Jean-Paul Scheuren est le président de la CIGDL depuis 2012. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Jean-Paul Scheuren est le président de la CIGDL depuis 2012. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Président de la Chambre immobilière du Grand-Duché de Luxembourg (CIGDL), Jean-Paul Scheuren jette un regard aiguisé sur la problématique du manque de logements de petite taille au Luxembourg. Pour lui, c’est la volonté politique qui manque pour en proposer plus, notamment en passant par la formule du coliving.

Quand on évoque le problème du manque de logements de petite taille, de quoi parle-t-on? Est-on capable d’objectiver le nombre de logements manquants?

- «On parle de logements de type studio, comptant une chambre, et généralement occupés par des jeunes ou des employés en mission ponctuelle au Luxembourg. Quant au nombre exact de logements de ce type manquants au Luxembourg, c’est extrêmement difficile à dire. Nous disposons surtout de chiffres sur le nombre de logements, tout court, qu’il faudrait construire pour absorber la demande (entre 4.000 et 6.500 logements, selon les études, devraient être construits chaque année au Luxembourg pour faire face à une demande croissante, ndlr).

Qu’est-ce qui explique ce manque de logements de petite taille au Luxembourg? Pourquoi ces logements en particulier?

«Ce sont les évolutions à l’œuvre au sein de la société qui conduisent à des situations de ce type. Aujourd’hui, nous avons de plus en plus de divorces, et donc de personnes qui vivent seules. Les contrats ‘atypiques’ se multiplient également, et de nombreux travailleurs doivent se loger momentanément ou n’ont pas la possibilité, en raison des prix élevés que nous connaissons, d’acquérir des logements de plus grande taille. Ceci étant dit, des problèmes très importants se posent aussi à l’autre extrême: il est en effet très difficile également de trouver de grands logements, de trois ou quatre chambres.

La demande a en effet explosé suite au Covid, et les terrains manquent pour en construire de nouveaux. Cette deuxième tendance n’est pas étonnante. Au-delà de la volonté qu’il y a de disposer d’un espace extérieur quand on est amené à rester plus chez soi, il faut aussi se rendre compte de la difficulté qu’il peut y avoir à travailler dans un logement de deux chambres quand les enfants sont aussi à la maison…

Quelles sont les pistes pour résoudre ce problème?

«Je pense qu’il faut parvenir à répondre de façon plus élastique à la demande de logements. Aujourd’hui, les règles édictées par les communes sont trop figées. Par exemple, la plupart des communes limitent à 25% de leur parc immobilier le nombre de logements de petite taille. Dès lors, quand le besoin de plus de logements de ce type se fait sentir, comme aujourd’hui, on ne parvient pas à s’adapter à la demande. D’autre part, les règles urbanistiques doivent aussi évoluer.

Aujourd’hui, si on construit dans certaines communes un projet sur 1.000m², il ne sera composé que de six logements, car la moyenne de la taille des logements doit être de 150m² – un format qui ne répond pourtant pas à la demande actuelle pour des logements plus petits ou alors bien plus grands. Sur une même surface, on pourrait pourtant faire deux fois plus de logements en adaptant ces règles…

En ce moment, les besoins se portent essentiellement sur des logements de taille plus réduite. Or, je sens qu’il y a un certain manque de volonté politique pour encourager la construction de ce type de logements.
Jean-Paul Scheuren

Jean-Paul ScheurenPrésident de la CIGDL

Pourquoi ces règles n’ont-elles pas déjà été adaptées?

«Il y a une réelle réflexion politique à mener pour mettre au point des règles flexibles, qui s’adaptent à chaque période. En ce moment, les besoins se portent essentiellement sur des logements de taille plus réduite. Or, je sens qu’il y a un certain manque de volonté politique pour encourager la construction de ce type de logements.

C’est lié à une perception erronée, mais qui a la vie dure: la construction de logements de taille plus modeste attirerait une population moins aisée, voire défavorisée. Or, certaines villes, certaines communes n’en veulent pas. Par ailleurs, si l’on parle des règles urbanistiques, il est clair qu’on ne peut pas les modifier en deux temps, trois mouvements. Cela demande non seulement une volonté politique, mais aussi un certain délai permettant aux modifications de suivre le chemin législatif classique.

On évoque parfois la formule du coliving comme étant une alternative intéressante pour un certain public en quête de logement. Qu’en pensez-vous?

«Pour moi, la création d’espaces de coliving est une solution parfaitement adaptée pour aider un nombre important de personnes à se loger au Luxembourg. On voit d’ailleurs que cette formule se développe ici et là. Mais, encore une fois, je constate que certains édiles locaux et responsables politiques se positionnent contre cette solution. Pourtant, il faut bien savoir de quoi on parle et éviter les erreurs d’interprétation: il ne s’agit pas de soutenir l’activité de marchands de sommeil qui fournissent des logements de piètre qualité à des publics défavorisés.

Au contraire, je pense à des immeubles de standing, offrant toute une série de services – blanchisserie, piscine, nettoyage, etc. –, ce qui convient bien à certains publics. La formule du coliving a en outre l’avantage de faciliter l’intégration de personnes jeunes, qui débarquent au Luxembourg, ou qui ne doivent y rester que quelques mois. Cela correspond parfaitement aux attentes d’employés de certaines sociétés – je pense par exemple aux Big Four – qui ne passent que quelque temps au Luxembourg avant de déménager ailleurs. Jusqu’ici, je n’ai pas l’impression que cette option, pourtant prometteuse, soit considérée comme une piste de solution par le pouvoir politique. Et c’est regrettable.

Les investisseurs réalisent régulièrement des opérations juteuses sur le marché de l’immobilier, même pour de petits logements. Cette activité freine-t-elle l’accès des particuliers à ces logements?

«À la CIGDL, nous sommes d’avis qu’il faut, au contraire, soutenir les investisseurs, même s’ils ont les capacités d’acheter un bien avant n’importe quel particulier. Le problème qu’on connaît au Luxembourg est le même que celui rencontré dans tout le reste de l’Europe: l’accès à la propriété est de plus en plus complexe. Cela est lié à la situation de transition économique dans laquelle nous nous trouvons actuellement et qui pèse particulièrement sur les membres de la classe moyenne. Pour être propriétaire aujourd’hui, il faut à la fois disposer d’une épargne importante mais aussi pouvoir se projeter sur le long terme.

Or, en considérant la hausse des prix, cela devient très difficile pour la plupart des gens, même ceux qui travaillent à deux. Dans ces conditions, il faut qu’un changement de mentalité s’opère: les particuliers doivent comprendre que la location est devenue le nouveau paradigme. Mais, pour mettre ces logements à disposition de ces nouveaux locataires, il faut encore que quelqu’un les achète ou les construise, sans quoi on risque bien de se retrouver dans une situation plus délicate encore, avec également un déficit de logements à louer.

Au Luxembourg, tout le monde s’entend sur le fait qu’il faut construire plus de logements, et plus en hauteur, mais personne ne veut que ce soit dans sa propre commune…
Jean-Paul Scheuren

Jean-Paul ScheurenPrésident de la CIGDL

C’est la raison pour laquelle il faut continuer à soutenir l’activité des investisseurs, qui sont les seuls à même de pouvoir développer des projets de logements suffisamment importants aujourd’hui. Mais eux aussi doivent s’adapter et arrêter de croire que seuls les logements de petite taille se louent et rapportent les meilleurs rendements. L’offre de logements locatifs doit aussi se diversifier.

La problématique du manque de logements de petite taille est finalement liée à celle du manque de logements, tout court…

«En partie, oui. Elle est surtout liée au manque de logements abordables, qui est un défi de taille pour le Luxembourg, mais aussi pour d’autres pays d’Europe. La nouvelle formule de plan d’aménagement général qui a été mise en place dernièrement devrait permettre de répondre en partie au problème. Il reste toutefois des pistes à explorer pour augmenter le nombre de ces logements disponibles sur le marché. Je pense, par exemple, à l’augmentation de la densité de logements dans chaque commune grâce à la construction en hauteur.

Augmenter d’un étage ou deux la taille des bâtiments qui sortent aujourd’hui de terre permettrait d’améliorer rapidement la situation, d’offrir plus de logements à des prix abordables aux particuliers. Cette astuce pourrait aussi être appliquée à des bâtiments existants. L’ennui, c’est qu’on est confronté, ici aussi, à des blocages par rapport à ce type de construction, même s’il ne s’agit pas d’ériger des gratte-ciel dans chaque commune. Au Luxembourg, tout le monde s’entend sur le fait qu’il faut construire plus de logements, et plus en hauteur, mais personne ne veut que ce soit dans sa propre commune…

La solution serait peut-être simplement de voir les prix de l’immobilier redescendre…

«Il est vrai que les statistiques de ces dernières années peuvent donner le tournis, avec une augmentation de plus de 10% chaque année depuis 2019. Cela dit, je pense qu’il vaudrait mieux comprendre les chiffres de l’immobilier, envisager la possibilité de certains biais statistiques qui expliquent cette nette augmentation. Il est toujours difficile de faire des prévisions sur les années à venir, mais il est clair que la demande reste bien plus importante que l’offre et que, dans ces conditions, les prix ne devraient pas redescendre. Néanmoins, suite à la croissance importante que nous venons de connaître, l’augmentation des prix devrait sans doute s’aplanir durant les prochaines années, avec une croissance plus proche de celle que nous connaissions avant la crise du Covid. Mais seul l’avenir nous le dira…

Cet article a été rédigé pour  parue le 15 juillet 2021.

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