Laurent Schonckert a pu compter sur le soutien de ses employés, fournisseurs et clients pour traverser la crise. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Laurent Schonckert a pu compter sur le soutien de ses employés, fournisseurs et clients pour traverser la crise. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Comment avons-nous réagi face à la crise? Quelles leçons en tirer? Voilà deux thématiques qui seront évoquées lors de la Journée de l’économie, le 29 mars. Laurent Schonckert, CEO du groupe Cactus, en sera l’un des participants.

Le groupe Cactus, ce sont 4.500 employés, des magasins de différentes tailles, de nombreux métiers, des centaines de fournisseurs et des milliers de clients… Vous souvenez-vous des premiers moments de la pandémie, de vos craintes, de vos doutes?

«Cela fait presque deux ans, mais je me souviens en effet bien qu’au moment où les décisions des autorités ont été prises, comme tout le monde, nous étions face à une page blanche. Personne n’avait envisagé une telle situation. Des craintes, on en avait, et à plusieurs niveaux. D’abord, en ce qui concerne le personnel: ­comment va-t-il réagir? Va-t-il rester solidaire? Puis, il y avait les clients. Comment, eux aussi, allaient-ils se comporter? Quelles seraient leurs attentes? Quand j’ai vu les longues files devant les portes des magasins tôt le matin, je me suis posé des questions sur ce qui allait arriver. Cela me rappelait un peu la guerre en Irak, quand on a imaginé que c’était le début de la Troisième Guerre mondiale et que les gens stockaient des produits chez eux. Au final, il n’en a rien été. Nos clients ont été très compréhensifs, le ­personnel a fait preuve d’une grande solidarité.

Pour un chef d’entreprise, ce dernier point est-il une grande satisfaction?

«Oui, car on a beau prêcher tous les jours à ses équipes qu’il faut être solidaire, être engagé envers son entreprise, cela reste un ‘discours du dimanche’. C’est quand les difficultés sont là qu’on voit ce qu’il en est vraiment. Je l’ai dit et je le répète: je suis très reconnaissant envers notre personnel pour cela.

Sans que vous l’imaginiez, votre entreprise et son organisation étaient en réalité prêtes à faire face à cette situation?

«Prêtes, non… Mais cela a démontré la force de notre esprit familial. Nous avions deux ou trois réunions par semaine au niveau de la direction, à distance. Nous pouvions cependant très rapidement décider de faire ceci et de ne pas faire cela. Nous n’avons pas besoin d’appeler un grand patron à Bruxelles ou à Paris pour demander ‘est-ce que je peux?’ ou ‘est-ce que je dois?’. Notre second avantage est d’avoir en grande partie nos propres entrepôts. On a donc pu anticiper de grosses commandes, par exemple pour les pâtes ou la farine, et les stocker dans notre centre logistique de Windhof. Il y a eu peu de trous dans nos linéaires. Évidemment, pour beaucoup de fournisseurs, nous sommes un bon client, et solvable. Bref, un client en qui vous pouvez avoir confiance dans les bonnes et les mauvaises passes.

La recette magique comportait donc plusieurs ingrédients?

«La solidarité du personnel, la fidélité des clients, la confiance des fournisseurs… Il faut un peu de tout cela. Je ne veux pas dresser de ­classement de ce qui a compté le plus, mais je pense quand même que la solidarité des employés au sein du groupe arrive en premier lieu.

On peut imaginer que la crise laissera des traces dans le monde du travail, notamment au niveau de son organisation. Le télétravail, notamment, est devenu un sujet incontournable. Pourtant, chez Cactus, on ne le favorise pas. Êtes-vous imperméables à ces mutations?

«C’est vrai: nous avons dit qu’on ne voulait pas du télétravail, quitte à être vus comme des conservateurs ou des rétrogrades. Mais nous avons voulu maintenir dans notre entreprise une solidarité entre ceux qui étaient et restaient en première ligne et les autres, qui sont dans les bureaux. Le télétravail n’est pas un tabou chez Cactus. Mais, pour le moment, la direction a adopté une position qui est claire. Je pense que cela a été compris par une majorité du personnel, certes parfois avec des grincements de dents. Dans les années à venir, je pense qu’on arrivera à des formules avec un jour de télétravail par semaine dans les services de back-office, notamment dans les banques ou les Big Four.

Avez-vous le sentiment d’être devenu un gestionnaire de crise plus qu’un CEO ces derniers mois?

«Oui, un peu. Tellement de choses inédites sont arrivées, ces derniers temps. Maintenant, pour être honnête, on a fait de bonnes années au niveau de nos chiffres, en tout cas sur la partie supermarchés. Quand on voit que les chiffres sont bons, cela facilite quand même un peu la tâche. Gérer une crise quand en plus les chiffres ne sont pas bons, c’est encore plus compliqué.

Si on pouvait revenir en arrière, referiez-vous certaines choses autrement?

«Je me le demande, parfois, car moi, je suis dans mon bureau. Je prends une décision, mais le personnel de terrain pourrait avoir une autre appréciation. Ce qui est un bon signe, c’est que nous avons, chez Cactus, une délégation OGBL-LCGB de quatre personnes avec lesquelles nous avons été en dialogue pendant deux ans, et elles ont adhéré à presque toutes les décisions. Objectivement, je ne vois pas trop de choses que nous aurions pu faire autrement. Personne ne nous a dit, en tout cas, que nous avions fait complètement fausse route.

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement?

«Il a fait beaucoup de bonnes choses dans un contexte difficile. Maintenant, certains criti­quent encore, car on assouplit les mesures; d’autres disent qu’il fallait encore aller plus loin. Mais, oui, pour moi, le gouvernement a bien fait son job, surtout si on compare avec ce qui se passe ailleurs. J’ai tout de même un peu voyagé et, dans d’autres pays, c’était quand même bien pire. Les lockdowns de deux mois ont été une catastrophe pour nous, mais surtout pour les commerçants, de même en ce qui concerne la période de fermeture de 10 jours. Mais pouvait-on faire autre chose? Je ne le crois pas. La pandémie est, hélas, devenue parfois une excuse royale dès qu’on a des ­problèmes. Mais certains avaient déjà ces soucis avant la pandémie.

Plutôt que de parler d’une crise, vous évoquez des crises?

«La pandémie a été, selon moi, un détonateur d’autres crises ou phénomènes. Elle a en tout cas entraîné un questionnement autour de la globalisation. Est-ce le modèle que nous voulons à l’avenir? N’a-t-il pas atteint ses limites? Si je prends l’exemple des ruptures des chaînes d’approvisionnement, car les personnes étaient confinées, les bateaux n’arrivaient plus… Ce fut un ‘side effect’ de la crise sanitaire. Autre phénomène – nouveau pour beaucoup de monde –, c’est ce retour à un scénario d’inflation très marqué et rapide. On voit aussi une montée des tensions internationales, même si on espère toujours que la diplomatie l’emportera. Au niveau du Luxembourg et de notre petit territoire, il y a cette crise du logement, qui n’est pas nouvelle, mais qui s’accélère. Enfin, la crise sanitaire a remis en avant le défi environnemental… Bref, la pandémie a redonné de la vitesse à beaucoup de phénomènes déjà présents, mais peut-être moins mis en lumière. Nous ne sommes donc actuellement pas face à un défi, mais face à plusieurs, en même temps.

Quelle sera la clé pour y faire face?

«Sans doute devrons-nous faire des choix qui seront des choix de vie, du moins si nous voulons changer le modèle. Cela demandera de la détermination, de la volonté et, parfois, le fait d’accepter d’en payer le prix.»

Cet article a été rédigé pour  parue le 23 février 2022.

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