Rafal Modrzewski est en passe de réussir son pari avec la start-up finlandaise d’observation de la Terre, qui a ouvert un centre de recherche au Luxembourg l’an dernier. Le Luxembourg y a investi 18 millions d’euros d’argent public. (Photo: Iceye Oy)

Rafal Modrzewski est en passe de réussir son pari avec la start-up finlandaise d’observation de la Terre, qui a ouvert un centre de recherche au Luxembourg l’an dernier. Le Luxembourg y a investi 18 millions d’euros d’argent public. (Photo: Iceye Oy)

Un an et demi après le départ d’Étienne Schneider du ministère de l’Économie, son successeur, Franz Fayot, cultive un certain art de la «discrétion» au sujet des investissements publics dans le secteur du new space. L’ICT Spring qui s’est ouvert ce mardi permet de lever un coin du voile.

La question est simple, la réponse semble compliquée… Dans quoi ont été investis les millions d’euros de l’État et de sa banque d’investissement, la SNCI, dans le secteur du new space depuis les annonces d’Étienne Schneider en janvier 2020, dans lesquelles il vantait les charmes d’une structuration sérieuse des investissements?

Trois ans après la revente pour un euro symbolique des parts de l’américaine Planetary Resources acquises pour 25 millions d’euros, le sujet des investissements de l’État dans le new space est-il tabou? Contacté, le ministère de l’Économie répond qu’il n’a rien à voir avec les stratégies des acteurs privés et qu’il faut s’adresser à la Société nationale de crédit et d’investissement pour avoir une idée des tickets mis dans ce secteur en pleine ébullition, que ce soit par la SNCI, le Luxembourg Future Fund ou le Digital Tech Fund.

Sauf, dit précisément le rapport annuel de la SNCI, que la banque publique a investi aux côtés du ministère de l’Économie dans le fonds Orbital Ventures, créé au Luxembourg par l’américaine Promus Ventures. Les fonds d’investissement se sont rués sur l’appel d’offres public, dit d’ailleurs un bon connaisseur de la problématique. Et le fonds américain ne doit qu’à son tandem expérimenté, Mike Collett et Gareth Keane, d’avoir emporté la mise.

L’EIF, plus gros contributeur devant l’État

Il y a peu, Orbital Ventures a communiqué publiquement, aux États-Unis, sur la clôture de ce fonds à 118,2 millions d’euros – les 70 millions d’euros dont on parlait au départ plus la somme que le Fonds européen d’investissement a ajoutée. Contacté à l’ICT Spring, qui s’est ouvert ce mardi au nouveau Centre de conférences, le manager du fonds, Pierre Festal, indique ne pas pouvoir donner le détail de la liste des investisseurs qui ont participé à son montage. «Le plus gros investisseur est l’EIF (Fonds européen d’investissement)», reconnaît-il toutefois, «et les investisseurs non luxembourgeois ont moins de 10%». Le reste vient de l’État luxembourgeois, confirme-t-il, de la SNCI et d’une série de sociétés privées «invitées» à y prendre part. Soit la BCEE, BGL BNP Paribas, la BIL, OHB, Post Luxembourg et SES, d’ (LSAP) , alors qu’il était déjà accompagné d’un certain (LSAP). À Cannes, dans les locaux de Thales Alenia Space, où une délégation de SES est venue voir son satellite SES17, la responsable de la communication confirme ce lundi que l’entreprise y a participé, comme une manière de rendre au pays ce que ce dernier lui a donné, sans préciser le montant.

Quelques semaines après cette première annonce, début février, et après des mois d’attente et de préparation, l’ex-ministre avait annoncé avoir demandé à la SNCI de mettre 10 millions d’euros supplémentaires dans un autre fonds, New Space Capital, pour que le pays puisse jouer toutes les cartes d’investissement nécessaires – comprenez à toutes les phases de développement des start-up et autres PME. Le montant pourra aller jusqu’à 18 millions d’euros en cas d’opportunités.

La SNCI, dans son rôle d’investisseur habituel, le Luxembourg Future Fund et le Digital Tech Fund – géré par Expon Capital –, Orbital Ventures pour les investissements en amorçage, au début de la vie d’une start-up, et New Space Capital, donc, pour les investissements dans des sociétés en phase de croissance. Si dans chacun de ces cas, évidemment, l’objectif est au minimum de ne pas perdre d’argent public, et si possible d’en gagner – M. Schneider disait espérer une capitalisation à 500 millions d’euros de New Space Capital à moyen terme –, l’idée était aussi d’amener du business au Luxembourg.

20 sociétés du new space en plus au Luxembourg

Si le ministre de l’Économie et ses services n’ont pas voulu communiquer sur le montant des investissements avec de l’argent public, Franz Fayot a indiqué à l’ouverture du Space Forum, ce mardi, que l’écosystème luxembourgeois était passé de 50 à 70 sociétés de l’espace et du new space installées au Luxembourg. Ça n’a pas forcément un lien, mais ça se regarde.

En 18 mois, toutes ces structures de financement ont pris des participations dans une dizaine de sociétés qu’il a donc fallu aller rechercher une par une, quand leur levée de fonds n’est pas couverte, pour le moment, par la finalisation des contrats. C’est le cas de la dernière pépite américaine, dans le géospatial, dégotée par Orbital Ventures. «Un petit ticket», explique M. Festal.

Jusqu’ici, Orbital Ventures a investi dans Isotropic Systems (UK), dans laquelle SES a aussi une participation, Ellipsis Drive (NL), Akasha Imaging (USA), Fernride (ALL), «des tours d’en moyenne 2 à 3 millions d’euros», reconnaît en toute transparence le manager du fonds frère de Promus Ventures.

En février, , levée de fonds emmenée par la luxembourgeoise SES, pour laquelle il s’agit d’un investissement stratégique pour son infrastructure de supersatellites sur deux orbites.

, et emmenée par 10X Capital, «Orbital Ventures a été le deuxième investisseur le plus important», explique M. Festal. Le communiqué semble indiquer que US Promus Ventures est la première aux côtés du directeur technique de BlaBlaCar, Olivier Bonnet.

Deux autres investissements n’ont pas vraiment été annoncés et le seront au cours des deux à trois semaines qui viennent. Pas vraiment parce que les 5 millions d’euros investis dans figurent déjà dans les événements hors bilan du rapport annuel d’Orbital Ventures. La start-up parisienne veut révolutionner la logistique en lui permettant, par la donnée et les algorithmes, de passer d’un mode réactif à un mode prédictif. On comprend très facilement l’intérêt d’utiliser des données de l’espace pour améliorer de la logistique.

, véritable caricature de la «garage start-up» qui s’est spécialisée dans la gestion des déchets et qui a la plus grande base de données d’images de produits à recycler au monde. On ignore encore le montant de la transaction, mais elle a une particularité. Le fonds luxembourgeois doit investir les deux tiers de l’argent qu’on lui a prêté dans des sociétés européennes et un tiers dans le reste du monde, principalement aux États-Unis, où se joue une grande partie du développement du new space. Depuis le Brexit, les investissements dans des sociétés britanniques sont comptabilisés dans cette partie-là de l’enveloppe.

La bonne affaire Iceye

Du côté de New Space Capital, un seul investissement est mentionné: 18 millions d’euros dans la finlandaise Iceye, dans le cadre du tour de table à 66 millions d’euros (87 millions de dollars) de septembre 2020 et auquel a aussi participé le Luxembourg Future Fund, la SNCI (via la néerlandaise OTB Fund Coöperatief) et Promus Ventures (la maison mère d’Orbital Ventures, donc pas avec du capital luxembourgeois). Cette spécialiste de l’imagerie par radar a lancé sa propre constellation.

Tester la microgravité dans un objet de la taille d’un portefeuille, une idée née en 2014 à la Nasa et sur laquelle travaille Yuri Gravity. La start-up allemande a installé son centre de recherche au Luxembourg l’an dernier. (Photo: Yuri Gravity)

Tester la microgravité dans un objet de la taille d’un portefeuille, une idée née en 2014 à la Nasa et sur laquelle travaille Yuri Gravity. La start-up allemande a installé son centre de recherche au Luxembourg l’an dernier. (Photo: Yuri Gravity)

Un bon investissement, pour le Luxembourg. D’autant que la start-up a créé un centre de recherche au Luxembourg en juin 2020. Dans sa courte intervention, le ministre a évoqué deux autres arrivées, qui n’ont a priori pas été financées par les deniers publics: l’allemande , spécialisée dans la démocratisation de la microgravité et qui a gagné quelques prix remarqués, comme celui de l’Agence spatiale européenne en 2020, a enregistré une filiale, Yuri Lux, à Belval, en juillet 2020; et l’américaine Flawless Photonics, qui veut profiter de son arrivée au Luxembourg, en avril 2020, pour lancer un fab lab pour améliorer sa fibre optique de nouvelle génération.

Une dernière société, Hydrosat, est enregistrée au Luxembourg depuis 2018, mais n’y avait pas donné signe de vie, jusqu’à la publication de son rapport annuel, le 27 octobre 2020, pour sa première année et demie de fonctionnement. En juin, la start-up américaine a levé 5 millions de dollars, soit 10 depuis sa création, dont une partie apportée par Expon Capital et le Digital Tech Fund. La société est spécialisée dans les questions d’eau à partir de sa technologie d’infrarouge multispectral et thermique, qui sera lancée avec Loft Orbital sur un SpaceX Falcon 9 en 2022. La société prévoit de lancer une constellation supplémentaire de 16 satellites avec la capacité de balayer le globe entier quotidiennement, générant un infrarouge de qualité scientifique donnée et un produit de température de surface terrestre prêt pour l’analyse.

«Tout le monde sait que l’État luxembourgeois est très fortement impliqué dans le développement du new space», ont claironné tour à tour à peu près tous les orateurs du Space Forum de l’ICT Spring ce mardi. D’autres trouveront à redire à ces 30 à 40 millions d’euros déjà investis. Où placer le curseur pour bien faire? Une question éternelle pour ceux qui sont aux responsabilités. Éternelle, parce qu’elle se posait déjà en ces termes il y a 35 ans, à la création forcée par le gouvernement de SES à grands coups de garantie qui aurait pu ruiner le pays et qui lui a fourni sa plus belle réussite industrielle.