Pour Xavier Pichon et Corinne Lozé, plus question «d’enfermer» le client: c’est libre qu’il fait le choix de rester, assurent-ils. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Pour Xavier Pichon et Corinne Lozé, plus question «d’enfermer» le client: c’est libre qu’il fait le choix de rester, assurent-ils. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Corinne Lozé et Xavier Pichon sont les CEO d’Orange Luxembourg et d’Orange Belgique. Deux marchés sur lesquels l’opérateur occupe la troisième position. Dans l’ombre du géant français, les deux dirigeants se retrouvent à la tête de «start-up des télécoms». Interview croisée.

La première est Française et travaille au Luxembourg. Le second, Français également, œuvre en Belgique. Challengers des poids lourds de leurs pays respectifs, Corinne Lozé et Xavier Pichon collaborent sous la bannière de la même marque – mondiale – Orange, mais pas tout à fait dans la même boutique.

Pour répondre aux attentes de leurs marchés respectifs, pas question de proposer les mêmes solutions aux demandes en apparence similaires. Sauf à considérer que les opérateurs doivent donner la main à leurs clients.

Un tournant qu’ils ont illustré, ce mardi, en marge de la conférence Connecting Tomorrow, où leur stand commun, entre celui de Post et celui de Telindus, a proposé des technologies comme la nouvelle génération des hologrammes ou le wifi par la lumière. 

M. Pichon, où en sommes-nous avec la 5G, en Belgique?

Xavier Pichon (CEO d’Orange Belgique): «Ça avance. Chaque région fait un peu comme elle le souhaite sur ce sujet complexe. Les normes d’émissions sont un sujet, parce qu’en Belgique, elles ne sont pas identiques selon les régions. Deux régions ont finalisé leur dispositif et les enchères sont attendues au deuxième trimestre 2022.

C’est loin d’être dans les temps par rapport aux objectifs européens, non?

X. P.: «On a du spectre temporaire. Nous, on a fait le port d’Anvers, qui est l’expérimentation B2B sur laquelle on a beaucoup de retombées positives. Les vrais déploiements seront consécutifs au fait qu’on ait des enchères, du spectre et puis surtout les ‘core networks’ autonomes, qui vont vraiment délivrer de l’expérience 5G. Sur le B2B, ça permet de mettre en œuvre le partage de réseau, le ‘slicing’. Et sur le B2C, ça permet, quelque part, de faire marcher de façon autonome les fréquences 3,5-3,6 et puis ça permet de délivrer des services innovants. En Belgique, on n’y est pas, à la différence du Luxembourg. C’est fantastique parce que cela nous permet d’avoir aussi un retour d’expérience.

Ce qui nous intéresse, c’est qu’il se passe sur la 5G ce qu’il s’est passé sur la 4G, avec des services qui naissent des capacités d’un réseau.

Corinne LozéCEO d’Orange Luxembourg

C'est quelque chose que vous observez avec attention?

X. P.: «Oui! Ça nous intéresse aussi parce que c’est l’angle que nous avons pris au Luxembourg, notamment pour ce qui est du gaming et du football. Nous attendons des retours d’expérience un peu plus riches pour la fin de l’année.

Mme Lozé, qu’attendez-vous exactement? Davantage de clients qui passent à la 5G? De plus gros volumes de données utilisées?

Corinne Lozé (CEO d’Orange Luxembourg): «Nous avons plutôt l’idée de développer davantage de services. Ce qui nous intéresse, c’est qu’il se passe sur la 5G ce qu’il s’est passé sur la 4G, avec des services qui naissent des capacités d’un réseau. Pour l’instant, nos clients ont accès à la 5G sans coûts supplémentaires, ce sont les mêmes offres et cela leur permet de tester. Au-delà de mettre la 5G, nous basculons tout le réseau, 2G-3G-4G, avec l’objectif de décommissionner la 3G. Nous basculons tout en Nokia. Nous sommes sur de nouveaux équipements. Il y a un enjeu de qualité de réseau avec des équipements plus neufs. Ça a commencé et ça va se poursuivre dans les trois années qui viennent. Ce qu’on teste, c’est un engagement fort du groupe, c’est jusqu’à quel point le fait de basculer en 5G nous permet de contenir les dépenses d’énergie, qui, pour un opérateur, sont un vrai sujet. Avec les prix de l’énergie qui explosent, l’enjeu, pour nous, est de rester ISO énergie avec une consommation plus importante.

En fait, c’est du Nokia qui remplace du Nokia?

C. L.: «Non, c’est du Nokia qui remplace du Huawei. 

Comment vous positionnez-vous, l’un et l’autre, par rapport à Orange France? L’image de la société demeure toujours un peu compliquée à appréhender.

C. L.: C’est une question que j’adore. La marque Orange est internationale. J’ai passé beaucoup de temps en Afrique et, pour moi, Orange est africaine. Souvent dans le monde, Orange est parfois le deuxième opérateur, rarement le troisième. Au Luxembourg, nous sommes troisièmes effectivement. Nous nous devons de défendre une marque, mais de nous positionner de manière beaucoup plus digitale encore. Nous voudrions être une entreprise très très innovante et très digitale, mais portée par la marque Orange.

Si vous ne donnez pas d’exemple, est-ce que ça ne reste pas de la communication, loin des préoccupations du grand public?

C. L.: «Ce n’est pas compréhensible... jusqu’à ce que cela existe. Les applications bancaires ne marchent plus sur la 3G, elles ne marchent que sur la 4G, et pourtant, nous aurions eu cette discussion sur la 4G de la même manière. Tant que les applications ne naissent pas sur une typologie de réseau, les gens se demandent ce que ça change. De toute façon, on n’a plus assez de capacités pour faire face aux besoins liés à la 4G.

Dans le cadre de l’Orange Fab, nous allons relancer un appel à projets au Luxembourg dédié à la 5G. On a besoin de la créativité.

Corinne LozéCEO d’Orange Luxembourg

Cela ne parle pas au consommateur lambda.

C. L.: «Je suis persuadée que le fait qu’il y ait très très peu de latence va nous offrir de nouveaux services. Nous travaillons beaucoup en synergie croisée avec la Belgique et avec Xavier (Bettel, ndlr). Nous sommes dans un pays où les start-up sont très encouragées, elles ont beaucoup de moyens. Pour Orange Fab, qui a lieu dans les deux pays, nous allons relancer un appel à projets au Luxembourg dédié à la 5G. On a besoin de la créativité. Des start-up viennent à nos bureaux pour tester la 5G.

X. P.: «Orange, c’est une marque globale, mais ce n’est pas une boîte globale. On n’a pas, comme Coca, X recettes qui sont appliquées auprès de pays distributeurs. Le marché des télécoms n’est pas le même selon où vous vous trouvez. La stratégie est d’avoir les mêmes valeurs, les mêmes accroches technos partout, mais de s’adapter. Vous ne pouvez pas avoir les mêmes offres ni le même positionnement. Nous souffrons, nous, comme au Luxembourg, d’être troisièmes. Notre rôle n’est pas d’avoir le même positionnement qu’Orange France. Nous n’en avons pas les mêmes atouts. Nous avons d’autres atouts. La position de leader digital que prend le Luxembourg est copiée par la Belgique. Sur un certain nombre de sujets, nous utilisons des moyens communs. Nous allons développer un écosystème autour du digital ou de la 5G. Pour un consommateur qui fait France-Benelux, ce ne sont pas les mêmes offres, mais vous allez retrouver des thématiques et un ADN identiques. C'est un avantage par rapport à nos concurrents respectifs qui ne sont pas des boîtes internationales. Si nous étions comme Coca, cela nous ferait manquer pas mal d’opportunités. 

20% de nos clients, qui sont ‘mobile only’, voulaient disposer en Belgique de ce type d’offre qui existe ailleurs. Nous n’avons pas ce type d’intérêt au Luxembourg.

Xavier PichonCEO d’Orange Belgique

À force de tanguer d’une jambe nationale sur une jambe française, on finit par tomber...

X. P.: «Non, pourquoi? Prenez l’expérience mise en place au Luxembourg sur le streaming commerce, on va l’importer en Belgique où nous avons lancé une bibande, alors qu’il n’y en a pas ici. Nous profitons de la richesse des différents marchés pour faire du pick-up sur ce qui nous intéresse. Nous considérons que c’est un modèle plus intéressant qu'un modèle global avec les mêmes offres partout. 

Avec le lancement de votre nouvelle offre, «Hey! », en Belgique, une offre low cost...

X. P.: «De nouvelle génération. Digitale. Pas low cost!

Pourrait-on imaginer cette offre au Luxembourg?

X. P.: «Ce type d’offre existe dans beaucoup de pays d’Orange. C’est un bel exemple de synergie entre les pays. Ça existe non seulement en France depuis dix ans, ça s’appelle Sosh, mais aussi en Pologne, en Espagne... L’offre répond à un certain nombre de critères qu’on appelle ‘clients’. Nous avons interrogé notre clientèle. 20% de nos clients, qui sont ‘mobile only’, voulaient disposer en Belgique de ce type d’offre qui existe ailleurs. Nous n’avons pas ce type d’intérêt au Luxembourg. Les expériences sur le digital, les e-shops, la partie commerce sont en prise avec les attentes des clients luxembourgeois. 

Comment opère-t-on pour de petits marchés?

X. P.: «Avec toute la partie data et IA, vous avez les outils pour voir si des clients sont contents, pourquoi les clients vous ont quitté, pourquoi des prospects sont prêts à vous rejoindre. 

C. L.: «Ce qui est important, c’est d’avoir l’avis du client sans filtre. Sans notre propre filtre. 

X. P.: «Les réseaux sociaux sont une manne d’informations intéressantes. Nous y voyons les commentaires de nos clients et des clients de nos concurrents de manière transparente. C’est scruté par tout le monde. Approche pragmatique, stratégie globale, mais application locale.

Le curseur est là: ce n’est plus ‘j’ai combien de minutes ou de SMS pour tant d’euros?’ mais ‘est-ce que je vais pouvoir exister dans un monde de plus en plus connecté?’.

Xavier PichonCEO d’Orange Belgique

«Hey!» concurrençait une offre de votre propre marque. Pensez-vous qu’il va falloir un doctorat en droit des assurances pour pouvoir comparer les offres simplement? La chute des tarifs en raison de l’abandon du roaming n’a pas forcément réglé cette question.

C. L.: «Je m’inscris en faux. Toute la démarche que nous avons faite ces trois dernières années était justement de simplifier, pour nos clients, pour nous-mêmes, pour être mieux en mesure de répondre. Aujourd’hui, nous n’avons que quatre offres. C’est illimité et sans engagement. La seule question qu’il vaut mieux se poser est ‘qu’est-ce qui se passe à l’étranger?’.

X. P.: «Sur nos sites internet et dans nos plaquettes, c’est assez simple et il y a assez de comparateurs. Les nouvelles générations ont une forme d’acuité assez impressionnante à comparer les offres. Les paquets de data sont quasiment l’élément de comparaison et de choix. Ce qu’on voit apparaître, ce sont les atouts de ces offres, les quelques éléments qui deviennent les seuls éléments de comparaison. Nos clients ne vont pas regarder pour combien ils en ont de minutes, mais chercher une offre généreuse en data. Avec le roaming et le voyage. Le deuxième élément est ‘est-ce qu’on va m’écouter?’, c’est-à-dire ‘quel moyen j’ai de dire à mon opérateur que je suis content ou que je ne suis pas content, que j’ai un problème?’. Tout un tas de comportements émergent. Le service client était un ‘pain point’, il est renversé comme un moyen d’expression. Le recyclage des terminaux est un point à prendre en compte dans toutes les offres qui sont dessinées pour avoir le moins d’impact carbone possible. Le curseur est là: ce n’est plus ‘j’ai combien de minutes ou de SMS pour tant d’euros?’ mais ‘est-ce que je vais pouvoir exister dans un monde de plus en plus connecté?’. La mutation est que nous voulons que les clients prennent la main! Orange est en avance, les expériences d’Orange Luxembourg dans ce contexte sont importantes.

En clair, cela veut dire quoi?

X. P.: «Ce n’est pas une pizza! Mais vous pouvez choisir entre trois ou quatre offres. Vous êtes libre, vous pouvez changer d’offre, vous pouvez dire que vous êtes content ou pas... Nous allons travailler comme cela en interne. Les équipes marketing sont préparées pour prendre en compte les réactions des clients de manière dynamique. Toute la partie IA est préparée au Luxembourg. On fait évoluer nos technologies mais aussi la manière dont nous parlons à nos clients. Nous devons intégrer de la technologie pour parler de cette manière-là à nos clients. Nous investissons au Luxembourg. Ce dont parle Corinne, ce sont des investissements considérables pour les 10-15 ans à venir.

Pour le stream ‘commerce’, nous ne savions pas si cela plairait aux clients de voir un vendeur. C'est incroyable: la majorité des clients passent en vidéo. Les vendeurs adorent aussi. Ils sont très heureux d’avoir ce genre de relation avec les clients.

Corinne LozéCEO d’Orange Luxembourg

C. L.: «Cet esprit de choix remonte de nos clients. Ça vient de la simplicité des applications: de plus en plus, les gens souscrivent une application, l’arrêtent, la reprennent, avec des options en plus ou en moins. Tout le monde a pris cette habitude, plutôt que d’obliger le client à prendre un abonnement pour deux ans. Apporter cette souplesse demande des investissements, mais c’est ce que veulent les clients. Les offres sans engagement sont moins souvent résiliées. 

X. P.: «C’est l’inverse du modèle des 15 dernières années. Il faut que les clients fassent confiance à leur opérateur. Notre objectif n’est pas d’avoir des clients mécontents! Aujourd’hui, un client qui paie trop cher est forcément mécontent. À un moment donné, il vous quitte.

Avec la concurrence, la disparition du roaming et les gros investissements d’infrastructure pour passer à la 5G et plus tard à la 6G, les opérateurs doivent avoir des difficultés à dégager des marges, n’est-ce pas?

C. L.: «C’est tout l’enjeu des opérateurs. C’est une industrie qui demande beaucoup d’investissements. C’est d’autant plus sensible que vous êtes dans un pays qui compte peu d’habitants. 60 millions en France, 14 millions en Belgique et 600.000 au Luxembourg. Il faut réussir à être extrêmement agiles et concentrés sur ses priorités. C’est ce que nous avons fait ces trois dernières années. Faisons moins de choses, mais très bien. Pour le stream ‘commerce’, nous ne savions pas si cela plairait aux clients de voir un vendeur. C’est incroyable: la majorité des clients passent en vidéo. Les vendeurs adorent aussi. Ils sont très heureux d’avoir ce genre de relation avec les clients. Sur les technologies qui sont importantes, on a confié certaines parties à la Belgique et nous les reprendrons une fois que cela sera mûr, comme tout ce qui concerne l’internet des objets. On pourrait investir là-dessus, il ne fait aucun doute que c’est un sujet porteur, mais nous l’avons mis en stand-by au Luxembourg. On pourrait mettre en place plus d’offres, plus de services, mieux accompagner une typologie de clients.

X. P.: «Dans une industrie gourmande en Capex, en investissements, c’est l’effet d’échelle qui joue un rôle. La position de numéro 3 au Luxembourg et de numéro 3 en Belgique, dans des pays frontaliers, permet de passer un cran en termes de taille et d’effet d’échelle. La réponse est dans la recherche de synergies croisées. Parfois, le Luxembourg est en avance, parfois, la Belgique est en avance. Et nous essayons de piocher chez l’un et chez l’autre. Derrière, l’objectif est d’adapter tout cela en fonction de ce que veulent les clients. C’est aussi très enrichissant pour nos salariés. Ça permet d’aller vite. C’est plus compliqué avec la France, non seulement parce que les marchés sont complètement différents, mais aussi parce qu’on y est numéro 1. 

C. L.: «L’exemple du lifi est un bon exemple.

Y. P.: «La France n’a pas non plus de stream ‘commerce’. Nous sommes très fiers de nos actions par rapport à nos concurrents dans les deux pays!»