Destination résilience. Enfin débarrassé du carcan sanitaire, le secteur des agences de voyages aborde la nouvelle année le cœur léger, fort des résultats stimulants enregistrés lors des 12 derniers mois. Pour la faire simple, les chiffres se situent au niveau – voire au-dessus – de ceux établis en 2019, avant le Covid. Le groupe Luxair évoque même «une année record» avec 2,5 millions de passagers, le vacancier LuxairTours «ayant contribué à ce succès avec un million de passagers».
Ce désir d’évasion, semble-t-il, plus fiévreux que jamais s’accompagne, en outre, d’évolutions notables dans les attentes des consommateurs. Autant de tendances invitant les professionnels à s’adapter, en ajustant leurs catalogues en 2024. Panorama.
Le «sur-mesure»
«Nos clients veulent faire autre chose que d’être sur un transat. Ils sont de plus en plus actifs», résume le président de l’Union luxembourgeoise des agences de voyages (Ulav) et gérant-associé chez Emile Weber, , à propos de cette orientation déjà prégnante, et promise à s’installer durablement: la customisation des séjours.
Concrètement, cela se traduit par «plus d’activités, sportives et culturelles». Et, de manière générale, par une demande accrue du consommateur en faveur d’aménagements personnalisés durant son voyage. Pour la clientèle la plus à l’aise financièrement, les transferts privés se multiplient par exemple.
Cet attrait pour le «sur-mesure» constitue «un challenge à relever», , Michael Gloor. «En termes de chiffre d’affaires, ce n’est pas l’essentiel de notre business. Mais le client est devenu plus exigeant dans son souhait de vivre une expérience unique. Ce phénomène existe depuis un moment déjà, et il prend de l’ampleur. À telle enseigne que chez nous, on a créé un centre de compétences. Plusieurs personnes travaillent sur le «sur-mesure».»
Une aubaine pour les voyagistes, donc, qui y trouvent un facteur différenciant (de plus) par rapport aux sites online. «Le «sur-mesure», les gens peuvent le faire depuis chez eux aussi, mais à condition d’y consacrer des heures et des heures, le soir et le week-end. En agence, vous gagnez du temps et vous êtes à l’abri d’offres qui ne sont pas les bonnes», développe Michael Gloor, qui se souvient qu’en 2020, quelque temps avant la pandémie, «beaucoup de clients avaient effectué des réservations sur internet… avant de perdre tout leur argent, car personne n’était là pour les accompagner». Conclusion: «Dans le futur, le rôle de l’agence de voyages devra de plus en plus tenir compte de ces rajouts de valeur», croit-il.
La chasse aux prix
L’inflation sévit dans le tourisme autant qu’ailleurs. En conséquence (on le verra plus tard), les clients d’agences de voyages tentent de contrecarrer ses effets en verrouillant leurs vacances avec plusieurs mois d’avance. «Comme l’aérien est cher et que les compagnies ont augmenté leurs prix en 2023 en raison d’une demande colossale, ils ont appris que c’était plus avantageux pour eux d’acheter un peu plus tôt», en cherchant à exploiter la fenêtre de tir où les prix sont les plus compétitifs, relève le directeur général de Travel Group.
Au sortir de la saison estivale, le CEO de Luxair, , indiquait que le panier moyen avait augmenté moins vite que les tarifs des hôteliers ou le coût du kérosène, de l’ordre de 2% à 3% seulement. «Les clients ne réduisent pas la durée du séjour, mais rognent sur les extras comme les options au niveau des chambres par exemple», expliquait le dirigeant.
«Il n’y a pas de changements d’habitudes à proprement parler», nuance toutefois le président de l’Ulav, fédération d’une quarantaine de membres. «Certains vont peut-être réserver pour une durée moins importante, 10 jours au lieu de 14 jours, et avec un autre budget. Mais ce n’est pas la majorité. La clientèle des agences de voyages est là parce qu’elle veut de la qualité, par comparaison avec la clientèle online qui cherche les prix en priorité, se préoccupant moins de la qualité.»
L’anticipation
Durant la période Covid, impossible de se projeter. Les consommateurs se rattrapent désormais. «Fin décembre, j’étais en avance de plus ou moins 30% par rapport à l’année précédente», situe le directeur général de Travel Group, Michael Gloor. «Cela ne veut pas dire que je vais faire 30% de ventes en plus dans l’année, seulement que les consommateurs ont anticipé un peu plus tôt encore.» «En 2022 et 2023, les gens ont fait les réservations plus tôt», confirme Fernand Heinisch.
«Réserver plus tôt était en fait un comportement habituel jusqu’en 2020 afin de bénéficier des meilleurs tarifs, mais aussi de s’assurer que l’hôtel et les vols souhaités étaient toujours disponibles. Depuis fin 2022, et plus particulièrement en 2023, nous constatons un net retour à ce type de pratique», explique le chief commercial officer de Luxair, Thomas Fischer.
De là à décréter la fin du «last minute», il y a un pas que les professionnels ne franchissent pas (encore?). «Cela dépend beaucoup des compagnies aériennes. S’il y a plus de demandes que d’offre, elles ne baisseront plus leurs prix. Elles ont une meilleure visibilité de l’utilisation de leurs capacités sur les appareils, elles n’ont pas besoin de stimuler les ventes. Mais cela peut évoluer. S’il y a un peu moins de demandes, les choses peuvent basculer. Cela reste un jeu», pense Michael Gloor. «Avant le Covid, il y avait encore des offres intéressantes en mai et en juin. En 2023, il y a eu très peu de choses», souligne-t-il tout de même.
Le retour de la confiance…
«Les gens n’ont plus peur d’être bloqués quelque part», se félicite le président de l’Ulav, qui évoque un retour en force des réservations pour les croisières et les long-courriers. «C’était vraiment «mort» durant le Covid. Il y a eu un rebond en 2023, mais pour 2024, on sent une envie de voyager plus loin.»
Chez LuxairTours, ce regain de confiance ne se manifeste pas «spécifiquement par des itinéraires plus longs», détaille le directeur commercial, Tom Fischer, «plutôt par une reprise globale sur toutes les destinations, quelle que soit la durée du vol».
Dans le détail, «nos clients testent les nouvelles destinations que nous avons lancées depuis 2021, comme Dubaï, Pescara, Montpellier, Valence, Dakar ou La Palma». Parallèlement, LuxairTours enregistre «une reprise stable de [ses] destinations classiques en Espagne, en Italie, en Tunisie et en Grèce». Palma de Majorque, Malaga, Faro, Djerba et Tenerife composent, dans cet ordre, le top 5 des destinations les plus prisées en 2023.
…et des voyages d’affaires
De même que le télétravail a globalement tendance à reculer depuis plus d’un an que l’accalmie a gagné la bataille sur le front sanitaire, le recours au «tout-visio» et autres meetings organisés derrière un écran paraît s’effriter. Une bonne nouvelle pour les voyages d’affaires, dont les scores ont été en recul «de -10% ou -15%» l’an dernier, témoigne Fernand Heinisch. «Cela recommence bien, les sociétés semblent avoir compris que ne pas voyager n’est pas la meilleure des choses. Pour faire du business, la visio n’est pas suffisante, il faut des réunions en présentiel.»
L’environnement
Comment voyager (loin) et s’acheter une bonne conscience environnementale malgré tout? «On est conscient que le tourisme est générateur d’émissions. En ce sens, les fournisseurs – aussi bien les compagnies aériennes que les croisiéristes – essaient de travailler différemment», note Michael Gloor.
Le groupe Luxair a introduit dans différents produits des compensations CO2, dont il assure lui-même le coût associé. En parallèle, une compensation sur la base du volontariat est proposée, permettant aux voyageurs de «décider eux-mêmes s’ils souhaitent ou non contribuer à la compensation de CO2, sur tous les vols», ajoute le chief commercial officer de Luxair, Tom Fischer. «Comme cette possibilité est plutôt récente, nous ne voyons pas encore de résultats importants, mais il y aura certainement un progrès à l’échelle d’une année complète, en 2024.»
«Les gens ne sont pas prêts à payer davantage pour le moment», abonde le directeur général de Travel Group. «Mais ça va venir, c’est une question, chacun y réfléchit. Je ne doute pas que cela prendra de l’ampleur.» Pas vraiment le choix de toute façon.