«Vous êtes bien élogieux à l’égard d’un représentant patronal, président du Conseil économique et social du Luxembourg.» La rencontre organisée par l’Institut de la Grande Région au beffroi de Thionville n’a pas démarré depuis un quart d’heure que Jean-Jacques Rommes régale la trentaine d’invités «institutionnels» d’un rendez-vous destiné à construire des ponts entre les deux pays.
Une fois que Guy Keckhut a fini de dresser le portrait de son invité, l’intervention est sans langue de bois. Florilège de morceaux choisis.
Sur la montée des populismes: «Les Européens oublient à quel point ils vont bien! Il n’est pas facile d’aller mieux que cela, mais leur état d’esprit favorise la montée des populismes.»
Sur le dialogue social: «Le dialogue social est très différent selon les pays, que vous soyez en Allemagne, en France ou au Luxembourg. Ce que je reproche à la représentation syndicale, en France, c’est d’ignorer les contraintes économiques de l’entreprise et de trop voir dans leur action une lutte des classes! S’il y a ça, il n’y a pas que ça! La grande majorité des entrepreneurs veulent que l’entreprise aille bien pour que leurs salariés aillent bien!»
Sur la nouvelle version du dialogue social proposée par : «Il faut faire attention au narratif syndical. Nous étions en comité permanent du travail et de l’emploi. Avec plusieurs ministres. En train de négocier les nouveaux projets de loi. Si tout le monde est en faveur du progrès social, nous devons étudier combien cela va coûter aux entreprises. Prenons un exemple: si le temps partiel devient un droit au lieu d’être l’objet de négociations, ‘sur quoi je vais négocier maintenant’, a dit Nicolas! Sa stratégie découle de ce moment-là. C’est du bon sens.»
Sur le discours sur l’état de la Nation de : «C’est facile... Il se pose en avocat de l’unité du pays. Il veut éviter que le dialogue social ne s’envenime. S’il n’a pas tort, cette approche est un peu simpliste.»
Sur le changement climatique: «Nous en sommes tous à une prise de conscience. Mais soyons honnêtes: il ne s’est rien passé. Le Premier ministre passe dix minutes à décrire les difficultés sur un ton alarmant, mais nous ne faisons pas grand-chose. Les entreprises ont bien compris que d’ici 2050, elles devront avoir arrêté d’émettre du CO2, mais il faut qu’elles aient une lisibilité sur la stratégie nationale, comme dans le domaine fiscal. Les zigzags politiques sont difficiles à gérer dans le monde de l’entreprise. Les entreprises ont déjà fait beaucoup d’efforts sur les choses faciles, mais maintenant, elles vont devoir changer de technologies.»
Sur les trois milliards d’euros d’investissements annoncés: «Oui, c’est une bonne chose, le plus grand plan jamais annoncé au Luxembourg. Mais cela ne représente jamais que 14% du budget. Donc 86% vont ailleurs... Nous avons surtout raté le coche de notre propre croissance pendant une vingtaine d’années et c’est ce que nous tentons de rattraper. J’ai de sérieux doutes que nous soyons capables de dépenser tout cet argent!»
Sur la pénurie de main-d’œuvre: «Nous avons écumé la Grande Région. Et tout le monde ne peut pas être informaticien, tout le monde ne veut pas être artisan. Nous allons vers une croissance économique et de personnes. Le problème, c’est que cette hausse de main-d’œuvre ne s’accompagne pas d’une hausse de la productivité, la même aujourd’hui qu’il y a vingt ans... Pire, puisqu’il n’y a pas de hausse de salaire, mais que les loyers augmentent, les salariés s’appauvrissent... Globalement. Ensuite, vous diversifiez l’économie, ça veut dire que vous diminuez la part du secteur financier dans le total, or le secteur financier est le plus productif. Vous devez prendre conscience de cette contradiction.»
Sur les relations du Luxembourg avec la Grande Région: «La Grande Région a un sens, c’est évident. Le Luxembourg vit de la Grande Région et inversement. Le problème, c’est que cette entité n’a pas de gouvernance. Prenons la position luxembourgeoise qui, à la rétrocession fiscale, préfère le co-investissement. Avec qui pourrions-nous décider des projets dans lesquels nous allons investir?»
Sur l’idée de zones franches, peut-être sectorielles (comme la formation des salariés des soins de santé), soumise mercredi par le maire de Thionville, Pierre Cuny: «C’est un sujet passionnant dont discuter avec la France, on pourrait facilement délimiter ces collaborations par un plan bilatéral sur le partage des fruits. Nous sommes favorables au télétravail. Pour que le nombre de jours soit harmonisé sur les pays de la Grande Région. Pour que les entreprises n’aient pas besoin de calculer en permanence ce qu’elles peuvent faire ou pas. Sur les initiatives, la Fondation Idea devrait publier bientôt sa boîte à outils du codéveloppement transfrontalier. Ce sera intéressant.»
Sur les problèmes de train entre le Luxembourg et la France: «Nous devons penser l’infrastructure comme l’infrastructure de la Grande Région. Que l’Europe soit dotée de tant de systèmes de trains, c’est complètement absurde. Les trains qui ne passeront plus à partir de janvier, s’ils ne sont pas équipés, c’est innommable. Je quitte ma casquette du CES pour mettre celle du représentant du patronat une seconde: l’Union des entreprises du Luxembourg a envoyé un courrier au gouvernement à ce sujet. Cela va complètement asphyxier l’économie luxembourgeoise. Ce n’est pas seulement la question de l’emmerdement des salariés. On coupe les veines de l’économie!»
Sur la position, ferme, du ministre de la Mobilité, sur cette question: «À la place du ministre, il y a déjà eu des accidents, dont un très grave, je serais prudent. Si les premiers à souffrir sont les passagers, le ministre a une responsabilité politique. S’il y avait un accident, tout le monde lui reprocherait d’avoir pris une mauvaise décision.»
Sur l’avenir du modèle social: «Le problème majeur est celui de la pérennité du modèle social. Il est financé par la croissance. C’est tout à fait irresponsable! Avant de modifier son modèle économique, le Luxembourg va d’abord devoir modifier ses paradigmes internes pour digérer moins de croissance.»