«En reconstituant son histoire génétique, le constat est qu’il n’est pas un descendant direct des variants Alpha, Beta ou Delta», constate Danielle Perez Bercoff, au sujet du variant Omicron. «On estime qu’il aurait divergé à la mi-2021, vers juin. Or, l’Afrique du Sud a rapporté son existence à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 24 novembre, près de six mois plus tard.» (Photo: LIH)

«En reconstituant son histoire génétique, le constat est qu’il n’est pas un descendant direct des variants Alpha, Beta ou Delta», constate Danielle Perez Bercoff, au sujet du variant Omicron. «On estime qu’il aurait divergé à la mi-2021, vers juin. Or, l’Afrique du Sud a rapporté son existence à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 24 novembre, près de six mois plus tard.» (Photo: LIH)

Omicron surprend par son extrême contagiosité et par le nombre très élevé de ses mutations. Ce qui pourrait s’expliquer par son origine: alors qu’il est apparu fin novembre, son histoire génétique situe sa divergence vers juin 2021. Trois hypothèses pourraient expliquer ce saut dans le temps.

L’origine du variant Omicron fait débat: alors que son existence est pour la première fois rapportée fin novembre en Afrique du Sud, l’analyse de son histoire génétique suppose qu’il aurait divergé dès juin 2021. Trois hypothèses pourraient expliquer ce saut dans le temps et le nombre très élevé des mutations de ce variant, selon Danielle Perez Bercoff, virologue et chercheuse au Luxembourg Institute of Health (LIH): l’émergence depuis un individu immunosupprimé, l’influence d’un médicament ou un saut entre espèces depuis un animal.

Des explications qui pourraient permettre de mieux comprendre l’extrême contagiosité d’Omicron, qui impose des mesures de restriction plus fortes dans les pays européens – le Luxembourg lui-même pourrait en . Et de mieux répondre à la menace de potentiels nouveaux variants.

Qu’est-ce qui caractérise le variant Omicron par rapport aux autres variants du Covid-19?

Danielle Perez Bercoff. – «Trois aspects caractérisent le variant Omicron: la quantité et la qualité des mutations, ainsi que le facteur temps. Si on le compare à la souche d’origine de Wuhan de 2020, le variant Omicron est extrêmement muté, beaucoup plus que les autres variants en circulation. Là où il y a une dizaine de mutations pour les variants Beta ou Delta liées à la protéine Spike (la clé qui permet au virus du Covid de pénétrer dans nos cellules, ndlr), il y en a 32 pour Omicron. Et c’est sans compter sur les mutations du génome autres que celles touchant la protéine Spike.

Ces nombreuses mutations sont-elles différentes de ce que l’on a pu voir auparavant?

«L’ADN du virus est composé de quatre bases (A, T, C et G; ou A, U, C et G pour l’ARN, ndlr) qui vont coder le message permettant de fabriquer les protéines du virus. Le plus souvent, ces mutations vont de C vers U. Or, avec Omicron, elles sont allées de G vers A. Une différence qui amène les scientifiques à penser que la cause des mutations n’est probablement pas la même que pour les précédents variants.

En reconstituant son histoire génétique, le constat est qu’Omicron n’est pas un descendant direct des variants Alpha, Beta ou Delta. On estime qu’il aurait divergé à la mi-2021, vers juin.
Danielle Perez Bercoff

Danielle Perez BercoffLIH

Enfin, une des particularités d’Omicron est le facteur temps…

«En reconstituant son histoire génétique, le constat est qu’il n’est pas un descendant direct des variants Alpha, Beta ou Delta. On estime qu’il aurait divergé à la mi-2021, vers juin. Or, l’Afrique du Sud a rapporté son existence à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le 24 novembre, près de six mois plus tard.

Cela fait un saut de près de six mois. Pourquoi ne l’a-t-on pas détecté plus tôt?

«Est-ce qu’il a émergé dans un pays où le système de détection n’est pas bon? En tout cas, l’Afrique du Sud surveille bien l’épidémie: leur système de dépistage et de suivi est aussi efficace qu’en Europe.

Trois autres explications sont possibles. Celle qui me semble la plus probable est celle d’un hôte humain immunosupprimé. En règle générale, le virus ne subsiste pas plus de trois semaines chez l’hôte, ce qui ne laisse pas suffisamment de temps pour que de nombreuses mutations aient lieu. Par conséquent, le virus qui en ressort n’échappe pas très bien à la réponse immunitaire conférée par une infection ou un vaccin.

Mais au sein d’un individu immunosupprimé – qui n’a pas une réponse immunitaire optimale, du fait d’une chimiothérapie ou du sida, par exemple –, le virus peut rester plus longtemps, pendant 3, 4 ou 5 mois. Il a alors le temps d’acquérir de nombreuses mutations.

Au sein d’un individu immunosupprimé, le virus peut rester plus longtemps, pendant 3, 4 ou 5 mois. Il a alors le temps d’acquérir de nombreuses mutations.
Danielle Perez Bercoff

Danielle Perez BercoffLIH

Le traitement antiviral molnupiravir, élaboré par le laboratoire américain Merck pour lutter contre le Covid-19, est aussi pointé du doigt…

«L’objectif d’un tel médicament est de tellement muter le virus que ses protéines deviennent bancales au point qu’il n’a plus la possibilité de se répliquer. Cela pourrait expliquer la présence de nombreuses mutations de G vers T, qui est la signature du molnupiravir. Je n’y crois pas à 100%, mais c’est une théorie qui existe.

Une autre hypothèse est qu’Omicron soit issu d’une autre espèce animale…

«La plupart des virus sont liés à des sauts d’espèces. En 2021, un ou plusieurs individu(s) auraient infecté d’autres espèces animales – des souris, des rats ou de lémuriens. Puis, le virus serait repassé à l’Homme. Il s’agirait d’un changement d’espèces à l’envers. Cela expliquerait le saut de six mois et la qualité des mutations. Mais il n’a jamais été prouvé qu’il y ait eu de transmissions depuis ces espèces vers l’Homme…

En quoi est-il important de découvrir l’origine d’Omicron?

«Savoir d’où il vient est nécessaire pour apprendre à le gérer. Si le molnupiravir était impliqué, il ne faudrait plus le donner en traitement à des patients. S’il s’agit d’une transmission d’espèces, alors il faut que les personnes infectées protègent leur animal domestique…

Omicron est plus infectieux, donc cela implique plus de gens infectés, donc plus de gens hospitalisés.
Danielle Perez Bercoff

Danielle Perez BercoffLIH

L’apparition d’un variant tel qu’Omicron est-elle inquiétante?

«Oui, c’est inquiétant. Omicron est plus infectieux, donc cela implique plus de gens infectés, donc plus de gens hospitalisés. Mais il faut pondérer: ce variant nous inquiète car il échappe partiellement aux vaccins, mais pas totalement. Car, si ces vaccins protègent moins bien contre les infections d’Omicron, ils protègent toujours contre les formes graves.

Quelles sont les solutions pour s’en prémunir?

«Il faut une troisième dose le plus vite possible, car elle remonte la protection contre les infections à 70%. Et, de manière générale, ce qu’il faut faire absolument, c’est vacciner. Avec de bons vaccins, pour toutes les populations, notamment dans les pays en voie de développement. Il y a une nécessité de protection au niveau mondial.

Nous ne retournerons pas à la normale ces prochaines années, malgré les vaccins.
Danielle Perez Bercoff

Danielle Perez BercoffLIH

La situation était déjà précaire avec Delta. Elle s’aggrave avec Omicron. Peut-on envisager une sortie de crise?

«Malheureusement, nous ne retournerons pas à la normale ces prochaines années, malgré les vaccins. Je crois qu’il nous faut changer nos modes de vie et accepter le fait que nos comportements doivent évoluer. L’été est sûrement plus propice pour se relâcher. Mais, durant l’hiver, se retrouver nombreux dans des salles fermées, je crois qu’il faut arrêter cela. Il faut être plus responsable, respecter les gestes barrières et le port du masque. Plusieurs facteurs aideront: la vaccination massive et des comportements prudents pendant l’hiver.»