Quand un contrat est-il en déshérence, et que faut-il en faire, si c’est le cas? C’est une bonne et double question. Du côté des assureurs, en effet, on se plaint, et on se réfugie quelque peu aussi derrière l’absence d’une solution juridique définissant d’abord ce qu’est un contrat en déshérence et ensuite fixant la marche à suivre lorsqu’un contrat est considéré comme tel. «, ces sujets sont traités au niveau de chaque compagnie», explique , administrateur délégué de l’Aca, l’association représentative des compagnies d’assurances du Luxembourg.
«Chaque assureur est tenu d’exécuter de bonne foi ses contrats. Et doit donc rechercher les bénéficiaires chaque fois qu’ils ne sont pas clairement identifiés.» Toute la difficulté est là: un contrat d’assurance est un ménage à trois. Il implique la compagnie d’assurances, le preneur d’assurance – que les règles actuelles en matière de lutte contre le blanchiment obligent à être clairement identifié par les assureurs – et le bénéficiaire. Dont la désignation peut-être très vague. La clause «à mes héritiers» est plus fréquente qu’on ne le croit.
Et il renvoie à chaque compagnie pour la conduite de diligences raisonnables. Benoît Royer est responsable de la souscription chez Foyer. Il a suivi les travaux de l’Aca au sujet des comptes en déshérence. Et il détaille les procédures mises en place par la compagnie.
Quand un compte devient-il inactif?
«Aujourd’hui, d’une manière opérationnelle, quand tout se passe bien, c’est-à-dire lorsque l’on est bien informé du décès de l’assuré, il y a toute une série de recherches qui peuvent se mettre en place à partir des données du contrat. La principale complexité est l’identification du bénéficiaire quand la clause le désignant a été rédigée de manière vague. Comme, par exemple, ‘les bénéficiaires sont mes enfants’, sans autre précision. Face à de telles situations, en présence d’héritiers légaux, on se met en relation avec le notaire en charge de la succession. C’est lui qui indiquera l’identité des ayants droit. Si le contrat est nominatif, nous recherchons directement les personnes. Internet peut être très utile.» Le fait que le marché domestique du Luxembourg s’étende au-delà de ses frontières, vers les pays limitrophes, «voire au-delà», peut rendre la tâche plus ardue. Mais pas impossible.
La situation est plus complexe dès lors que l’on ne peut pas savoir si un contrat est arrivé à son terme. C’est notamment le cas pour les assurances-vie à prime unique. Le lien avec le souscripteur peut être très tenu. Certes, la loi prévoit que les assurances envoient à tout assuré un certificat annuel sur l’état du contrat. Le retour de celui-ci peut déclencher des interrogations. Suffisantes pour faire que le contrat devienne exigible? Non.
Secret professionnel et respect du RGPD
«Tout le problème est de savoir à partir de quel moment on doit se mettre à rechercher des personnes qui sont peut-être décédées. En l’absence de toute règle, nous avons fixé un âge au-delà duquel on déclenche des recherches: 90 ans. Mais nous devons respecter tout à la fois le secret professionnel de l’assurance et la législation RGPD (règlement général sur la protection des données). En enclenchant des recherches, nous pouvons être amenés à divulguer des informations que nous n’aurions pas dû divulguer, notamment en matière de bénéficiaires. Les bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie n’ont au final que peu de droits, et ils ne s’ouvrent qu’au décès de l’assuré. Avant ce moment-là, nous ne devrions même par leur dire qu’ils sont bénéficiaires d’un tel contrat.».
Nous n’avons pas de contrats d’assurance en cours qui aient été souscrits avant 1966.
Conséquence: le groupe Foyer détient dans ses coffres un certain nombre de contrats inactifs, mais dont on ne peut dire avec certitudes qu’ils soient en déshérence. «Nous n’avons pas de contrats d’assurance en cours qui aient été souscrits avant 1966. Et le plus vieux d’entre eux est un contrat ‘vie entière’. Le souscripteur pourrait encore théoriquement être en vie, même si la probabilité est faible», illustre Benoît Royer. Sans pouvoir aller plus loin.
Détenir de tels fonds n’est pas, selon Benoît Royer, une solution idéale opérationnellement parlant. «Nous préférons liquider les dossiers et payer les bénéficiaires. D’un point de vue commercial, c’est même positif, car dans un certain nombre de cas, ils réinvestissent.» En attente de la législation qui les aidera à faire les choses de manière plus structurée dans un cadre légal, les assureurs restent tiraillés entre le souhait de bien régler les affaires et la nécessité de préserver le secret professionnel. Et de conclure: «Aujourd’hui, on est un peu dans de la débrouille avec les moyens du bord, et ce qu’on attend, c’est vraiment une approche structurée qui nous permette d’avancer sans prendre de risque juridique et financier».
Des recommandations pour les banques
Être dans la débrouille, c’est aussi le sentiment qui prévaut chez les banquiers. Pour eux, ces «moyens du bord» sont une conjugaison des dispositions du Code civil sur le dépôt (art. 1915 et suivants du Code civil) et de la circulaire 15/631 de la CSSF qui a posé un certain nombre de règles pour éviter qu’un compte ne devienne dormant et pour que le professionnel ait les bons réflexes en cas de réveil d’un tel compte. De tels réveils sont en effet souvent de mauvais signes qui renvoient à des pratiques de blanchiment. L’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL) a également développé des recommandations en la matière pour gérer de tels comptes.
En premier lieu, elle recommande à ses membres de procéder aux recherches d’ayants droit et d’héritiers, y compris en recourant par exemple aux services de généalogistes. Sous réserve que les frais engagés restent proportionnels aux avoirs relatifs. Et si les ayants droit restent inconnus ou sans héritier, l’article 2236 du Code civil s’oppose à ce que le dépositaire s’approprie les avoirs déposés en ses livres. «Une prohibition absolue.»
«Si, malgré les diligences de la banque pour identifier les ayants droit, elle n’en retrouve pas ou s’il n’y a pas d’héritier, la banque détenant les avoirs pourra procéder à une consignation desdits avoirs auprès de la Caisse de consignation. Celle-ci doit être effectuée en conformité avec les dispositions de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’État concernant les consignations volontaires, en attendant le nouveau texte de loi qui changera ceci», indique l’ABBL. Pour les banquiers, ce type d’avoirs sont avant tout des charges opérationnelles dont ils souhaitent se débarrasser au plus vite.
Devoir de mémoire
La grande question, actualité oblige, est celle des avoirs dormants issus de la Shoah. Réapparue à l’agenda au début des années 2000 suite à une question parlementaire de Ben Fayot, (CSV), face au problème, a chargé un historien, Paul Dostert, de se pencher sur la question. Un rapport «provisoire» est sorti en 2009. Paul Dostert parti à la retraite et (DP) nouveau Premier ministre, c’est Jean-Claude Muller qui a repris le sujet. Quelques réunions de travail ont eu lieu au ministère d’État, impliquant les banques et les assurances, représentées par l’ABBL et l’Aca. À aucun moment une estimation des sommes en jeu n’a pu être mise sur la table. «C’est non identifiable», disaient les professionnels.
En 2018, au moment du dépôt du projet de loi 7348, ni le ministère des Finances, ni la CSSF, ni le Commissariat aux assurances n’avaient été en mesure d’avancer des chiffres sur les sommes en jeu – la faute au secret professionnel et à l’absence d’une définition juridique officielle. Une situation qui n’a que peu évolué. L’ABBL dit ne disposer d’aucun chiffre et renvoie à la CSSF qui, au moment de la publication de cet article, ne nous a fourni aucune estimation officielle. Silence également du côté du Commissariat aux assurances. Marc Hengen parle, de son côté, d’un phénomène marginal en nombre de contrats. Sans plus de détails.
L’adoption de la loi devrait logiquement faciliter les travaux des groupes de travail chargés d’identifier les avoirs bancaires et les assurances impayées de l’époque de la Shoah, groupes prévus dans l’accord entre l’État du Grand-Duché de Luxembourg et le Consistoire israélite du Luxembourg, ce 27 janvier. Des sommes qui suscitent beaucoup de fantasmes et d’estimations, allant de centaines de millions à quelques sous, selon les sources…