Le transport aérien veut réduire ses émissions de CO2 de moitié d’ici à 2050.  (Photo: Shutterstock)

Le transport aérien veut réduire ses émissions de CO2 de moitié d’ici à 2050.  (Photo: Shutterstock)

Pour Andrea Carzana, gestionnaire de portefeuille chez Columbia Threadneedle Investments, les SAF sont sur la piste de décollage: «Il ne leur manque plus que la technologie, la volonté politique, la pression des actionnaires et le développement de mandats pour pouvoir prendre leur envol.»

Le transport aérien s’est fixé pour objectif de réduire, d’ici à 2050, ses émissions de CO2 de 50% par rapport à leur niveau de 2005. Trois pistes sont envisagées pour y arriver: l’amélioration des performances des avions eux-mêmes; une meilleure gestion du trafic, et l’utilisation de carburants d’aviation durables (SAF, pour «sustainable aviation fuels»).

Les experts estiment que la moitié des gains attendus viendra de ces SAF. Selon l’Association du transport aérien international (IATA), ils ont l’avantage de ne pas avoir à changer les moteurs et les infrastructures actuelles et peuvent réduire les émissions de CO2 de 80% par rapport au kérosène sur l’ensemble de leur cycle d’utilisation. Leur développement est également plus avancé que celui de l’avion à hydrogène attendu pour 2035, et qui se heurte encore à de nombreuses barrières technologiques, ou celui des avions électriques, qui impliquent des infrastructures et des technologies entièrement nouvelles, tant au niveau des appareils eux-mêmes que des aéroports.

Les SAF sont issus de la biomasse, notamment des déchets destinés à la mise en décharge, tels que les huiles de cuisson usagées et les graisses animales éliminées, et peuvent actuellement être mélangés à 50% avec le kérosène. Et l’industrie vise 100% d’ici à la fin de la décennie.

Le problème des SAF n’est pas technologique. Il tient à la faible disponibilité actuelle et aux coûts de production, encore très élevés. En 2019, ils représentaient moins de 0,1% des 360 milliards de litres de carburant utilisés par l’aviation. Et ils ne sont disponibles continuellement que dans quelques aéroports: Los Angeles, Oslo, Stockholm et Brisbane. Or, les ambitions élevées affichées pour l’utilisation des SAF induisent d’en produire, d’ici 2050, 500 millions de tonnes. Les projets de production se multiplient toutefois, portés par des entreprises comme la finlandaise Neste, les américaines Gevo ou Phillips 66, Shell et Total. Mais on reste encore loin du compte.

Le prix est également un frein. Si le kérosène coûte 400 euros la tonne, le biocarburant est facturé à 1.500 euros. Sur un Paris-New York, si on mettait 1% de biocarburant, le prix du billet aller-retour augmenterait de 5 dollars.

Évolution inévitable

Pour Andrea Carzana, l’évolution vers une aviation durable est inévitable. En 2019, le secteur aérien a absorbé 8% de la production totale de pétrole, soit 7,5 millions de barils par jour. Et il s’attend, toutes choses restant en l’état, à une consommation de 14 millions de barils par jour en 2050, «soit une quantité de pétrole plus importante que la consommation de la Chine en 2019». Et les SAF sont la solution et favoriseront la transition vers les avions électriques ou à hydrogène, «qui ne seront pas disponibles avant plusieurs décennies».

«L’une des principales différences entre l’aéronautique et l’automobile réside dans l’énorme quantité de capitaux immobilisés dans la flotte aérienne existante, des actifs viables pour les 20 à 30 prochaines années, et dont le remplacement serait prohibitif. En outre, la technologie est trop spécifique pour que ces appareils puissent fonctionner avec différents carburants. Il s’agit donc de trouver un produit qui puisse être directement utilisé dans le réservoir existant. Les SAF répondent à cette exigence.»

Le marché est pour l’instant en phase de démarrage et de taille modeste. «Mais plein d’opportunités pour les investisseurs.»

Des opportunités liées d’abord à sa taille, appelée à croître fortement. Andrea Carzana estime la demande à 11 millions de tonnes rien qu’en Europe d’ici 2030. Mais surtout à l’impact réglementaire lié aux thèmes de la décarbonisation et de la durabilité. Réglementation soutenue par le secteur de l’aviation lui-même.

Cercle vertueux

«Les SAF restent coûteux, mais l’obligation d’utiliser des mélanges pourrait les faire entrer dans les mœurs d’ici le milieu de la décennie en cours», résume-t-il. «Cela signifie que les gouvernements imposeraient une certaine proportion de SAF dans la consommation des compagnies aériennes. Certains pays ont déjà pris des mesures en ce sens: la Suède impose un minimum de 0,5% de SAF en 2021, et la France, 1% en 2022. Les Pays-Bas envisagent une réglementation imposant un ratio de SAF de 14% d’ici 2030. Dans l’UE, l’initiative ReFuelEU devrait être annoncée en juillet 2021. Elle aura probablement pour objectif des niveaux de mélange de 2% en 2025 et de 5% en 2030, tandis que le président Biden se voit pressé d’introduire un mandat panaméricain de 1%. Lorsque les mandats seront introduits et progressivement augmentés, et que les réglementations auront été revues en mieux, l’évolutivité entraînera une réduction des coûts et une adoption encore plus grande, créant un cercle vertueux.»

La pression des consommateurs finaux jouera aussi son rôle. «Les passagers et les entreprises, sous la pression d’investisseurs de plus en plus sensibles aux questions ESG, peuvent obliger les compagnies aériennes à réduire leur empreinte carbone et accepteront des hausses de prix temporaires en raison de ce coût. On estime qu’un mélange à 2% pour un vol de trois heures coûterait à chaque passager 2 dollars de plus.»

Une broutille pour un effet de levier formidable.