Dès ce jeudi 9 janvier, si quelqu’un vous transfère de l’argent, celui-ci devrait apparaître sur votre compte en quelques secondes, à toute heure, même les week-ends et jours fériés. Avec l’entrée en vigueur (progressive) du nouveau règlement sur les paiements instantanés, l’UE veut harmoniser les pratiques dans la zone Sepa (espace unique de paiements en euros). L’objectif: faire des paiements instantanés une norme, plutôt qu’une exception, face à la demande croissante de transactions plus rapides et à l’essor de la banque en ligne. Revue des enjeux en six questions.
Qu’est-ce qui change pour moi?
«Les clients et les entreprises bénéficieront de paiements plus rapides et plus efficaces», souligne l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL). À partir du 9 janvier, toutes les banques de la zone euro devront être en mesure de recevoir des paiements instantanés. Ensuite, à partir du 9 octobre, les banques devront également être capables d’émettre de tels paiements.
«Tous vos transferts d’argent deviennent potentiellement instantanés», résume le responsable de l’innovation commerciale à la Spuerkeess, . «Nos clients ne verront pas de grand changement: tous ceux qui ont une convention S-net peuvent déjà faire de tels paiements.» Jusqu’à maintenant, il n’y avait aucune obligation d’offrir des paiements instantanés à tous les clients pour toutes les transactions Sepa. Les banques pouvaient donc proposer de tels virements uniquement pour certains types de règlements.
Des paiements trop lents?
Au Luxembourg, les clients ne perçoivent pas forcément un problème de rapidité à l’heure actuelle. Mais «le passage aux paiements instantanés améliore l’expérience client», estime Jacques Pütz. «L’instantanéité devient la norme. Je vous envoie de l’argent. Vous le recevez immédiatement, avec une confirmation de paiement. C’est désormais une obligation et c’est une excellente chose.»
Si le règlement européen est une avancée majeure, les paiements instantanés sont encore loin d’être la norme à l’échelle mondiale. Les transferts d’argent vers des pays hors Europe restent complexes et coûteux. Les délais de traitement peuvent aller jusqu’à plusieurs jours. «Cela cause d’énormes problèmes dans la chaîne d’approvisionnement et, en particulier, dans les transactions B2B», déplore le CEO de la Luxembourg House of Financial Technology (Lhoft), . «Actuellement, j’ai davantage de traçabilité et de certitude en envoyant une tasse à Singapour qu’en y envoyant des euros. C’est insensé!»
Quel impact pour les commerçants?
Les commerçants sont également grands bénéficiaires du règlement européen, selon Jacques Pütz: «D’abord à cause de la garantie de paiement. Mais aussi parce que les paiements instantanés, en rendant les transactions plus fluides, renforcent l’attrait des paiements de compte à compte par rapport aux cartes de crédit et de débit. L’expérience client est en effet un élément déterminant dans la manière dont les consommateurs dépensent leur argent.»
Si les paiements instantanés représentent un défi pour les géants du secteur, ils ne les remplaceront pas pour autant, poursuit le spécialiste: «Ces deux systèmes sont complémentaires, chacun a ses atouts. C’est une nouvelle manière de payer qui diversifie l’offre pour les clients. Toutefois, la carte bénéficie d’un réseau établi, fruit d’un développement sur 50 à 60 ans.»
La Place est-elle prête?
«Le secteur bancaire luxembourgeois est bien placé pour relever ces défis», déclare l’ABBL, précisant que «le Luxembourg affiche un rythme d’adoption des paiements instantanés légèrement plus lent que celui des grands pays de l’UE, principalement en raison de la concentration de services bancaires spécifiques (banque privée, gestion de patrimoine, fonds d'investissement) et, par conséquent, d’une demande des clients beaucoup plus faible».
L’Association a mis en place une task force dédiée pour favoriser la collaboration et le partage des connaissances. Elle rassemble des experts de la Commission de surveillance du secteur financier, de la Banque centrale du Luxembourg, de la Banque centrale européenne, des banques et des prestataires de services.
Quelles difficultés pour les banques?
«La mise en œuvre de paiements instantanés 24h/24 et 7j/7 présente des difficultés techniques et opérationnelles importantes», note l’ABBL. La principale est l’adaptation par les banques de leurs systèmes informatiques, conçus pour le traitement par lots (batch processing) et non en temps réel.
Les systèmes de règlement interbancaires, comme Target 2, ne fonctionnent que pendant les heures ouvrables. Il a donc fallu introduire des innovations comme Tips (Target Instant Payment Settlement) pour permettre des règlements en continu. D’autres défis importants s’ajoutent: la gestion continue des liquidités, les contrôles anti-blanchiment (AML), la lutte contre le financement du terrorisme (CTF) et la cybersécurité.
Modifier cet aspect implique de repenser l’ensemble des processus.
«La véritable difficulté, c’est le changement», résume Jacques Pütz. «Le métier de banquier évolue rapidement. Le paiement joue un rôle crucial dans une banque: c’est l’un de ses piliers. Modifier cet aspect ne se limite pas à passer d’une technologie A à B. Cela implique de repenser l’ensemble des processus, tout en respectant les nombreuses exigences réglementaires et de conformité des banques.»
Pour Nasir Zubairi, les paiements instantanés posent deux défis majeurs aux acteurs financiers: leur coût et la gestion de la fraude. «Sans paiements instantanés, en cas de fraude, il est possible de bloquer le transfert d’argent, ce qui facilite la rectification. Les paiements instantanés compliquent les choses car l’argent est déjà transféré.» Les banques doivent donc investir dans des systèmes de détection de fraude et de conformité en temps réel, souligne l’ABBL.
Et la vérification du bénéficiaire?
À partir du 9 octobre 2025, les banques devront vérifier l’identité du bénéficiaire avant de valider un paiement instantané. Cette mesure vise à lutter contre la fraude, en s’assurant que le nom et le numéro de compte du bénéficiaire correspondent aux informations détenues par sa banque. Les résultats de cette vérification sont communiqués au payeur, qui décide d’effectuer ou non la transaction.
Ce processus exige la mise en place de systèmes standardisés et interopérables entre les banques et les États membres. Pour y parvenir, les banques doivent adapter leurs systèmes informatiques à ces nouvelles exigences. Un changement majeur pour elles.