CEO de Creos, Claude Seywert a été nommé à la tête du groupe Encevo en 2018.  (Photo: Anthony Dehez) 

CEO de Creos, Claude Seywert a été nommé à la tête du groupe Encevo en 2018.  (Photo: Anthony Dehez) 

Entre crise énergétique, inflation galopante et cyberattaque, Claude Seywert, CEO du Groupe Encevo, a dû gérer plusieurs crises de front. Tout en conservant des ambitions intactes.

Encevo (fournisseur et producteur d’énergie, et exploitant de réseaux via Creos, Enovos et Teseos) a terminé l’année 2021 avec un résultat net de 79,7 millions. Vos actionnaires devaient être contents?

. – «C’est un résultat qui est en ligne avec ceux des années précédentes.

L’actionnariat chinois, qui représente un peu plus de 24%, n’était-il pas tout de même un peu plus satisfait que les autres?

«Comme tout actionnaire, les Chinois attendent des dividendes. Pour l’exercice 2021, nous n’en reverserons cependant pas pour pouvoir faire face à l’imprévisibilité des marchés. L’augmentation des prix fait que nos besoins en liquidités ont augmenté. Si la facture est double, il nous faut avoir deux fois plus de moyens en fonds de roulement.

2021 a aussi été une année record en termes d’investissements, à hauteur de 270 millions d’euros…

«Nous avons besoin de pouvoir investir, oui! En 2022, nous n’avons pas non plus ralenti nos investissements dans les réseaux, au cœur de notre stratégie, parce que nous sommes convaincus qu’il faut accélérer cette transition, et non la ralentir. Nous maintenons nos investissements pour faire des mises à jour, pour fournir plus d’électricité, dans les énergies renouvelables… Nous installons de nouveaux câbles, de nouveaux transformateurs. À chaque fois qu’il y a une nouvelle maison ou un nouveau lotissement, il faut un réseau pour connecter les habitants. À chaque fois qu’une nouvelle industrie s’installe quelque part, qu’il y a un plus grand consommateur, il faut adapter l’infrastructure. Nous investissons plus de 100 millions d’euros par an dans les réseaux électriques depuis quelques années, et nous essayons d’augmenter cela. Avec un point d’attention: l’inflation. Tout devient plus cher, y compris les investissements. Creos a des plans d’investissement sur 10 ans et des prévisions jusqu’à 2040, qui sont soumis au régulateur.

Dans ces plans, il y a l’adaptation des infrastructures pour de futurs grands consommateurs, notamment Google et son centre de données. Est-ce que vous êtes prêts à Bissen?

«Nous sommes prêts, nous avons toujours été prêts. Sur le réseau Creos, nous avions une capacité maximale de 1.500 MW en pointe. Nous allons la doubler, pour arriver à 3.000 MW. Google, c’est 200 MW au niveau de ses besoins. Cela donne un ordre de grandeur. Le sujet n’est donc pas tellement notre capacité d’accueillir ou non tel ou tel opérateur sur le réseau. Mais si on mène une transition du pétrole ou du gaz vers l’électrique, il faut créer de la place sur le réseau. C’est cela, le réel enjeu. Notre stratégie reste la même: grandir dans les énergies renouvelables, devenir producteur, puis fournir des produits de plus en plus verts, le tout dans un souci d’efficience énergétique.

Cela explique aussi vos trois associations avec des acteurs locaux dans des infrastructures d’énergies renouvelables?

«Ce sont des joint-ventures avec des partenaires luxembourgeois qui investissent, comme ­Luxtram. Ces installations sont sur leur toit. Nous coconstruisons l’infrastructure, nous faisons le développement, gérons l’opérationnel et la maintenance. L’énergie est ensuite vendue à Creos à un tarif garanti par l’État.

Est-ce que cela vous sert à aller plus vite dans la transformation?

«Oui, parce que nous ne devons pas tout financer nous-mêmes et que nous cherchons toujours des surfaces pour installer des panneaux photo­voltaïques. C’est un win-win parce que, de son côté, notre partenaire a souvent besoin d’un cofinancement, et le rendement est partagé.

Nous voulons être innovants, offrir à nos clients les dernières technologies, mais nous ne pouvons pas tout inventer nous-mêmes.
Claude Seywert

Claude SeywertCEO Encevo

C’est rentable pour Encevo?

«Oui. Sinon, nous ne le ferions pas.

À côté de cela, vous avez aussi investi dans des start-up. Pourquoi?

«Nous voulons être innovants, offrir à nos clients les dernières technologies, mais nous ne pouvons pas tout inventer nous-mêmes. Ces collaborations permettent de travailler en open innovation. Mais il faut être clair: nous n’investissons pas toujours dans ces structures, et quand c’est le cas, nous sommes toujours minoritaires. Encevo n’est pas un incubateur. Nous avons un département de deux personnes qui scrute l’écosystème des start-up en Europe, les technologies qui se développent, puis nous décidons si certaines peuvent être intéressantes sur notre marché, pour nos clients. Un contact peut alors être établi. Parfois, ça en reste là, et parfois, nous mettons en place un démonstrateur pour aller plus loin. Parfois, s’il y a une levée de fonds, nous y participons. L’innovation est un peu décentralisée chez nous parce que nous avons des métiers très différents, entre réseau, fourniture et autres.

L’actualité d’Encevo, c’est aussi la crise énergétique. Quand le Premier ministre annonce, dans le cadre de la tripartite, qu’il va plafonner les prix de l’énergie, cela sous-entend qu’il en a parlé en amont avec les dirigeants du plus grand fournisseur d’énergie au Luxembourg. Or, il semble que vous n’aviez pas été spécialement averti?

«Je n’étais pas à la tripartite… Dans le cadre de la gestion de la crise de l’énergie, nous avons des échanges réguliers avec le ministère de l’Énergie, qui a partagé certaines idées avec nous et avec d’autres, qui nous a demandé si elles étaient techniquement réalistes. Mais nous ne savions pas ce qui allait in fine être proposé, puis négocié, au sein de la réunion tripartite.

Le groupe Encevo repose sur trois piliers qui sont trois entités distinctes. (Illustration: Maison Moderne)

Le groupe Encevo repose sur trois piliers qui sont trois entités distinctes. (Illustration: Maison Moderne)

Plafonner les prix de l’électricité et du gaz veut-il dire que vous devez finalement assumer l’impact financier d’une décision purement politique?

«L’accord de la tripartite prévoit que l’État assumera cette différence née du plafonnement des prix de vente et de la hausse de nos prix d’achat sur les marchés. Normalement, nous ne subirons donc pas d’impact financier. Nous enverrons une facture avec le différentiel à l’État. C’est le milliard d’euros dont le Premier ministre a parlé.

Ce montant vous paraît-il réaliste?

«Oui, du moins dans les conditions que nous connaissons aujourd’hui.

Est-ce que cela est considéré comme une aide d’État?

«Puisque ce plafonnement ne concerne que les clients résidentiels, ce n’est pas une aide d’État, mais un subside, que l’État peut donner. La tripartite ne plafonne pas les prix pour les industriels ou pour les PME. Des aides, autres, sont prévues pour elles.

À la place du plafonnement général des prix, vous auriez privilégié d’autres possibilités?

«Il y a différentes possibilités qui sont étudiées ou retenues par certains pays. Les mesures adoptées par notre gouvernement vont vers un plafonnement général, choisi pour deux raisons: cela limite les factures – surtout pour ceux qui ne peuvent plus payer –, a un effet sur l’inflation, et donc aide l’économie en général de manière indirecte…


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Est-ce que vous connaissez le nombre de ménages qui sont en difficulté avec leurs factures?

«Nous n’avons pas nécessairement ces informations. Si un client ne parvient plus à payer, nous discutons avec les offices sociaux pour trouver une solution. Nous ne percevons que les ménages qui arrêtent de payer. C’est assez limité. Jusqu’à présent, nous n’avons en tout cas pas constaté une défaillance plus élevée dans le paiement des factures.

Comment pouvez-vous anticiper les évolutions des prix de vos achats sur les marchés?

«C’est très difficile, car les marchés sont volatils. Nous pouvons acheter des futures, mais ça peut aussi changer du jour au lendemain.

Vous achetez maintenant pour l’année 2024?

«Pour l’électricité, nous achetons pour 2024-2025. Pour le gaz, nous sommes moins en avance. Nous achetons pour 2024, mais moins. Nous essayons toujours d’être assez en avance pour bénéficier d’un certain effet de lissage sur les prix.

Qui gère cela chez vous? Une équipe d’acheteurs est-elle dédiée à ces opérations?

«Nous avons une salle des marchés, comme dans une banque. En continu, des opérations sur les bourses de l’énergie y sont effectuées, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Notre responsabilité tient en la gestion du risque, et nous avons mis en place des règles assez strictes. Mais je reconnais qu’avec les conditions de marché que nous subissons depuis un an, c’est un peu plus stressant.

Claude Seywert est né en 1971 à Luxembourg. Il a étudié la physique à l’Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich. Puis effectué une spécialisation en aéronautique au California Institute of Technology, où il a été enseignant et assistant de recherche. (Photo: Anthony Dehez) 

Claude Seywert est né en 1971 à Luxembourg. Il a étudié la physique à l’Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich. Puis effectué une spécialisation en aéronautique au California Institute of Technology, où il a été enseignant et assistant de recherche. (Photo: Anthony Dehez) 

Le grand public ne connaît pas du tout cette mécanique d’achat et de vente…

«Le grand public ne se pose pas de question: l’électricité “sort” de la prise. La crise actuelle va certainement permettre de mieux se rendre compte de la valeur de l’énergie, que ce n’est pas quelque chose qui est toujours disponible, mais qui a un prix. Il faudra donc faire attention à ce que le plafonnement des tarifs, qui était absolument nécessaire, ne diminue pas l’incitation à réduire la consommation. Il faut quand même considérer que, si les prix explosent, c’est parce qu’il y a un déséquilibre entre la demande et l’offre. Il faut réduire un peu la demande, sinon on ne reviendra jamais à l’équilibre. Néanmoins, l’électricité n’est qu’une part mineure de la consommation totale en énergie. Si on transfère tout vers l’électrique, il faut réduire la consommation per capita. C’était déjà modélisé dans le plan Rifkin, selon lequel la consommation devait rester stable alors que la population doublait. Implicitement, cela signifie une amélioration de l’efficacité énergétique de 50%. Le switch vers le renouvelable, il n’y a pas à discuter, il faut y aller. Peut-être qu’il faut y aller un peu plus vite maintenant.

Certains pays qui étaient pour une sortie du nucléaire font pourtant machine arrière…

«À court terme, c’est une réponse adéquate pour réduire la différence entre offre et demande. Sur le long terme, conserver le nucléaire n’apporte pas grand-chose. Je ne crois pas à un renouveau en matière nucléaire.

Même avec les nouvelles générations de réacteurs?

«Aussi longtemps que nous n’aurons pas de vraies réponses concernant quoi faire des déchets nucléaires, je ne considère pas cela comme une alternative.

dans la nuit du 22 au 23 juillet, vers 3h. Une première intrusion aurait cependant eu lieu en juin. Pouvez-vous confirmer ce déroulement des faits?

«Je ne peux pas vous confirmer cela.

L’attaque avérée a eu un réel impact. Avez-vous recouvré 100% de vos capacités?

«Nous avons retrouvé un fonctionnement normal. Évidemment, nous devons déplorer quelques retards, car nous n’avons pas pu travailler sur certains projets informatiques ou autres.

Vous avez payé une ?

«Non.

Vous avez donc, en ce sens, suivi les recommandations des autorités?

«La décision de ne pas payer a été prise par notre comité de direction. Nous étions confiants suite à notre propre analyse de la situation. Chez Encevo, nous disposions de back-up complets et propres. Dès lors, à quoi bon payer? Mais nous avons déposé plainte, et la police mène son enquête.

Est-ce que vous monitorez le dark web afin de repérer des données qui pourraient être mises en vente?

«Nous collaborons avec la Cyber Emergency Response Community Luxembourg, les security operations centers… Si des bribes de données apparaissent à droite ou à gauche sur le dark web, nous espérons les voir. Nous travaillons aussi avec le Haut-Commissariat à la protection nationale et la Commission nationale pour la protection des données sur ce data leak. Des rapports intermédiaires ont déjà été rendus, et un rapport final sera aussi déposé, après que les experts externes que nous avons mandatés auront rendu leur analyse.

Tout patron d’entreprise doit comprendre quels sont les systèmes et les données critiques pour le fonctionnement de sa société, mais aussi ceux qui le sont pour ses clients et ses partenaires.
Claude Seywert

Claude SeywertCEOEncevo

Il y aurait des données particulièrement problématiques parmi celles qui ont été volées: des codes d’accès à des bâtiments, des photos de ces accès…

«En ce qui concerne les données dites “identifiables” – noms, adresses, parfois un numéro de téléphone ou un Iban –, avec la CNPD, nous avons informé toutes les personnes concernées. Pour le reste, nous n’avons rien identifié de critique, dans le sens où cela pourrait nuire gravement. Des plans, explications techniques… on ne sait en réalité pas faire grand-chose avec ces éléments.

Les hackers sont entrés dans vos systèmes via un de vos employés?

«L’intrusion initiale a été rendue possible par le compte d’un fournisseur, un sous-traitant qui a été piraté chez lui, mais qui était habilité chez nous.

Combien de temps s’est-il écoulé entre le moment où ce fournisseur a perdu ses accès et celui où on a repéré le hacker dans votre système?

«Il est très difficile de le savoir. Mais entre le moment où le hacker est entré chez nous et celui où nous l’avons repéré, moins de deux heures se sont écoulées, en pleine nuit, en période estivale.

Quelles ont été les premières mesures prises?

«Au début, nous ne savions pas trop où l’attaque se situait. Nous avons interrompu tous les accès vers l’extérieur. Le premier réflexe est de savoir si l’opérationnel est concerné. Quand la réponse est “non”, on respire un peu mieux… La deuxième chose, c’est la salle des marchés et son activité. Elle n’était pas concernée, puisque c’est un système à part. Là, vous poussez aussi un “ouf” de soulagement.

Quel est le volume des données volées?

«110 à 130 Gbits. Six millions de fichiers, mais 130.000 fichiers avec réellement de l’information, d’une importance relative, comme des documents Word, Excel… Cette attaque nous a en tout cas permis de faire de nouvelles analyses. Nous avons à nouveau un plan de cybersécurité sur deux ans, alors que le précédent se terminait cette année. Nous n’avions pas de grandes failles de sécurité, mais on peut toujours s’améliorer. Dans nos analyses de risque, la cybersécurité est assez haut placée, et nous sommes très attentifs au cyber-risque qui concerne le volet opérationnel du réseau.

Quel conseil donneriez-vous à un collègue chef d’entreprise suite à cette mésaventure?

«Tout patron d’entreprise doit comprendre quels sont les systèmes et les données critiques pour le fonctionnement de sa société, mais aussi ceux qui le sont pour ses clients et ses partenaires. Si une PME a des difficultés sur ce sujet très technique, qu’elle n’hésite pas à se faire aider en externe. On ne peut pas être spécialiste en tout.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  parue le 26 octobre 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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