«Il y a eu une course à l’électrification sans même savoir si les constructeurs et l’UE arriveront à se doter des batteries nécessaires », insiste Stéphane Bailly. (Photo: Anthony Dehez)

«Il y a eu une course à l’électrification sans même savoir si les constructeurs et l’UE arriveront à se doter des batteries nécessaires », insiste Stéphane Bailly. (Photo: Anthony Dehez)

Car Avenue célèbre ce mardi la pose de la première pierre de son complexe de 20.000 mètres carrés à Leudelange. Sous l’impulsion de son président, Stéphane Bailly, l’entreprise familiale mosellane bientôt centenaire est devenue un groupe européen de distribution automobile.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Comment imaginez-vous l’avenir du secteur automobile? Croyez-vous à une électrification massive?

.- «Personne n’a de boule de cristal. L’UE a réagi au dieselgate chez Volkswagen en donnant des objectifs extrêmement ambitieux. Objectifs auxquels répondait finalement la motorisation diesel avec la norme Euro 6B qui émettait moins de CO2 et pas de particules grâce aux filtres.

On a fait la guerre au diesel. Il y a donc eu une course vers l’électrification sans même savoir si les constructeurs et l’Union européenne arriveront à se doter des batteries nécessaires pour la motorisation de ces véhicules. Or, les capacités en termes de rechargement et de l’ensemble de la chaîne empreinte carbone ne sont pas encore suffisantes.

On sait que l’extraction des terres rares pose également problème pour la fabrication des batteries, il y a encore beaucoup de pays qui utilisent les usines à charbon pour se fournir en électricité… Sans oublier que nous n’avons pas encore de vue suffisante sur le recyclage des batteries, il est donc difficile de dire si l’électrique sera la vraie solution. Il en va de même pour l’hydrogène, qui comporte encore des inconnues au niveau de son stockage, de sa dangerosité et de son coût.

Nous avons tous conscience des enjeux environnementaux, mais je regrette que l’automobile soit autant la cible des pouvoirs publics.
Stéphane Bailly

Stéphane BaillyPrésidentCar Avenue

Vous prônez plutôt une approche autour de plusieurs solutions?

«Il va y avoir un mix de toutes ces formules. Pour les grands rouleurs, cela restera le diesel, pour ceux qui font moins de kilomètres, l’option sera d’utiliser des véhicules électriques, et à la croisée des deux, il y aura une offre hybride.

Ce changement nous pousse à nous remettre en question avec les constructeurs. C’est aussi pour cela que l’on assiste à un phénomène de concentration dans notre profession pour générer des synergies, des économies d’échelle, qui permettront aussi de faire baisser les coûts de distribution et donc, le prix final des véhicules.

Nous avons tous conscience des enjeux environnementaux, mais je regrette que l’automobile soit autant la cible des pouvoirs publics et qu’il n’y ait pas un meilleur consensus lorsque l’on voit ce que le secteur représente en termes d’emplois en Allemagne, en France, et près de chez nous en Lorraine avec les usines PSA.

Le groupe Bailly, devenu Car Avenue, fêtera l’an prochain ses 100 ans, comment expliquez-vous cette longévité?

«L’un des enjeux fondamentaux est de garder les qualités et les forces qui ont toujours été les nôtres, cet attachement à la qualité de service, à la performance, et de s’intéresser à toutes les opportunités; de rester agile finalement. On se comporte comme un groupe familial, tout en agissant comme un groupe financier, et on garde l’agilité, la réactivité d’une start-up pour être inventifs, innovants, dans un monde qui bouge très vite. Les 10 ans qui viennent apporteront beaucoup plus de changements que les 100 dernières années dans l’histoire de l’automobile.

Nous faisons un métier qui dégage des marges étroites, mais qui consomme beaucoup de cash, donc il ne faut pas se tromper.
Stéphane Bailly

Stéphane BaillyPrésidentCar Avenue

Quels sont les piliers de votre stratégie?

«Nous en avons trois. Le premier est de garder l’âme et la culture d’une entreprise familiale, c’est essentiel. Au-delà de tous les ‘process’ que nous pouvons avoir, il y a l’humain, et c’est cela qui va nous permettre de faire la différence. Nous y sommes très attachés, dans le recrutement, au niveau de l’apprentissage et dans l’accompagnement des plans de carrière.

Ensuite, nous faisons un métier qui dégage des marges étroites, mais qui consomme beaucoup de cash, donc il ne faut pas se tromper. Les besoins en fonds de roulement, le suivi de la trésorerie, etc. sont au moins aussi importants que la culture du résultat.

Le troisième pilier est de conserver une ouverture d’esprit. Je suis quelqu’un qui ne lâche rien, j’ai toujours été admiratif et impressionné par la force de certains grands patrons, capables d’insuffler la bonne stratégie, mais aussi de garder ses forces essentielles dans l’entreprise, de s’attacher au bien-être de chaque collaborateur, de ces petits détails qui font au final la force de l’entreprise. Je suis quelqu’un de très exigeant à la fois sur la forme comme sur le fond.

Vos décisions passent-elles par le filtre de la raison ou parvenez-vous encore à laisser parler votre instinct de président?

«L’instinct et l’affectif font partie de la vie d’une entreprise puisque ce sont des hommes qui la composent. On ne dirige pas avec du sang-froid. Bien sûr, pour certaines décisions, il faut parfois en faire preuve, mais nous avons aussi besoin de l’affect. L’instinct tire d’ailleurs beaucoup son origine dans l’expérience. J’ai eu la chance de grandir dans le métier, cela m’aide et m’inspire tous les jours.

« La notion d’exemplarité est importante dans une entreprise telle que la nôtre. » (Photo: Anthony Dehez)

« La notion d’exemplarité est importante dans une entreprise telle que la nôtre. » (Photo: Anthony Dehez)

Un parcours ou un destin?

«C’est un parcours. Son destin, on se le crée. Lorsque vous êtes à la tête d’une société, vous savez que cela peut être très fragile et qu’il n’est jamais question de se reposer sur ses lauriers ou de croire que les choses sont acquises. La notion d’exemplarité est importante dans une entreprise telle que la nôtre. Souvent, on pense que c’est facile de reprendre l’entreprise familiale, mais je trouve qu’au contraire, la responsabilité qui pèse sur le dirigeant est essentielle.

Reprendre le groupe créé par votre grand-père, était-ce une évidence?

«C’est une chose à laquelle je pensais, mais il a fallu que je me fasse une place, et rien n’a été facile. Je dirais que personne, et tant mieux, ne m’a fait de cadeau pour y arriver. Je raisonnerai de la même manière avec mes enfants. Soit ils sont faits pour ce métier et sont motivés et passionnés, soit ils feront autre chose.

Vous songez déjà à la transmission?

«Ce n’est pas une priorité. La priorité, c’est d’avoir la bonne personne à la tête de l’entreprise pour la pérenniser. Et ce qui est important dans une famille, c’est que les personnes engagées soient faites pour ça. Je pense à la transmission d’un point de vue global, c’est normal, mais ce qui m’anime, c’est de transmettre des valeurs, un savoir-faire.»

Cette interview est parue dans l’édition de juin du magazine Paperjam.