«Quand vous allez au mémorial de la Shoah, vous ne faites pas des blagues sur la solution finale!» L’exemple fend la conversation comme une gifle, mais il a le mérite d’être clair. Sophie Viger est comme ça. Directe. La directrice générale de l’École 42, co-créée en 2013 par Xavier Niel pour alimenter le secteur des tech en développeurs, , initiative pour promouvoir la présence des femmes dans le secteur de la science, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, les STEM, et portée au Luxembourg par et par le List.
Jeudi après-midi, au Learning Center de Belval, la Française a été «happée» par des entreprises qui ne trouvent pas de ressources humaines pour mener à bien leurs projets, ou même seulement pour les lancer.
Sophie, votre arrivée il y a un peu plus d’un an à la tête de 42 a été très remarquée. Pourquoi?
Sophie Viger. – «Parce qu’en un an, le nombre de femmes qui ont participé à l’épreuve de sélection pour entrer à l’école, la piscine, a augmenté de 50%. De 14,8% quand je suis arrivée, elles sont passées à 29%. Nous aurons dorénavant une volonté politique, farouche, de continuer à progresser sur cette question-là. Du coup, nous avons monté un certain nombre d’actions.
En interne, d’abord, en aménageant les locaux. Les douches existaient… nous avons ajouté des sèche-cheveux, nous avons mis en place un référent de mixité, qu’il est possible de saisir en cas de souci, une adresse mail de ‘social report’ pour ne rien laisser passer sur les questions de sexisme, de racisme, de xénophobie ou d’homophobie.
Nous avons établi des règles sur Slack, très strictes aussi avec l’humour. À partir du moment où l’humour n’est plus drôle pour l’autre, ce n’est plus de l’humour… ce qui ne nous empêche pas de bien nous marrer. Il faut juste mettre en place des cadres.
Après, nous voulons que les femmes soient plus présentes, notamment dans les conférences. Nous les invitons à aller sur scène, à des tables rondes. Nous avons aussi des actions en direction des collégiennes ou des lycéennes pour qu’elles comprennent que devenir développeur est possible! Et nous menons aussi des actions vers les femmes à Pôle Emploi (l’équivalent français de l’Adem).
Quand la Suède a mis en place une politique volontariste sur le sujet, par exemple dans le domaine du jazz, de plus en plus de concerts devaient intégrer des femmes. Au début, c’était une catastrophe, mais la qualité a tellement augmenté depuis! Les petites filles voient des femmes sur les affiches et veulent devenir musiciennes.
Les papas ont un rôle plus actif à jouer pour amener leurs filles vers ce secteur-là, au lieu de montrer la mécanique et l’informatique aux garçons.
Tout ça parle d’un côté «négatif», dans le sens où il faut pousser les femmes vers ces secteurs, mais vous les tirez, aussi! De manière positive.
«Oui! Revenons aux fondamentaux. Pourquoi en sommes-nous arrivés à des discussions genrées dans ces activités? Jusqu’aux années 1980, ces problèmes n’existaient pas. Puis, il y a eu l’arrivée des ordinateurs individuels, que les familles, plutôt aisées et blanches, offraient plutôt aux garçons, qui ont commencé à former des communautés de geeks.
Et évidemment, quand le secteur s’est développé économiquement, est devenu porteur, bien payé et que les parents ont poussé leurs fils de 7-8 ans à s’y engager, ils y sont allés! Il n’y a pas de raison que seuls les hommes profitent d’un secteur porteur. Même quand la robotisation et l’intelligence artificielle ont un impact, surtout sur les plus précaires, et donc des femmes.
Deuxièmement, nous voulons aussi leur faire comprendre que l’économie numérique manque de main-d’œuvre. C’est aussi simple que ça. Et que beaucoup de sociétés n’ont pas les moyens de se payer un développeur expérimenté. Il y a de la place pour la diversité.
Enfin, la présence de femmes sur ce secteur est une question d’humanité. La diversité, pas seulement dans la dimension hommes-femmes, a toujours fait progresser toutes les sociétés. Vous trouvez normal que pendant longtemps, les applications de santé n’intègrent même pas le fait qu’une femme ait ses règles?
Est-ce qu’emmener de plus en plus de femmes, de gens en général, vers le code et le développement, comme vous le faites à 42, est vraiment une bonne idée au moment où on voit des choses s’automatiser de plus en plus?
«Même en automatisant, il faut des gens pour créer ces programmes et pour les entretenir. Mais le développeur n’est pas qu’un codeur, il est capable de prendre en compte tous les aspects d’un projet.
Je ne suis même pas inquiète, parce que ce sont des salariés vraiment formés à l’informatique, qui savent comment ça marche. Ils ont plus de compétences.
Peut-être qu’au lieu d’aller vers des projets où vous formez des gens pour les réinsérer sur un marché du travail qui en a besoin, on devrait prendre le temps de voir où sont les profils qui ont du potentiel…»
Pour comprendre .