Les bénéfices d’une entreprise sont soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) au ni­veau de la société mère. Mais celle-ci peut ensuite distribuer ces bénéfices sous forme de dividendes à ses filiales ou à ses actionnaires. (Photo: Shutterstock)

Les bénéfices d’une entreprise sont soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) au ni­veau de la société mère. Mais celle-ci peut ensuite distribuer ces bénéfices sous forme de dividendes à ses filiales ou à ses actionnaires. (Photo: Shutterstock)

Outre la baisse du taux global d’imposition des sociétés, différents ajustements sont avancés pour faciliter le développement de certains secteurs et renforcer l’attractivité du pays. Florilège de propositions.

Taxe d’abonnement

Les organismes de placement collectif (OPC), les fonds d’investissement spécialisés (Fis) ou encore les fonds d’investissement alternatifs réservés (Fiar) sont actuellement soumis à une taxe d’abonnement annuelle à un taux compris entre 0,01% et 0,05% de leurs actifs nets.

«Très peu de pays de l’UE ont instauré une telle imposition et aucune des places concurrentes ne l’a fait. Consciente qu’il s’agit d’un impôt qui reste significatif pour les recettes de l’État, l’Alfi milite pour une refonte graduelle, compte tenu du contexte de pression sur les marges et de baisse continuelle des frais de fonctionnement des fonds», défend , président de la commission fiscalité de l’Alfi (Association luxembourgeoise des fonds d’investissement).

Et de répondre: «Je conçois que l’Alfi défende une diminution – cela fait partie du lobbying –, mais la taxe d’abonnement rapporte un milliard d’euros de recettes fiscales par an. Une abolition ne devrait intervenir que dans une stricte mesure de nécessité absolue.»

Nous avons besoin d’aller de l’avant sur la taxe d’abonnement. Je suis ouvert à la discussion sur ce sujet.

Pierre Gramegnaministre des Finances

Le gouvernement attend en effet 1,027 milliard d’euros de recettes de la taxe d’abonnement en 2019. «L’industrie des fonds ne s’est jamais aussi bien portée au Luxem­bourg. Si l’on perd ces rentrées fiscales, il faudra les prendre ailleurs», lance , avocat à la Cour et associé Elvinger Hoss Prussen.

s’était en tout cas montré concerné par le sujet. «Je suis un ministre des Finances conscient du fait que, si vous avez trop de taxes, vous n’êtes pas attractif. Nous avons besoin d’aller de l’avant sur la taxe d’abonnement. Je suis ouvert à la discussion sur ce sujet», avait-il affirmé en clôture de la conférence européenne de la gestion d’actifs organisée par l’Alfi les 5 et 6 mars dernier.

Une idée circule pour faire évoluer la taxe d’abonnement: «Il est concevable de procéder à des aménagements ponctuels de réduction ou d’exemption sur des pro­duits liés à des initiatives stratégiques pour le Luxembourg. Une telle approche, par exemple pour les fonds d’investissement responsables, accélérerait la croissance sur ce segment et aurait un effet induit positif sur les recettes fiscales indirectes à Luxem­bourg», explique Keith O’Donnell.

La retenue à la source sur les dividendes

Le mécanisme est le suivant: les bénéfices d’une entreprise sont soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) au ni­veau de la société mère. Mais celle-ci peut ensuite distribuer ces bénéfices sous forme de dividendes à ses filiales ou à ses actionnaires. À ce moment-là, la société mère doit prélever une retenue à la source de 15%. «Pour attirer de grandes sociétés, il faut abolir la retenue à la source sur le dividende, comme l’a déjà fait le Royaume-Uni. Cela aura un coût, mais peut attirer les sociétés mères de groupes internationaux vers le Luxembourg», argumente Gerard Cops, partner et tax leader chez PwC Luxembourg.

Cette problématique se pose aussi au secteur des fonds d’investissement: «Il faut des mesures pour les faire rester. Des exonérations spécifiques de cette retenue à la source pour des paiements de dividendes devraient être envisagées. Beaucoup de pays ont déjà prévu cela.» (, tax leader chez Deloitte Luxembourg).

Le recrutement de personnel qualifié

«Dans le cadre du recrutement de certains profils très qualifiés, bénéficier d’une super-déduction allant au-delà de la charge réelle participerait à l’attractivité des talents », affirme Sébastien Labbé, head of tax chez KPMG Luxembourg. Pas sûr qu’une réduction de charges suffise, dans un marché de l’emploi aussi tendu que celui du Luxem­bourg. D’autres incitatifs sont évoqués par Raymond Krawczykowski: «Les profils très élevés touchent déjà des rémunérations importantes. Mais ils ont un emploi du temps réparti sur 10 ou 15 pays, et passent parfois seulement quelques jours par mois au Luxembourg. En Angleterre, par exemple, le système prévoit que toutes les journées travaillées à l’étranger ne sont pas soumises à l’impôt. Il faut s’en rapprocher pour attirer de grosses pointures. Au Luxembourg, si vous êtes basé ici et que vous travaillez 50% de votre temps à l’étranger, 100% sont quand même taxés par le Grand-Duché.»

Autre sujet concernant les ressources humaines: la fiscalité des avantages en nature. «Ils sont imposés sur une assiette trop basse par rapport à la réalité économique et deviennent un mode déguisé de revenu complémentaire. Ces avantages ne doivent pas devenir une incitation financière déguisée», déclare Alain Steichen, avocat à la Cour et partner de Bonn Steichen & Partners.

, ministre de la Mobilité, a néanmoins annoncé, lors d’un déplacement à Metz le 11 septembre, que le sujet serait bien étudié dans le cadre de la prochaine réforme fiscale. Il a indiqué vouloir revoir l’avantage fiscal lié aux voitures de fonction, pour favoriser les véhicules les moins polluants, et aux différents aspects relatifs à la mobilité, comme l’abonnement au train.

La digitalisation des entreprises

Tant les fiscalistes que le patronat estiment que la fiscalité actuelle n’est plus adaptée à leurs besoins dans le contexte de la digitalisation de l’économie et des investissements nécessaires. «Nous disposons aujourd’hui d’une bonification d’impôt pour investissement, qui concerne essentiellement les biens corporels. L’élar­gissement de cette bonification aux acquisitions de droits d’utilisation de logiciels, ainsi qu’aux logiciels ou autres actifs incorporels équivalents développés en interne, pourrait être étudié », imagine Sébastien Labbé, head of tax chez KPMG Luxembourg.

L’ABBL (Association des banques et banquiers, Luxembourg) atteste par ailleurs que ces mesures fiscales en matière d’investissements incorporels bénéficient de manière insuffisante au secteur bancaire. «Dans ce contexte, outre un élargissement du champ d’application de la bonification d’impôt pour acquisition de logiciel, il serait opportun d’instaurer des crédits d’impôt visant à favoriser l’embauche de personnel qualifié en matière de nouvelles technologies ou la reconversion du personnel dont les emplois sont impactés par les évolutions technologiques», détaille , secrétaire général de l’ABBL.

Les start-up

Afin d’encourager les jeunes entreprises innovantes, l’impôt sur le revenu des collectivités (IRC) avait été ramené à 15% pour les sociétés dont le revenu imposable annuel ne dépasse pas 25.000 euros lors de la précédente réforme fiscale.

Concernant les start-up, faire appel à la fiscalité pour attirer davantage de fonds ne fait pas l’unanimité. Certains observateurs estiment qu’il faudrait plutôt aider les jeunes pousses à l’élaboration de business plan soli­des, ou délivrer des incitations fiscales aux investisseurs lorsqu’ils financent la recherche.

Des réflexions sont aussi en cours de manière plus globale au sujet des petites et moyennes entreprises (PME). Notamment autour du 5e plan PME, annoncé en février dernier par , le ministre des Classes moyennes (DP).

L’opposition multinationales/PME

En matière de fiscalité, les PME sont souvent opposées aux entreprises multi­nationales. Mythe ou réalité? «Dire que les multinationales paient moins d’impôts que les PME ne pourrait pas être plus faux. D’après les données fiscales du Conseil économique et social, le pourcentage des recettes fiscales apportées par les PME atteint un montant non significatif par rapport aux grands opérateurs», précise Alain Steichen. Selon ce dernier, les PME paient peu d’impôts – voire pas du tout – du fait qu’elles réalisent peu de bénéfices.

S’il existe un ressenti généralisé des PME contre les grandes entreprises, les différences de traitement fiscal doivent être prises en compte. «Quand on parle de justice fiscale, il faut bien comprendre que les fonctions exercées par une PME luxembourgeoise et [celles exercées par] une société d’investissement d’un groupe multinational sont fondamentalement différentes et entraînent dès lors une fiscalité différente.

Il ne faut pas confondre le traitement fiscal des flux financiers avec celui des activités opérationnelles», atteste Jean-Luc Fisch. L’administration pourrait cependant appliquer un principe de proportionnalité aux PME, par exemple dans le cas des rulings: «Les PME ont autant besoin de sécurité juridique que les grandes entreprises. Or, elles peuvent être amenées à devoir débourser 10.000 euros pour obtenir l’avis de l’administration sur une demande de ruling – plus cher que les honoraires du conseiller qui analyse leur dossier», remarque Gerdy Roose.

Impôt sur la fortune

En 2019, l’impôt sur la fortune dont les entreprises doivent s’acquitter contribuera à hauteur de 670 millions d’euros au budget de l’État.

Les sociétés en appellent à sa suppression pure et simple. «L’impôt sur la fortune est un impôt anti-économique pour les entreprises, qui n’existe plus dans les autres pays. Il décourage le réinvestissement», constate , directeur de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL).

, partner chez Arendt & Medernach, abonde: «Il est illogique qu’une place financière censée attirer les capitaux donne le message fiscal opposé en prétendant taxer les fonds propres des sociétés.»

Les entreprises renâclent d’autant plus en cette période persistante de taux d’intérêt bas. «Personne ne comprend cet impôt, qui donne une image négative du Luxembourg. Un impôt sur la fortune de 0,5% par an était acceptable lorsque les taux d’intérêt étaient à 8%, mais exorbitant dans l’environnement actuel de taux d’intérêt négatifs», estime Gerdy Roose, deputy managing partner, Strategy & Clients chez BDO.

La propriété intellectuelle

Un nouveau régime fiscal en faveur de la propriété intellectuelle a été introduit en 2017. En vertu du lien «nexus approach», le bénéfice du régime de propriété intellectuelle revient désormais aux contribuables qui ont effectivement engagé des activités de recherche et de développement et qui en ont supporté les dépenses. Une exonération de 80% sur le montant net des revenus en provenance des actifs de propriété intellectuelle éligibles (les mar­ques, les dessins et modèles ainsi que les noms de domaine n’en font plus partie), ainsi qu’une exonération de l’impôt sur la fortune s’appliquent.

«La nouvelle loi valorise la R & D avec des retombées économiques, et non pour créer une stratégie fiscale. Le nombre de dossiers éligibles est relativement modeste par rapport aux dossiers par le passé. Mais le gouvernement ne pourra pas l’améliorer sans se mettre en porte-à-faux avec les autres pays», estime Alain Steichen (Bonn Steichen & Partners).

Gerdy Roose (BDO Luxembourg) se montre tout aussi pessimiste quant aux possibilités de faire évoluer ce régime: «Il s’appliquait principalement aux marques. Or, elles ne sont plus éligibles. Le nouveau régime est moins attractif, car adapté aux nouvelles contraintes imposées par Beps. Nous n’arriverons pas à y remédier. Il faut en accepter les conséquences.» Parmi lesquelles une délocalisation de la recherche vers des pays comme l’Inde ou la Russie...