Ce matin-là, c’est atelier cuisine. Autour des tables, une poignée de résidentes de l’unité adaptée, réservée aux troubles cognitifs, s’affairent à la préparation d’un mets des plus classiques, en l’occurrence une pizza. Les gestes sont lents, parfois hésitants. Non loin, la lumière d’un four encastré brille déjà. Circulant parmi les vieilles dames, une équipe d’une demi-douzaine de blouses bleues, la couleur de Päiperléck, navigue d’une chaise à l’autre, avec force attentions. Il y a là une orthophoniste, une psychologue. Les mots échangés le sont avec bienveillance, une infinie douceur. Au fond des yeux, un sourire. Une étincelle complice.
Aux murs s’égaillent ici et là des toiles peintes amovibles, dont la composition et l’humeur graphique épousent le mouvement des saisons. Logiquement, le printemps marque le retour des paysages de nature. À Noël, c’est la neige qui s’invite. Les portes entre deux couloirs sont recouvertes d’un trompe-l’œil afin de perturber le moins possible les pensionnaires aux élans fugueurs. Au loin, derrière la baie vitrée, s’étendent les installations sportives du club local de football, le FC Jeunesse Canach. Le dimanche, jour de championnat, certains se pressent à la fenêtre pour assister au match.
De 15 à 1.100 collaborateurs
Inaugurée l’année dernière, la Seniorenresidenz Am Wéngert est la dernière née des sept infrastructures de ce genre déployées par à travers le pays. En 15 années d’existence, l’entreprise familiale n’a jamais cessé de croître. En parallèle, elle s’appuie sur sept centres de jour pour personnes âgées (CJPA), 11 antennes de soins mobiles (SASD), et propose un service de soins palliatifs et un autre de «lits de vacances», pour les personnes âgées isolées durant une courte durée ou souhaitant expérimenter l’hébergement sur place, avant de s’engager plus longuement. Au total, l’entreprise emploie 1.100 collaborateurs.
Ils n’étaient qu’une quinzaine, en 2009, lors de la création de Päiperléck. À l’époque, Robert Hein, son fondateur et instigateur, dispose déjà d’une replète expérience dans le domaine. Seize ans plus tôt, cet ancien professionnel de l’horeca a transformé en logement encadré son établissement Le Chat Botté, à Berdorf, un hôtel de tourisme qu’il dirigeait depuis 1982. «On a commencé à zéro, les choses se sont faites un peu par hasard», se souvient le patriarche.
On a commencé à zéro, les choses se sont faites par hasard.
Le hasard en question, c’est l’hébergement sur un temps long d’une cliente atteinte de problèmes de santé. Sa famille installée au Brésil préférait ne pas la savoir seule chez elle. Bouche-à-oreille oblige, la situation en inspirera d’autres. Avant que Robert Hein décide, en 1993, de renoncer à ses activités de départ et d’effectuer auprès du ministère de la Famille les démarches permettant d’obtenir l’agrément pour basculer son établissement en résidence de logement encadré, c’est-à-dire avec prestations de services et de soins.
«Faire différemment»
«Notre souhait a toujours été de faire différemment que les maisons de retraite, où les gens ont parfois peur de ne plus pouvoir faire ce qu’ils voudraient», se remémore encore Robert Hein, rejoint dès 2006 par ses filles Stéphanie et Isabelle à la direction générale. Le rapprochement familial conduit, trois ans plus tard, à la concrétisation de nouveaux projets, sous l’entité Päiperléck, telle la sortie de terre d’une deuxième résidence seniors, à Rodange. Aujourd’hui, Päiperléck compte plus de 400 pensionnaires. Via ses différentes activités, l’entreprise a accompagné l’an dernier environ 1.500 personnes, dont plus de la moitié dans le cadre de l’offre de soins à domicile.
L’enjeu du vieillissement de la population comme celui de la prise en charge de pathologies entraînant des situations de dépendance, quel que soit l’âge, placent Päiperléck dans l’obligation de compléter sans relâche la palette de ses pratiques et services. En fonction de l’évolution de leur état de santé, les pensionnaires peuvent ainsi changer de lieu d’accueil sans avoir à quitter un environnement sécurisant, où ils ont leurs repères et noué de précieuses routines.
À Canach cohabitent un logement encadré disposant de 74 chambres et appartements et une structure d’hébergement pour personnes âgées (SHPA), avec unité adaptée donc, de 53 chambres et appartements. De toutes les résidences dans le giron de Päiperleck, celle-ci est la plus accessible d’un point de vue financier. Les sept résidences n’ont de toute façon pas vocation à se ressembler. Chacune tente de répondre à des objectifs ciblés.
D’autres équipements sont-ils à prévoir? «On a tous les jours des demandes», répond la directrice Isabelle Hein. «Nous, on regarde les secteurs géographiques où il y a des besoins. Malheureusement, il y a la question des prix. Les terrains sont devenus tellement chers, et les pensions, elles, n’ont pas autant augmenté.»
Discussions politiques
En attendant, «on essaie toujours de s’adapter aux besoins des clients et d’améliorer leur quotidien», poursuit sa sœur Isabelle. À Canach, les équipes viennent de recevoir un instrument de balnéothérapie comparé à une Ferrari, avec technologies dernier cri et option luminothérapie en prime. Les premiers «chanceux» ayant testé ce bain à remous inclinable à souhait en sont ressortis ravis et parfaitement apaisés, paraît-il.
La nouvelle ministre est prête à faire bouger le secteur du troisième âge.
La famille Hein fourmille de bien d’autres idées. Notamment en matière de santé mentale, étant entendu que 40% des pensionnaires présentent des troubles de cet ordre – et même 65% d’entre eux sur la seule résidence de Wiltz.
L’hospitalisation à domicile est une autre piste. Päiperléck y voit un levier pour soulager l’occupation des lits d’hôpital ainsi qu’un moyen de réaliser des économies, les coûts de prise en charge des patients suivis à domicile étant dix fois moins élevés que ceux des patients gardés à l’hôpital, souffle-t-on. «On a plein de propositions pour améliorer la situation. Mais pour ce faire, il faut un ministère de la Santé ouvert à la discussion», glisse Isabelle Hein. Ses premiers contacts avec , nommée en novembre dernier, rendent toutefois la dirigeante optimiste pour la suite: «Je sens que la nouvelle ministre est prête à faire bouger le secteur du troisième âge», annonce-t-elle.
Coin de nature
Pour l’heure, la pizza continue de cuire au four. Au rez-de-chaussée, des effluves de plats mijotés s’échappent des cantines en Inox disposées dans la salle de restaurant aménagée pour accueillir les familles. Les personnels se sont eux-mêmes chargés d’habiller les lieux d’une déco toute printanière. «Ce qu’il y a de facile, ici, c’est qu’une simple idée proposée par quelqu’un peut planter la graine d’un projet plus grand», sourit le responsable d’Am Wéngert, Laurent Meunier. Au-dehors, le jardin qui baigne encore dans un ciel nappé de gris ne demande qu’à accueillir enfin bancs et parasols. Bientôt, il sera plus grand. Bien plus grand. La commune a prévu l’aménagement d’un rapide chemin le reliant directement à la forêt voisine, direction la nature. Le soin apporté à l’autre ne saurait se limiter aux quatre murs d’une résidence. «On construit les maisons du futur», conclut Robert Hein.