Le pacte vert, ou Green Deal, qui incarnait il y a cinq ans l’espoir d’un nouveau projet politique européen, d’un nouveau modèle économique et d’un nouveau contrat social, incarne désormais une contrainte. Alors que l’enjeu climatique demeure, la politique européenne a changé de statut. Sur le terrain politicien, le pacte vert est devenu une cible, mieux, un lieu de ralliement pour les partis populistes et d’extrême droite. Et la droite traditionnelle, sans remettre en cause la nécessité d’une politique environnementale ambitieuse, ne se prive pas de souligner ses incohérences et son caractère trop «dogmatique». Tout comme une partie de la gauche modérée, au grand dam des Verts.
Une ambition commune en 2019
Le pacte vert, ou Green Deal, a été lancé en 2019 avec comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et d’enrayer la chute de la biodiversité.
Pour ce faire, le pacte avait adopté une approche transversale en intégrant tous les secteurs touchant à l’énergie, aux transports, aux bâtiments, aux déchets, à l’alimentation, à la préservation de la nature ou encore à la politique commerciale. Un texte ambitieux porté par une conjoncture politique favorable. 2019, c’était l’époque d’une forte mobilisation de la jeunesse qui manifestait tous les vendredis pour le climat sous l’impulsion de Greta Thunberg. En 2019, les Verts européens obtenaient leurs meilleurs résultats au Parlement européen en réunissant 9,85% des suffrages et en obtenant 74 sièges, faisant de leur groupe politique le quatrième de l’assemblée. De quoi persuader la nouvelle présidente de la Commission issue des rangs du Parti populaire européen (PPE), Ursula von der Leyen, de faire de l’environnement et du développement durable une priorité de son mandat. Avec des avancées concrètes à la clé, comme le développement des énergies durables – l’objectif fixé est d’atteindre 42,5% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique globale d’ici 2030, contre 32% auparavant –, la fin programmée des véhicules à moteur thermique à l’horizon 2035, la taxe carbone aux frontières et les règlements sur la déforestation importée et la restauration de la nature.
L’heure des déconvenues
Ce volontarisme politique culmine à l’été 2021 avec l’adoption du paquet «Fit for 55», qui porte l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% à 55% d’ici 2030.
La deuxième partie du mandat de la Commission von der Leyen sera moins verte. Son agenda écologique est percuté de plein fouet par les conséquences du Covid et de l’agression russe en Ukraine: le retour de l’inflation et une crise énergétique d’ampleur inédite depuis les années 70. Et à partir de 2022, les déconvenues s’enchaînent. Comme avec la stratégie «de la ferme à la fourchette», au point mort depuis la crise agricole de ce début d’année. Comme encore avec le projet de réduction de moitié des pesticides enterré au Parlement européen. Comme enfin avec l’abandon de la politique de verdissement de la politique agricole commune. Depuis fin avril et un vote au Parlement européen, les subventions créées à l’origine pour favoriser des pratiques agroécologiques ont été transformées en aides sans condition. Ursula von der Leyen est désormais accusée de céder à la pression des partis de droite et des partis populistes qui ne font pas de l’écologie leur priorité.
Ce reflux politique s’accompagne d’un recul de la problématique au classement des préoccupations des citoyens. Selon le dernier sondage Eurobaromètre d’avril 2024, les questions environnementales et climatiques n’arrivent plus qu’en cinquième position des préoccupations des citoyens de l’UE derrière l’Ukraine, l’immigration, la situation internationale et le coût de la vie. Au Luxembourg, les questions d’environnement et de changement climatique se maintiennent en quatrième place des préoccupations des résidents, à égalité avec la santé, qui occupait auparavant la cinquième place, et avec la situation internationale, qui était en sixième position.
Creuser le sillon de l’équité
Remettre la thématique écologique au centre des préoccupations publiques semble passer par un changement de discours. Le discours traditionnel insiste plus sur les risques liés à l’inaction que sur les bénéfices associés à l’action, alors que seuls ces bénéfices peuvent faire accepter les efforts et les coûts des politiques de transitions climatique et énergétique. Et il faut aussi davantage articuler la question sociale avec la question écologique afin d’éviter de donner l’impression que les mesures de transition sont des mesures décidées par de riches citadins inconscients des coûts imposés à la population.
Le nouveau mot clé de la politique climatique est «équité».
C’est ce sillon que creusent le LSAP et déi Gréng. «Je veux travailler pour une Europe socialement juste pour que la transition écologique profite à tous. Pour moi, il est clair que si l’on veut la sécurité énergétique, la sécurité alimentaire ou encore se réindustrialiser, il faut une transition écologique», martèle . «Pour que le Green Deal ne finisse pas vidé de toute sa substance ou dans un tiroir, il faut renforcer les écologistes.»
«Le véritable enjeu, c’est de réussir les transitions digitale et climatique sans exclure les gens. C’est pourquoi nous souhaitons qu’il n’y ait pas de pause dans notre politique climatique et qu’elle profite à tout le monde. Le pacte vert doit avoir un cœur rouge», plaide (LSAP).
Cette notion d’équité dans la transition écologique se retrouve également dans les programmes du CSV et du DP.
«Nous sommes favorables à une protection du climat rentable, socialement équilibrée et équitable, à laquelle chacun peut et veut participer. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle sera soutenue par les citoyens… Nous voulons convaincre les gens par des incitations. Nous ne réussirons à protéger le climat, ce qui est urgent, que si la protection du climat a une connotation positive et est perçue de manière positive. Et si elle est également rentable pour les citoyens et les entreprises», lit-on dans le programme du CSV. Le concept d’équité se retrouve également dans le programme électoral du DP: «Pour s’assurer que la transition climatique soit équitable, il faut apporter un soutien financier et technique aux régions les plus touchées par la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.»
Plus à droite, chez l’ADR et chez déi Konservativ – d’Fräiheetspartei, on dénonce l’approche idéologique. Approche «dont les représentants poursuivent souvent des politiques de redistribution sous couvert de protection du climat et de l’environnement», explicite l’ADR. Ces deux partis prônent une politique climatique et énergétique «réaliste et fondée sur des faits plutôt que comme cela a été le cas jusqu’à présent, sur une idéologie».