Fredrik Skoglund, chief investment officer à la Banque internationale à Luxembourg. (Photo: Bil)

Fredrik Skoglund, chief investment officer à la Banque internationale à Luxembourg. (Photo: Bil)

Les rendements obligataires à l’échelle mondiale semblent stagner à des niveaux bas, voire négatifs. Pour la première fois de l’histoire, le rendement du Bund allemand à 10 ans a plongé en deçà du taux de dépôt de la BCE, fixé actuellement à -0,4%. Malgré cela, l’État allemand vient juste de vendre pour 3,2 milliards d’euros d’obligations. Dès lors que le prix d’une obligation et son rendement sont inversement corrélés, les acheteurs sont-ils rationnels?

Peut-être que oui. La majeure partie de la dette mondiale avec un rendement négatif – qui représente 13.000 milliards de dollars – provient du Japon, un pays dont l’histoire offre de précieux enseignements à ceux qui misent contre le marché des emprunts d’État. Rappelons que c’est dans ce pays que les transactions «widow maker» (littéralement, «faiseuses de veuves») ont vu le jour. Celles-ci ont fait de nombreuses victimes parmi les opérateurs financiers ayant vendu à découvert des obligations d’État japonaises manifestement mal valorisées.

Le pari risqué du redressement des taux

Alors que le rendement à 10 ans des obligations d’État japonaises atteignait 8% en 1990, il a chuté à 2% en 2000 et n’a fait que baisser depuis, malgré la dette massive accumulée par le gouvernement japonais. En mars 1999, la Banque du Japon (BoJ) a abaissé son taux au jour le jour à 0% et l’a maintenu à ce niveau jusqu’à aujourd’hui. Elle pensait, ce faisant, stimuler l’inflation, mais la demande de crédit était quasi inexistante et la vitesse de circulation de la monnaie dans l’économie japonaise s’est ralentie.

Les prix des obligations d’État correspondaient de moins en moins à la réalité du marché et les investisseurs misant sur un effondrement y ont laissé des plumes. Ces spéculateurs à la baisse étaient convaincus que toutes les conditions étaient réunies pour que les rendements se redressent, citant comme raisons l’atonie de l’économie et le niveau d’endettement public ahurissant. Deux décennies plus tard, le marché continue de traîner la patte en raison de la politique monétaire de la BoJ.

En allant à contre-courant des banques centrales, on peut très facilement se brûler les ailes.

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Des comportements «widow maker» ont fait leur apparition sur le marché européen. La menace d’un ralentissement mondial synchronisé a incité les investisseurs à se réfugier en masse dans la sécurité des obligations d’État à la fin 2018, ce qui a fait rechuter les rendements d’une grande partie du marché obligataire en dessous de zéro. En 2015, Bill Gross, souvent surnommé le «tsar des obligations», avait déclaré que la vente à découvert de l’obligation de référence de la zone euro (le Bund) représentait une opportunité d’investissement unique. Or, le rendement du Bund est aujourd’hui inférieur à son niveau de l’époque. Les «hedge funds» ont eux aussi été pris à revers, la hausse des rendements ne s’étant pas concrétisée.

En allant à contre-courant des banques centrales, on peut très facilement se brûler les ailes. Et il se pourrait que les investisseurs qui, à l’autre extrémité du marché obligataire, achètent des instruments assortis de rendements négatifs soient, eux, rationnels, car beaucoup le font à des fins de diversification ou alors espèrent réaliser un bénéfice sur les opérations de portage.

Une multitude de facteurs expliquent la stagnation au plus bas des rendements des obligations d’État. Les banques centrales jouent un rôle de premier plan, mais les craintes liées au commerce et à la menace récessionniste, ainsi que les risques politiques et l’inflation qui se fait attendre y contribuent également. Si vous êtes tentés de parier contre les marchés des obligations d’État, n’oubliez pas le vieil adage de John Maynard Keynes: «Le marché peut rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable».