«La confiance dans les services numériques est devenue un enjeu clé pour la plupart des utilisateurs», commente . L’actuel general manager de Clarence, la solution de cloud déconnectée mise en œuvre par LuxConnect et Proximus Luxembourg, sait de quoi il parle. S’il a débuté sa carrière dans le domaine spatial, au sein de SES, il est aussi connu pour avoir dirigé LuxTrust, fournisseur de services de confiance dans le numérique, pendant cinq années, avant de diriger RHEA Group. «Il y a une vraie préoccupation des organisations et des citoyens européens autour de la préservation de l’intégrité de nos identités numériques ou encore de nos données, poursuit-il. Dans un contexte géopolitique incertain, avec des environnements technologiques dépendants essentiellement de puissances étrangères, on assiste à une réelle prise de conscience des risques. Nous n’avons jamais autant évoqué les enjeux de souveraineté en Europe, en particulier dans le domaine du numérique.»
Ingérence américaine
Ces préoccupations sont notamment associées à la généralisation du recours au cloud public pour héberger les données ou distribuer des services numériques. Les grandes plateformes de cloud public — Amazon Web Services, Microsoft Azure ou Google — les principales utilisées par les acteurs européens, sont en effet toutes américaines. «Le risque de voir la confidentialité de nos données compromise sur un cloud public est bien réel», explique Pascal Rogiest. «Le Cloud Act, par exemple, donne déjà le droit au gouvernement américain d’accéder au contenu hébergé sur des plateformes public-cloud américaines. On évoque quelque 150.000 demandes de ce type effectuées annuellement par l’administration auprès des cloud providers. Et ça, c’était avant Trump.»
La guerre commerciale sans précédent, lancée par l’administration américaine depuis quelques semaines, accélère les questions de souveraineté, qu’elles concernent les données ou encore les technologies. Nous sommes extrêmement dépendants des solutions US, car elles sont à ce jour incontestablement supérieures en performance, efficacité et innovation. «Cette situation peut et doit pousser aujourd’hui les Européens à réfléchir à des solutions souveraines, à veiller à leur indépendance technologique. Il s’agit cependant d’une transformation digitale qui va prendre des décennies», commente Pascal Rogiest.
Répondre aux enjeux de souveraineté
Dans un marché dominé par les Américains et les Chinois, garantir sa souveraineté numérique n’est pas forcément facile. La solution Clarence a été imaginée et mise en place pour répondre à ces enjeux. Cette plateforme luxembourgeoise, opérée par des acteurs luxembourgeois (à l’actionnariat étatique), permet un accès à des solutions technologiques avancées, notamment d’IA et d’IA générative, mais déconnectées d’Internet. Elle permet de s’affranchir des risques de cyber-attaques et d’ingérence de type Cloud Act.
Au sein de Clarence, Google est le principal fournisseur de technologies avancées. Ce dernier, cependant, n’a aucun moyen, ni numérique ni physique, d’accéder aux données des utilisateurs en raison de la déconnection mise en place by-design.
Rattraper le retard
Pour simplement héberger ses données, il n’est pas forcément nécessaire de recourir au cloud public, et un stockage local pourrait évidemment suffire. Cependant, pour accéder à des technologies avancées et innovantes de traitement des données (comme les modèles d’intelligence artificielle) et à leurs rapides évolutions, les plateformes des géants américains paraissent aujourd’hui incontournables si l’on veut offrir aux utilisateurs les fonctionnalités les plus avancées et les plus puissantes en termes de performance et d’expérience-utilisateur. «En la matière, l’Europe est en retard. A titre d’exemple, les solutions de visioconférence que tout le monde utilise, s’appuient sur des clouds publics US», précise Pascal Rogiest. «Dans le domaine de l’intelligence artificielle, nous avons des atouts en Europe, mais il est essentiel de rattraper le retard. Le train est heureusement en marche et Clarence va d’ailleurs progressivement intégrer, au sein de son environnement souverain déconnecté, d’autres outils tous européens, comme par exemple une solution locale de recherche conversationnelle, ou encore de la technologie d’IA développée en Europe par des leaders tels que Mistral.»
Un cloud déconnecté comme Clarence répond à des besoins spécifiques. Il permet d’opérer des traitements sur des données identifiées comme particulièrement critiques. «On pense souvent aux informations sensibles, de santé ou étatiques, pour lesquelles on ne peut faire aucun compromis en matière de souveraineté. Les entreprises sont aussi particulièrement soucieuses de protéger leur propriété intellectuelle», explique Pascal Rogiest. «Dans cette optique, un cloud déconnecté comme Clarence se greffe à l’environnement informatique du client pour lui permettre de réaliser des traitements de données spécifiques dans un environnement qui est dédié au client lui-même. Il convient toutefois d’opérer une bonne classification des données en jeu, et de tenir compte du caractère isolé d’Internet dans l’éventail des possibilités cloud appropriées.»
Développer des alternatives européennes
Au-delà de l’opérationnalité du cloud souverain déconnecté du Luxembourg, il est important que l’Europe poursuive sa réflexion stratégique en faveur du renforcement de sa souveraineté numérique et veille à limiter sa dépendance aux grands opérateurs et développeurs étrangers. «Dans cette optique, la Commission européenne a notamment lancé la plateforme European Alternatives, qui vise à répertorier des alternatives européennes pour les services et produits numériques», explique Pascal Rogiest.
«On assiste de manière générale à un vrai réveil des Européens. Et il est important de réagir rapidement. Rien ne devrait empêcher que des plateformes cloud totalement européennes, du hardware jusqu’au software, soient mises en place. Au-delà, il est important d’accompagner les acteurs face à ces défis. Il faut pour cela quitter une forme de naïveté qui a prévalu jusqu’alors en Europe. La prise de conscience des risques doit inviter les organisations à prendre les mesures adaptées, au départ d’une bonne classification des données et des traitements.»
L’enjeu n’est pas de bannir toute solution technologique américaine, à partir desquelles les acteurs européens peuvent innover et gagner en compétitivité sur un marché économique tendu et global. Il s’agit surtout de soutenir des usages responsables. Face à une dépendance technologique de plus en plus visible, l’Europe doit amorcer un virage stratégique vers une plus grande autonomie numérique.