«Les logiciels espions de NSO ont permis des cyberattaques ciblant des militants des droits de l’Homme, des journalistes et des responsables gouvernementaux. Nous croyons fermement que leurs opérations violent la loi américaine et qu’ils doivent être tenus responsables de leurs opérations illégales.»
À peine la Cour suprême des États-Unis a-t-elle autorisé, lundi 9 janvier, Whatsapp à intenter une action en justice contre le groupe israélien NSO, accusé d’avoir utilisé une faille dans son application pour installer le logiciel espion Pegasus et avoir surveillé 1.400 personnes, que le groupe Meta s’est fendu d’un communiqué sans ambigüité.
Également poursuivi par Apple et mis sur la liste noire des États-Unis depuis novembre 2021, le groupe voit s’éloigner toute perspective de se rabibocher avec les Américains, un des axes supposés de leur retour à la normalité. NSO avait plaidé l’immunité aux États-Unis.
Makarenko aux manettes
Comme le Guardian l’a révélé début janvier, une partie des structures luxembourgeoises où sont logées les actions du groupe israélien avaient pourtant procédé à une série de nominations et de changements en apparence cosmétiques: le 4 janvier, quatre «nouveaux» administrateurs entraient dans la danse, tous les quatre basés à Londres, en plus d’un des fondateurs, Shalev Holy, et Anthony Levy, avocat du groupe basé à Luxembourg.
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Parmi eux, la plutôt discrète Tamara Makarenko, le plus souvent présentée comme une experte du renseignement. Besoin de parler de mélange entre terrorisme et mafia? Tamara Makarenko est là. Besoin de parler du business kurde de la drogue? Tamara Makarenko est là. Besoin de parler de certains oligarques russes? Tamara Makarenko est encore là. En 25 ans, elle s’est fait une belle réputation dans l’intelligence sur de nombreux terrains «de guerre». Elle a quitté, il y a 18 mois environ, Sibylline, une société britannique pour laquelle elle travaillait et qui fournit de l’intelligence à des sociétés privées, des ONG ou des universitaires, pour monter son propre business.
Et c’est à peu près là que son nom a commencé à apparaître sur les tablettes de NSO et de sa constellation de sociétés. Au Luxembourg, elle apparaît aujourd’hui dans huit sociétés (Osy Technologies, Q Cyber Technologies, Triangle Holdings, Square 2, NorthPole Bidco, Diamond LIE, Emerald LIE et Northpole Holdco – depuis un an, sa plus ancienne apparition dans celle-ci).
L’étonnante valorisation d’EY Luxembourg
Pourquoi elle, sachant que NSO sait très bien à qui elle vend sa technologie? Une caution morale au-dessus de tout soupçon? Une caution morale destinée à redorer discrètement le blason de cette société technologique, . Impossible à vérifier, Tamara Makarenko est plutôt «timide» avec les journalistes, s’excuse presque un de ceux qui auraient pu faire le lien.
En août 2021, dans un document réalisé à partir de la valeur des actifs au 30 juin 2021, EY Luxembourg a estimé que la société valait 2,3 milliards de dollars, deux fois plus qu’un an plus tôt, à la faveur des 400 millions de dollars de chiffre d’affaires espérés en 2023 – ce qui n’a en réalité pas beaucoup de chance d’arriver mais qui montre combien elle a du potentiel, pourvu qu’elle soit encadrée ou vendu à un seul État qui ne soit pas forcément aligné avec les valeurs démocratiques habituellement mises en avant en Europe. La réalité est que l’analyse du Big Four est bien plus large que le seul décryptage du chiffre d’affaires.
NSO n’a pas répondu à nos demandes de précision sur cette insistante rumeur selon laquelle elle aurait perdu la moitié de ses clients et de son chiffre d’affaires pour ne conserver que majoritairement des clients européens et un endettement de près de 400 millions d’euros. En 2021, le Premier ministre, (DP), avait admis que le Luxembourg comptait parmi les clients du logiciel pour assurer la sureté de l’État et pas pour espionner des journalistes ou des opposants lors d’un évènement de LuxTimes, avant de faire machine arrière dans une réponse parlementaire quelques jours plus tard.
Deux décisions favorables aux fondateurs de Novalpina
Pas médiatisé du tout, un autre pan de l’affaire mérite qu’on s’y arrête. Fin décembre, dans deux décisions, la justice luxembourgeoise a rendu le contrôle de Novalpina Capital Partners à certains de ses fondateurs historiques qui avaient accompagné les Israéliens pour racheter les parts de Francisco Partners. Donc contre le Berkeley Research Group, qui avait pris le contrôle du fonds au moment du scandale, fonds dans lequel est logée NSO, mais aussi Olympic Entertainement Group et le produit de la vente du .
Plus intéressant encore, le BRG (Berkeley Research Group) a pris de la distance avec les affaires au Luxembourg et à Londres en se séparant de sa division BR Asset Management. De peur des risques réputationnels qu’il y avait à passer son temps en justice? Ou de peur de voir une structure conserver un asset unique, NSO, qu’il aurait fallu vendre plus tard alors que la situation financière devient critique? Contacté par Paperjam, BRG répond poliment par son PR à Londres: «À compter du 15 novembre 2022, BRG Asset Management, conseiller en placement enregistré dirigé par le directeur des placements Finbarr O’Connor, ne sera plus affilié à Berkeley Research Group mais fonctionne plutôt comme une société indépendante, Treo Asset Management. Le changement fait suite à des discussions productives entre la direction de BRG et Finbarr O’Connor et à un accord mutuel selon lequel les besoins des entreprises respectives – et de leurs clients respectifs – seraient mieux servis en séparant l’activité de conseil en investissement, en une société indépendante dirigée par Finbarr O' Connor.»
Netanyahou, une chance pour NSO?
Alors que se profilent deux nouvelles échéances judiciaires, les partners de Novalpina, joints par Paperjam, se contentent d’un laconique: «Les tribunaux luxembourgeois examinent les actions de BRG (Noal GP – la filiale enregistrée au Luxembourg) et nous avons confiance dans le système judiciaire luxembourgeois.» En jeu: la poursuite de la vente «à la découpe» – c’est nous qui mettons les guillemets – de ce fonds.
Depuis l’été dernier, le cofondateur de NSO, Shalev Holy, pariait sur le retour de Benyamin Netanyahou au pouvoir pour relancer l’activité de la société: à 73 ans, en décembre, au cinquième tour, le dirigeant du Likoud a réussi son pari en s’alliant à une coalition de partis très à droite et ultra-orthodoxes; très critiqué pour cela, il a autre chose à faire. Pour le moment. Mais l’État israélien conserve une main de fer sur les exportations de technologies sensibles.