L’installation «More Sweetly Play the Dance» 2015, est une des pièces phares de l’exposition de William Kentridge, présentée au Mudam. (Photo: William Kentridge)

L’installation «More Sweetly Play the Dance» 2015, est une des pièces phares de l’exposition de William Kentridge, présentée au Mudam. (Photo: William Kentridge)

L’artiste sud-africain William Kentridge est présenté au Mudam à travers l’exposition «More Sweetly Play the Dance», programmée dans le cadre du Red Bridge Project. Un ensemble inédit d’œuvres récentes de ce grand artiste de renommée internationale.

Annoncée il y a maintenant plusieurs mois, l’exposition «More Sweetly Play the Dance» de William Kentridge a pu ouvrir ses portes au Mudam. «Une ouverture dont nous nous réjouissons encore plus en ces temps compliqués», souligne Suzanne Cotter, directrice du Mudam. Cette exposition est initiée dans le cadre du Red Bridge Project, qui réunit le Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg, la Philharmonie et le Mudam autour de l’œuvre d’un artiste pluridisciplinaire. Cette collaboration sied comme un gant à William Kentridge, lui qui est aussi bien habitué à exposer sur les cimaises des musées qu’à présenter ses opéras dans les plus belles salles de concert du monde entier ou à diriger des performances théâtrales.

Pour l’exposition au Mudam, Suzanne Cotter a privilégié une sélection d’œuvres récentes et nouvelles mêlant dessins, œuvres sur papier, sculptures, films, installations sonores et vidéos. «L’œuvre de William Kentridge est à lire à travers le prisme de sa vie et de l’histoire de l’Afrique, de l’histoire coloniale», explique Suzanne Cotter. On retrouve bien entendu les fils conducteurs de son œuvre narrative mondialement connue et reconnue, qui procède par effacement et recouvrement pour aborder des sujets liés à l’histoire, à la mémoire et à l’oubli que Kentridge interroge à travers son expérience personnelle et celle de son pays natal, l’Afrique du Sud.

Pour l’exposition au Mudam, la présentation s’articule autour de sa nouvelle œuvre pour la scène, «Waiting for the Sibyl» (2019), une commande du Teatro dell’Opera de Rome, des Théâtres de la Ville de Luxembourg et du Dramaten à Stockholm.

Une réponse à l’architecture du musée

Pour accueillir le visiteur à son arrivée et l’accompagner avant qu’il ne quitte le musée, une impressionnante installation sonore et visuelle est déployée dans le grand hall. Au mur, un immense arbre dessiné en noir s’élève quasi jusqu’à la verrière, tandis que les racines se déploient au sol. Cet arbre, figure récurrente dans l’œuvre de l’artiste, a été réalisé avec l’aide de 13 étudiants de l’École supérieure d’art de Lorraine. Il est une réponse directe à l’architecture du musée, un élément du dialogue que l’artiste crée avec ce paysage muséal. En complément de ce dessin gigantesque, des mégaphones XXL sont dispersés dans le hall et diffusent des enregistrements de compositions musicales commandées par William Kentridge à cinq compositeurs sud-africains. Des sculptures rudimentaires, qui rappellent les mégaphones utilisés par la police pendant l’apartheid, et qui revêtent ici un caractère anthropomorphique, des objets qui deviennent des protagonistes d’une pièce de théâtre dont les visiteurs font partie.

Visite d’atelier

L’exposition se poursuit dans les deux galeries à l’étage qui jouent pleinement avec l’idée d’atelier, dans une magnifique et très sensible scénographie réalisée par Sabine Theunissen, collaboratrice de longue date de l’artiste.

La galerie Est rassemble plusieurs types d’œuvres. On y trouve deux projections, «Sibyl» (2020) et «City Deep» (2020), le dernier film de la série des «Drawings for Projection», commencée en 1989. Autour de ces deux projections est présentée une série d’œuvres sur papier qui donne à voir toute l’étendue du vocabulaire narratif de Kentridge: des dessins au charbon sur des feuilles d’encyclopédie, de grands dessins à l’encre de Chine, des croquis préparatoires pour son opéra…

Ces dessins trouvent une prolongation narrative dans un travail sculptural dont certaines œuvres sont de très grande taille. Assez surprenantes formellement, pour certaines d’entre elles, on reconnaît une cafetière, une caméra, un téléphone, «des objets tirés de son quotidien technologiquement distant», explique Suzanne Cotter. D’autres sculptures sont plus proches du dessin, des silhouettes qui forment une procession, ou encore des rébus sculpturaux dans une esthétique familièrement proche des modernistes ou du constructivisme russe.

L’ensemble de ces œuvres est présenté dans un esprit d’atelier d’artiste: les socles des sculptures sont leurs boîtes de transport, les tables de présentation sont de simples tréteaux…

 «Ce choix scénographique est une réponse au système architectural du musée très élaboré, une présence qu’il faut considérer comme un partenaire de danse», a expliqué la scénographe Sabine Theunissen. Pour créer ce paysage chorégraphique, elle a choisi de mettre en scène des matériaux naturels: du bois, du liège, du feutre. «Le thème de l’atelier est un thème récurrent chez Kentridge», détaille-t-elle. «Il est présenté ici de manière assez ouverte, pour créer un parcours aérien, avec du vide pour que le visiteur puisse s’installer, trouver sa place dans ce grand paysage.» Le lieu de l’atelier est aussi très important pour William Kentridge. Il explique que «l’atelier est une métaphore de la manière dont l’artiste interagit avec le monde, un espace où il réassemble des fragments du monde en une œuvre, dans l’idée du collage, un travail à travers la fragmentation qui fait sens.»

Immersion spectaculaire

L’autre aile du musée est entièrement dédiée à la présentation de l’installation vidéo immersive «More Sweetly Play the Dance». Les visiteurs attentifs pourront reconnaître certains objets présentés dans l’autre aile. On ne peut que trop conseiller aux visiteurs de prendre leur temps pour découvrir l’ensemble de ce film conçu comme une grande procession, un défilé musical et vivant, bariolé et mouvant, qui se déploie sur plusieurs écrans. Il s’agit là d’une des installations les plus célèbres de l’artiste, le fruit d’un travail collaboratif impliquant des musiciens, des danseurs, des interprètes. Elle a été réalisée en 2015, alors que la pandémie d’Ebola dévastait l’Afrique. «C’est une danse contre la mort, une danse de la mort, un thème pourtant européen, mais qui a un écho très fort à Johannesbourg», explique William Kentridge. On se laisse emporter sans aucun mal dans cette grande parade, faisant glisser son œil d’un écran à l’autre, tentant de saisir ici et là l’un ou l’autre détail, s’émerveillant devant la maîtrise technique de l’artiste faussement rudimentaire, tout en se laissant porter par la danse, le tumulte et le déséquilibre.

En complément de cette exposition, un programme de performances et d’événements est organisé. Un livre d’artiste, «Waiting for the Sibyl», publié par Walther König, et un recueil d’entretiens entre William Kentridge et Denis Hirson seront disponibles à partir d’avril 2021.

William Kentridge, «More Sweetly Play the Dance», au Mudam jusqu’au 30 août 2021.