Vous préparez votre succession après une décennie à la tête de Foyer. Qu’est-ce qui vous a convaincu que Marie-Hélène Massard était la personne idéale pour assurer la continuité et le renforcement de la stratégie du groupe? (M.L.). — «Mon choix repose sur quatre critères. D’abord, une solide expérience du marché luxembourgeois de l’assurance : avec huit ans passés chez Axa Luxembourg, elle maîtrise parfaitement cet écosystème. Ensuite, une connaissance approfondie des activités internationales. Marie-Hélène a joué un rôle clé dans la création d’Axa Wealth Insurance, ce qui témoigne de son expertise dans ce domaine. Troisième critère : des qualités de leadership et d’empathie, qu’elle a démontrées aussi bien au sein de l’Aca (Association des compagnies d’assurances et de réassurances) que d’Axa. Enfin, un élément essentiel à mes yeux : une parfaite connaissance et un attachement sincère au Luxembourg.»
Après de nombreuses années chez Axa, pourquoi avoir choisi de rejoindre Foyer et de relever ce nouveau défi
(M.-H.M.) — «Le Luxembourg me manquait, et je suis ravie d’y revenir. Ce pays a joué un rôle central dans mon parcours, tant sur le plan professionnel que personnel. Cette nomination est l’aboutissement d’un processus de réflexion approfondie mené sur plus d’un an. Je tiens à remercier chaleureusement le conseil d’administration et la direction du groupe Foyer pour leur confiance. La transition s’est faite de manière fluide et naturelle, un élément très important pour les équipes, car cela nous permet d’éviter tout effet de stop and go.»
Quelles sont vos ambitions pour Foyer dans les années à venir?
M.-H.M. — «Je dis souvent à la nouvelle équipe que si nous parvenons à faire aussi bien que la précédente sur les 15 prochaines années, ce sera déjà une belle réussite. Nous avons la chance d’évoluer au sein d’une entreprise en excellente santé, ce qui nous laisse le champ libre pour prendre notre destin en main. Il est aujourd’hui trop tôt pour partager des projets précis, mais l’objectif est de cultiver cette dynamique d’amélioration et d’innovation continue, afin de garder toujours une longueur d’avance.»

Marie-Hélène Massard prendra le relais de Marc Lauer en tant que CEO de Groupe Foyer au 1er mai. (Photo: Nader Ghavami)
Le groupe Foyer ne cesse de se diversifier ces dernières années. Pourquoi est-ce important?
M.L. — «Se diversifier fait toujours sens : cela permet d’encaisser les coups les plus durs au moment où cela va un peu moins bien. Le Luxembourg reste notre marché principal, mais depuis sa création, Foyer a toujours eu la volonté de regarder au-delà de ses frontières.»
Justement, quelle place l’expansion internationale occupera-t-elle dans la stratégie de Foyer au cours des prochaines années?
M.-H.M. — «Je pense que le plus important est d’aller au bout des projets que nous avons déjà commencés. Même au Luxembourg, nous avons encore des segments de clientèle où nous souhaitons progresser, notamment auprès des entreprises, des professionnels et des indépendants, en enrichissant notre offre actuelle. L’objectif n’est pas de nous disperser. Foyer a toujours eu la rigueur de concentrer son énergie là où il croyait en son potentiel et d’aller jusqu’au bout de ses démarches. C’est cette ligne que nous continuerons à suivre. Pour autant, le groupe est et restera attentif aux opportunités qui se présenteront.»
L’adaptation est également un facteur clé. J’ai connu un monde avec et sans internet aujourd’hui, il est impensable de s’en passer.
Quelle est l’importance de la digitalisation dans le secteur de l’assurance?
M.L. — ««Nous avons toujours considéré la digitalisation comme un enjeu majeur. Mais nous sommes également convaincus que la relation personnelle que nous entretenons avec nos clients est tout aussi importante. Nous n’avons jamais essayé de choisir l’un ou l’autre, mais toujours l’un et l’autre. Nous avons ainsi digitalisé autant que possible nos interactions avec nos agents pour leur permettre d’offrir un contact humain là où le client en a réellement besoin. Nous avons toujours eu comme juge de paix l’émotion : en cas de sinistre majeur, personne ne souhaite remplir un formulaire de 35 questions, mais préfère un contact humain avec un agent capable de prendre la situation en main.»
Comment percevez-vous l’évolution rapide de l’intelligence artificielle?
M.-H.M. — «Chez Foyer, nous avons eu la chance de nous intéresser très tôt à l’intelligence artificielle. Nous sommes encore dans une phase d’observation, ce qui est essentiel, car on voit bien que cela évolue très rapidement. Il faut rester vigilant et distinguer les effets de mode des tendances de fond. Aujourd’hui, une quinzaine de collaborateurs travaillent à plein temps sur la data et l’IA. Dans ce domaine, il est impossible d’avancer seul: la coopération avec d’autres acteurs est indispensable pour suivre le rythme. Le principal défi est désormais d’industrialiser ces avancées, car cela nécessite des investissements conséquents.
L’adaptation est également un facteur clé. J’ai connu un monde avec et sans internet aujourd’hui, il est impensable de s’en passer. Il en sera de même avec l’IA, qui exigera une phase d’apprentissage non seulement pour nos collaborateurs, mais aussi pour nos clients. Notre objectif est de ne laisser personne au bord du chemin.»

Marie-Hélène Massard: «Aujourd’hui, une quinzaine de collaborateurs travaillent à plein temps sur la data et l’IA. Dans ce domaine, il est impossible d’avancer seul: la coopération avec d’autres acteurs est indispensable pour suivre le rythme.» (Photo: Nader Ghavami)
Cette transformation technologique voit-elle émerger de nouveaux risques?
M.L. — «Cette évolution technologique entraînera l’émergence de nouveaux risques, tandis que d’autres disparaîtront. C’est le rôle de l’assureur d’identifier, d’évaluer et d’anticiper ces risques afin de proposer des solutions adaptées aux attentes des clients. Mais certains risques bien connus restent encore insuffisamment pris en charge par les politiques publiques au Luxembourg. Ils représentent à la fois des défis et des opportunités pour les assureurs.»
L’un de ces défis concerne-t-il le vieillissement de la population?
M.L. — «En effet, les assureurs ne seront pas l’unique solution, mais feront partie de la solution pour les problèmes sociétaux à venir. Notre système de sécurité sociale atteint ses limites et il devient nécessaire d’encourager la prévoyance individuelle, en particulier pour ceux qui disposent d’une certaine aisance financière et non par la collectivité. Je crois qu’il y a une obligation sociétale de faire en sorte que chacun puisse vivre après la retraite.»
M.-H.M. — «Personne n’a envie de parler de retraite en pleine vie active. Même si les jeunes générations prennent de plus en plus conscience qu’il s’agit d’un sujet dont il faut s’occuper toute sa vie. Beaucoup de choses doivent être prises en charge individuellement. Cela me paraît fondamental que l’on renforce la culture financière.»
Je suis convaincu que la diversité est un atout, non seulement pour notre entreprise, mais aussi, plus généralement, pour la société.
Observez-vous une augmentation des demandes concernant la retraite, notamment en raison du contexte économique actuel?
M.-H.M. — «Hors incitation fiscale, pas assez. C’est dans la nature humaine: tant que l’on n’est pas au pied du mur, on reporte le problème à demain.»
Quels autres risques seront prédominants dans les années à venir?
M.-H.M. — «Certains risques, désormais bien identifiés, vont probablement s’aggraver. Les catastrophes naturelles, par exemple, deviennent de plus en plus fréquentes : ce qui survenait statistiquement tous les vingt ans se produit désormais tous les quatre ou cinq ans, avec des coûts bien plus élevés.
Un autre risque qui semblait jusqu’ici purement théorique était celui des pandémies. Depuis la crise du Covid, nous savons désormais qu’un tel scénario peut se produire. Tout peut arriver, et s’il est impossible de prédire avec certitude les crises à venir, notre rôle est de nous assurer que nous sommes prêts à y faire face.»
Quel rôle Foyer joue-t-il face à la dégradation de l’environnement?
M.-H.M. — «Ce que je trouve intéressant chez Foyer, c’est que de nombreuses initiatives viennent directement des collaborateurs. Nous avons des groupes de travail sur la solidarité, aussi bien au Luxembourg qu’à l’international, et sur l’intégration de la RSE dans nos activités.
D’un point de vue logistique, nous avons analysé plusieurs aspects, notamment ceux liés à nos bâtiments. Nous avons installé des panneaux solaires, mais aussi des ruches sur nos toits. C’est pourquoi nous n’ouvrons pas les fenêtres ici! Notre objectif, c’est d’accompagner la transition écologique.»
Vous êtes l’une des rares femmes à accéder à la tête d’un grand groupe financier au Luxembourg. Quel message souhaitez-vous envoyer aux femmes qui aspirent à des postes de direction?
M.-H.M. – «La situation s’est améliorée par rapport à il y a quelques années. Lorsque je suis arrivée en 2012, nous n’étions que deux femmes à la tête d’une société d’assurance au Luxembourg, et j’étais la seule au sein du conseil d’administration de l’Aca.
En préparant cette interview avec Marc, je lui ai dit que s’il y avait une question sur la diversité, c’était à lui d’y répondre. Parce que l’enjeu n’est pas de convaincre les femmes : elles sont déjà convaincues. L’essentiel, c’est que des hommes témoignent et affirment que pour eux aussi, la mixité est une évidence, et qu’un monde équilibré entre hommes et femmes est un monde meilleur et plus performant.»
M.L. – «Quand on me parle de diversité, je pense à mes enfants. J’ai un garçon et une fille, et je me demande: qu’est-ce qui justifierait que ma fille n’ait pas les mêmes chances que mon fils? C’est cela mon moteur personnel. Je suis convaincu que la diversité est un atout, non seulement pour notre entreprise, mais aussi, plus généralement, pour la société.»
Quelles sont, selon vous, les trois valeurs qui représentent le mieux Foyer?
M.L. – «La confiance c’est la valeur d’excellence. Si nos clients ne nous font pas confiance, nous ne pouvons pas exercer notre métier. Si nos collaborateurs ne nous font pas confiance, nous ne pourrons pas offrir un service de qualité à nos clients. La confiance est le socle de notre activité. Ensuite, l’innovation. Nous en avons besoin en permanence, mais c’est aussi quelque chose d’extrêmement gai. Le nombre d’idées que nous développons, qui apportent de la valeur à l’entreprise et de la satisfaction aux employés, c’est vraiment chouette. Enfin, l’indépendance. Nous sommes un groupe familial indépendant, et cela compte beaucoup pour nous.»
M.-H.M. – «Je mettrais en avant l’esprit entrepreneurial. C’est la capacité à se réinventer: notre groupe a plus de 100 ans, et on n’atteint pas ce niveau de pérennité sans savoir évoluer. Deuxièmement, l’esprit d’équipe. J’ai découvert ici des collaborateurs engagés, experts et très ouverts, avec un véritable plaisir à partager et à travailler ensemble. Et puis je rejoins Marc sur la confiance. C’est la base de notre métier et elle doit s’établir à tous les niveaux.»
Quel bilan tirez-vous de votre parcours à la tête de Foyer et quels sont vos projets pour la suite?
M.L. – «Je ressens une immense fierté pour tout ce qui a été accompli et une profonde reconnaissance envers mes collègues, qui m’ont donné la possibilité et les moyens d’entreprendre. Parallèlement, je continuerai à assumer mon rôle au sein de l’Aca. J’espère aussi enfin pouvoir profiter de quelque chose qui m’a manqué ces dix, voire vingt dernières années : du temps. Du temps pour voyager davantage, pour passer plus de moments avec ma famille et mes amis… et pour jouer au golf.»

Marie-Hélène Massard: «L’adaptation est clé: il faudra apprendre à utiliser l’IA comme nous l’avons fait avec internet.» (Photo: Nader Ghavami)
Le parcours de Marie-Hélène Massard
Formation: ingénieure en statistique, diplômée d’un master en systèmes d’information et contrôle de gestion
1996 : débute sa carrière chez Axa à Paris
2008 : expatriée à Varsovie, elle rejoint le comité exécutif de la filiale polonaise Responsable du marketing pour l’Europe centrale et de l’Est, Puis directrice des activités particuliers/PME. Et enfin, directrice de la distribution
2012: nommée directrice générale et administratrice déléguée d’Axa Luxembourg
2016: prend également la tête d’Axa Wealth Europe
2016 – 2018: Présidente de l’Association des compagnies d’assurances et de réassurances (Aca)
2020 – 2024: retour en France chez Axa
1er mai 2024: rejoint le groupe Foyer en tant que directrice générale adjointe
Bio express de Marc Lauer
Date de naissance: 16 janvier 1965
Mai 2004: rejoint le groupe Foyer en tant que Chief Operating Officer (COO)
Avril 2014: devient CEO de Foyer
Citation marquante: «L’enjeu n’est pas de convaincre les femmes : elles sont déjà convaincues.»
Révérence: Marc Lauer quittera ses fonctions de CEO de Foyer à l’issue de l’assemblée générale du 15 avril. Il est pressenti pour prendre la présidence du conseil d’administration.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 mars. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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