtent sur un bloc de pierre massif posé au bord du chemin pavé. Il s’agit de la trace d’une performance artistique. «Maria Anwander, artiste autrichienne en résidence au Casino Luxembourg au printemps 2012, a organisé la dépose, sans aucune autorisation, de ce bloc de pierre à chaux de 2 tonnes au beau milieu de la place d’Armes, comme un cadeau à la Ville.» L’inscription «The Present» est bien inscrite sur le bloc, en référence au cadeau, mais aussi au travail de l’artiste sur le temps. Ainsi que la composition et les dimensions de l’œuvre, comme le cartel de n’importe quelle peinture ou sculpture exposée dans un musée. «L’artiste court-circuite le parcours traditionnel d’une œuvre» pour parvenir à la consécration que représente l’affichage dans un musée, et ainsi «questionne le monde de l’art contemporain en utilisant ses rouages», explique Mme Harmant.
Continuons de longer le Mudam sur un chemin déjà jonché de feuilles mortes. On pourrait passer sans s’arrêter devant ce buste de Philippe V posé sur un socle en acier à l’effet rouillé. Là encore, le rapport au temps est interrogé par l’artiste, Fernando Sánchez Castillo: ces bustes émaillant les parcs ne sont-ils pas, au fil du temps, devenus invisibles aux yeux des passants, et davantage le repaire des oiseaux cherchant un promontoire? D’où le titre de «Bird Feeder» (mangeoire pour oiseaux), qui révèle le secret de l’œuvre: un réservoir à graines se cache réellement dans le socle, et une vis infinie fait remonter des graines qui sortent sous la couronne du défunt monarque.
Les trois tours reconnaissables du Musée Dräi Eechelen se détachent au fil de la promenade. Surmontées d’un gland doré, symbole de résistance et de solidité, elles devaient marquer l’entrée du Mudam, qui se dresse derrière l’ancien dépôt de munitions. Toutefois, le bâtiment a finalement été dédié à l’histoire militaire du Grand-Duché, «qui était quand même la petite Gibraltar du Nord», rappelle Mme Harmant, de la forteresse Vauban au fort Thüngen, du nom d’un général autrichien, héritages d’un passé tourmenté.
Pour autant, les deux édifices s’imbriquent et forment un tout harmonieux, les verrières du Mudam donnant une impression aérienne et légère, à l’opposé du bastion enfoui dans le sol, tandis que les tourelles du Mudam font écho à la destinée militaire du vieux fort.
Au pied des trois tours s’étend la prairie, havre très prisé pour les bains de soleil et apéritifs sur l’herbe, l’été. Elle garde en automne un panorama saisissant sur le Grund et la ville haute, de l’autre côté du Pont Rouge, tout en laissant à voir le camaïeu de couleurs rousses de la forêt alentour.
Au pied de la prairie, des pierres sont enfoncées dans l’herbe, telles des stèles brisées et polies par le temps. Il n’en est rien: il s’agit de l’œuvre de Ian Hamilton Finlay, un artiste écossais marqué par la Deuxième Guerre mondiale, durant laquelle il a combattu du haut de ses 17 ans. Elle donne à lire, en latin, langue d’un empire effondré, la citation de Saint-Just: «L’ordre du présent est le désordre du futur.» Une phrase d’autant plus frappante que l’œuvre datant de 1990 et déclinée dans des formats différents a été installée dans le parc quelques jours après le début du confinement. «Cette phrase paraît fataliste, mais elle peut aussi être générationnelle et nous faire réfléchir à la façon dont on doit penser l’ordre d’aujourd’hui pour qu’il ne génère pas le désordre de demain», remarque Mme Harmant.
Entre le bon air frais et ces pensées philosophiques, reste une œuvre, incontournable, à contempler: les fameux cervidés de Wim Delvoye, comme surpris en pleins ébats sous les arbres, dans une position très humaine, face à face et échangeant un baiser. «Ces animaux parlent de nous, d’un des tabous les plus importants de notre société», souligne Mme Harmant. De quoi clore une promenade dominicale ou une pause déjeuner au vert avec humour.
La visite du parc Dräi Eechelen est programmée tout l’été et peut s’effectuer sur réservation le reste de l’année en envoyant un e-mail à .