L’interview de 2014 a disparu. Stephen Peel, investisseur au nez creux et aux larges épaules de rameur olympique, y explique qu’il va quitter le monde de l’investissement pour aller étudier les politiques publiques à Yale et se lancer dans la vie publique. Probablement dans un organisme de bienfaisance qui lutte contre la corruption ou une entreprise qui aide à lutter contre la pauvreté, promet-il. De quoi être en parfaite symbiose avec son épouse d’origine russe, Yana, qu’il a rencontrée chez Goldman Sachs à la fin des années 1990 et qui lui a donné deux beaux enfants. Un rêve qui ne durera pas trois ans: en 2017, il crée à Luxembourg une nouvelle société d’investissement, Novalpina Capital Group (NCG).
Les deux époux continuent d’affirmer à longueur d’interviews leur envie d’œuvrer pour le bien de la communauté… jusqu’à février 2019. Dans un communiqué, NCG explique qu’elle a racheté les deux tiers des parts de la holding de NSO Group au Luxembourg (Square) à une autre société d’investissement, Francisco Partners, pour un milliard de dollars. Problème: The Guardian, qui s’intéresse à cette structure créée en avril 2017, découvre que M. Peel l’a créée seul, a mis le business au nom de madame, qui détient la totalité des 1,2 million de droits de vote de classe A, avant de les redistribuer à parts égales entre son épouse et ses deux nouveaux associés, Stefan Kowski et Bastian Lueken.
Comment Mme Peel peut-elle à la fois se présenter comme une sorte d’égérie des droits de l’Homme et héraut de la défense des plus pauvres et être de fait à la tête de 400.000 droits de vote d’une entité qui a dans son portefeuille deux tiers de la société israélienne déjà accusée de fournir de la technologie sensible à des gouvernements peu regardants sur les droits de l’Homme? Sous la pression médiatique, bien que criant au complot et aux erreurs des médias, la protégée de Michael Bloomberg quitte d’abord le conseil d’administration de l’ONG Global Witness, puis son poste de directrice des prestigieuses Serpentine Galleries à Londres.
Le 30 août 2019, elle cède toutes ses parts à son mari. Et là commence le début d’une autre histoire pénible pour M. Peel. Visiblement, ce qui dérangeait le plus le couple, c’est que la société d’investissement ne soit pas passive, mais active. Car trois mois après l’annonce de la prise de contrôle de NSO, et toujours sous la pression des ONG, NCG se fend . Dont trois membres de NCG, Stephen Peel, Stefan Kowski et Mickael Betito, sans oublier deux autres personnalités qui sont aussi dans le «Who we are» du groupe selon son site internet, Günther Schmid (senior advisor et dans le CA pour Kerberos Compliance) et Gerhard Schmidt (président non exécutif du CA de Novalpina Capital Group et dans le CA de NSO Group pour Weil).
Selon des échanges publiés par The Guardian et à l’authenticité contestée par les avocats des dirigeants de la société d’investissement, M. Peel aurait souhaité modifier la structure de Novalpina Capital Group pour la rendre non active. Ce dont ses deux associés ne semblent pas vouloir entendre parler. Début janvier dernier, les deux hommes, aidés par trois autres administrateurs de classe B, suspendent les droits de vote de M. Peel. Un premier tribunal luxembourgeois avait ordonné l’abrogation de la suspension, un deuxième, début juillet, a abrogé l’abrogation. M. Peel n’a plus voix au chapitre.
Selon un document enregistré au registre du commerce, le fondateur de Novalpina Capital Group a démissionné de tous ses mandats d’administrateur des sociétés liées à NCG début juillet, après cette deuxième décision, tout en restant un des trois bénéficiaires effectifs, selon le registre luxembourgeois. L’affaire pourrait durer des années devant la justice, croit savoir The Guardian.