Il n’est plus besoin de présenter l’engagement de l’actrice et productrice française Julie Gayet pour défendre la cause des femmes, que ce soit dans le cinéma, mais aussi auprès d’associations et fondations. Elle a répondu mardi soir à l’invitation de Women in Business et a présenté son livre «Ensemble on est plus fortes», lors d’une soirée Great Talk au profit de l’association Toutes à l’école. Un livre qui raconte l’engagement féminin à travers une série de portraits de femmes qui agissent, dans l’ombre, pour une meilleure égalité et pour lutter contre les violences dans toutes leurs formes.
Votre livre «Ensemble on est plus fortes» est paru au printemps dernier. Pourquoi était-il important pour vous de l’écrire et quel message souhaitiez-vous faire passer à travers lui?
«Je dirais que c’est un essai. Moi, je viens plutôt du monde de l’image, le cinéma, la télévision, la série… J’ai fait quelques documentaires sur la place des femmes, il s’agissait d’une commande et c’était pour moi l’occasion de mettre en lumière certaines femmes réalisatrices que j’admirais. Et en faisant ce documentaire avec un camarade homme – car je trouvais qu’il était bien d’avoir la parité –, j’ai eu envie d’aller plus loin.
Je me suis demandé pourquoi on posait toujours ces questions aux femmes. Et pourquoi ne pas les poser aux hommes? Pourquoi toujours faire peser cette responsabilité sur les femmes? J’ai eu envie de me poser la question: faut-il être toujours une victime pour prendre la parole? N’y a-t-il pas toujours une crispation sur ces sujets comme s’ils n’appartenaient qu’aux femmes alors que c’est à nous tous de faire bouger les choses?
J’ai rencontré toutes ces femmes sur le terrain qui agissent, des femmes de l’ombre très fortes et engagées qui font bouger les lignes.
J’ai rencontré toutes ces femmes sur le terrain qui agissent, des femmes de l’ombre très fortes et engagées qui font bouger les lignes. Je voulais mettre en lumière ces multitudes d’actions qui sont faites pour parvenir d’abord à faire baisser les féminicides, mais aussi toutes les violences envers les femmes et le sexisme en général. Ce livre, c’était vraiment tous ces questionnements. Je n’ai pas été atteinte d’endométriose, je n’ai pas été victime de violence ou de viol, mais j’ai connu des femmes qui ont vécu cela. Ce n’est pas parce que l’on n’a pas été victime que l’on ne peut pas en parler.
Pourquoi un livre et pas un documentaire ou un film, vous qui êtes issue du cinéma?
«Parce que cela parle beaucoup de l’intimité de ces femmes et je pense que cela aurait été plus compliqué de le raconter en filmant. J’avais envie que toutes les femmes qui lisent le livre – et elles connaissent toutes une femme dans la situation de celles dont je fais le portrait – puissent aussi se reconnaître, en reconnaître d’autres. Et donc ne pas forcément mettre des visages, mais plutôt des mots.
En parlant de mots, «féministe», «féminicide», qu’est-ce que cela vous inspire?
«Il y a en effet tous ces nouveaux mots qui n’existaient pas avant. À l’époque, quand j’ai grandi, le féminisme était un terme très négatif. Aujourd’hui, c’est devenu quelque chose de positif. On voit bien que les femmes se mettent en groupe, créent des réseaux pour faire avancer les choses, des hommes aussi d’ailleurs manifestent pour cette égalité. On nous a sorti un nouveau mot aujourd’hui qui est le ‘wokisme’. Je refuse cela, surtout sur ces sujets qui demandent beaucoup de nuances. Si l’on regarde la société comme elle est, on voit bien qu’il y a un dysfonctionnement et une nécessité de rétablir un certain équilibre, sans utiliser un mot particulier.
Qu’est-ce qu’a apporté le mouvement MeToo, au-delà du secteur du cinéma?
«Le monde a été percuté en 2017 par l’affaire Weinstein, dans l’industrie du cinéma. Suite à cela, il y a eu une libération de la parole à travers le hashtag #MeToo et je crois qu’il y a eu une véritable prise de conscience dans la société qui me paraissait intéressante, car ce sont autant les hommes que les femmes qui ont réalisé l’ampleur de ce harcèlement, qu’il soit sexiste ou sexuel. À ce moment-là, c’était plus fort que moi, je ne voulais pas que cela ne soit qu’un moment, j’espérais que cela enclenche un vrai mouvement pour faire bouger le système.
Je crois qu’on ne le dit pas assez aux jeunes filles à quel point cette indépendance financière est vitale.
Le fléau des violences envers les filles et les femmes se pose dans le monde entier, et chaque pays le gère à sa manière. Avez-vous connaissance de pratiques qui pourraient se dupliquer ailleurs? Je pense par exemple au Canada où le conjoint violent est extrait du domicile et pris en charge et ça n’est pas à la victime de partir…
«Oui, il y a des modèles à droite, à gauche, mais chacun a sa culture alors c’est parfois compliqué. Il y a le cas de l’Espagne, par exemple, où les féminicides diminuent, car ils ont mis beaucoup de moyens en place. Ce qui est sûr, c’est que c’est un peu comme l’écologie, c’est une problématique globale qui doit s’immiscer partout et que tout le monde doit prendre en compte. On est 50/50 [en tapant doucement du poing sur la table, ndlr] donc pourquoi y aurait-il un sexe supérieur? Je suis convaincue que cela doit être une prise en charge globale pour un monde plus harmonieux et plus juste.
Dans le monde du travail, les choses évoluent dans certains secteurs d’activité. Dans d’autres, c’est plus compliqué. Pourquoi, selon vous?
«On le voit en médecine par exemple, la profession se féminise. Les résultats des femmes lors de leurs études sont meilleurs, mais il y a 30% de suicides de plus chez les femmes médecins. C’est énorme. Parce qu’en réalité, elles souffrent plus face à l’échec, elles se mettent plus la pression. Une meilleure égalité ne peut être que bénéfique. Dans l’informatique par exemple, il y a de nombreux débouchés. C’est super important de pousser les jeunes filles vers ces filières. Elles sont aujourd’hui peu nombreuses, j’ai envie de leur dire: ‘Allez-y les filles, et en plus, vous allez gagner de l’argent!’
À ce titre, que pensez-vous des quotas pour la parité?
«Je pense que c’est pénible et que l’on n’a pas envie d’avoir des quotas. Mais en réalité, c’est la seule façon parfois de faire avancer les choses, il suffit de les alléger ensuite. D’ailleurs, on peut aussi mettre des quotas dans le sens inverse. Moi, par exemple, je suis tout à fait pour un plus grand nombre d’hommes dans les crèches. Je pense que ça peut changer le regard que l’on porte sur les choses.
Quand on sait s’occuper de soi, on peut s’occuper des autres.
Comment mieux sensibiliser les jeunes à ces questions?
«L’école sensibilise et fait beaucoup, mais cela ne suffit pas. C’est un ensemble. Il faut sensibiliser plus tôt. Mais cela va au-delà de l’éducation des parents et de l’école, il suffit de regarder les pubs pour les jouets: du rose pour les filles, du bleu ou rouge pour les garçons. Il y a donc aussi les freins de la société. Les rôles modèles sont importants, il faut les mettre en avant. Il faut également sortir des clichés.
Dans le livre, vous faites le portrait d’une femme qui s’appelle Georgette, victime de violences de la part de son mari et qui fait tout pour se former, obtenir un concours et travailler. Pourquoi l’indépendance financière est-elle une arme pour une femme?
«Je crois sincèrement qu’on nous a éduquées dans l’idée de trouver un mari pour s’occuper de nous. Moi, je crois qu’il faut s’occuper de soi avant tout. Et quand on sait s’occuper de soi, on peut s’occuper des autres. D’ailleurs, dans l’avion, le manuel de survie en cas d’accident est clair: il faut mettre d’abord son masque avant de le mettre à son enfant, à son conjoint.
Être indépendante et s’occuper de soi n’est pas une faiblesse. Avoir un métier, être indépendante financièrement fait que quoi qu’il arrive dans la vie, vous saurez rebondir. Je crois qu’on ne le dit pas assez aux jeunes filles à quel point cette indépendance financière est vitale. Moi, je suis indépendante depuis l’âge de 15 ans, je faisais des petits boulots pour pouvoir dire que je ferais le métier que je veux.
Si vous avez cette indépendance financière, personne ne pourra rien vous dire. Cette indépendance financière doit être des deux côtés, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’entraide. Il y a une limite à mettre en place et à ne pas franchir. J’ai une arrière-grand-mère qui faisait partie des premières femmes médecins. Ça ne l’a pas empêchée d’avoir cinq enfants et de s’en occuper correctement. Et d’une façon générale, quand il est question d’argent et de travail, les femmes doivent mieux négocier!»