L’affaire avait défrayé la chronique et entaché la réputation de l’institution européenne. À l’été 2016, une attachée dénonçait à sa direction le comportement de son directeur, sous les ordres duquel elle se trouvait depuis deux ans.
Cette personne, engagée à la BEI en 2008, «reprochait au nouveau directeur d’avoir porté un coup d’arrêt brutal à sa carrière en l’écartant sans juste motif d’un poste à responsabilités, de l’avoir dénigrée, d’avoir tenu des propos déplacés, agressifs, méprisants et accusateurs, d’avoir retenu certaines informations, de s’être abstenu de lui fournir un retour sur ses prestations professionnelles et de l’avoir défavorisée par rapport à d’autres personnes», résumait le Tribunal de l’UE dans son arrêt du 13 juillet 2018.
En réaction à cela, la BEI «n’a reconnu que partiellement que l’attachée avait fait l’objet d’un harcèlement moral en lien avec certains des faits allégués». Exigeant des excuses de la part du directeur envers la victime, elle l’a informé de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à la prochaine plainte fondée à son encontre et étudié un coaching professionnel sur son style de gestion et de communication. Le tout en imposant le silence à l’attachée quant à cette affaire.
La politique de dignité au travail promeut une culture dans laquelle le harcèlement psychologique et sexuel n’est ni toléré ni ignoré.
Le Tribunal de l’UE étant chargé des plaintes de fonctionnaires européens envers leur employeur, c’est vers lui que s’est tournée l’attachée. La juridiction a statué en sa faveur, reconnaissant qu’elle a bien fait l’objet d’un harcèlement moral et condamnant la BEI à lui verser 10.000 euros de dommages et intérêts. Il a notamment précisé que le harcèlement moral est constitué de multiples comportements qui ne semblent pas forcément poser problème lorsqu’ils sont pris isolément.
Interrogée par Paperjam.lu, la BEI indique «avoir pour objectif d’offrir un environnement de travail positif» et assure que «tous les employés sont traités avec dignité et respect», selon un porte-parole. L’institution a révisé sa politique de dignité au travail, «également en prenant en considération l’arrêt dans l’affaire T-377/17», publiant en mars 2019, valable également pour le Fonds européen de stabilité financière. «Cette politique promeut une culture dans laquelle le harcèlement psychologique et sexuel n’est ni toléré ni ignoré», explique le porte-parole de la BEI.
Le protocole révisé par la BEI est exposé sur 28 pages. Il prévoit plusieurs stades de prise en compte d’une plainte pour harcèlement moral ou sexuel.
Trois étapes dont le contentieux en interne
Première étape: le salarié estimant être harcelé peut s’adresser à un conseiller confidentiel faisant partie d’«un réseau de volontaires composé de collègues spécialement sélectionnés et formés qui peuvent fournir assistance et soutien». Il est ensuite «encouragé d’essayer de régler ses préoccupations avec la personne accusée de manière informelle et bilatérale», «dans la mesure du possible (…) de manière ouverte, honnête, non litigieuse et non menaçante, faisant apparaître suffisamment clairement que la conduite est non désirée», si besoin avec l’assistance d’une tierce personne.
Le protocole prévoit une procédure de médiation facultative pour que «les deux parties essaient de résoudre une situation de travail difficile de manière précoce» avec l’aide d’un «médiateur externe qualifié». Cette médiation «ne doit pas prévoir une compensation d’ordre financier ou autre», précise le document de la BEI.
En cas d’échec de la médiation, ou si elle n’a pas été tentée, la BEI ménage la possibilité de lancer une procédure formelle devant un «panel externe d’experts impartiaux». La victime présumée et l’auteur présumé du harcèlement sont entendus en audition, avec l’intervention possible de témoins. Le panel peut aussi mandater une investigation (communications téléphoniques et électroniques, etc) et faire appel à un expert externe. Cette procédure prévoit «la sauvegarde des droits de la défense et du droit d’être entendu ainsi que la protection effective des témoins», assure le porte-parole de la BEI. In fine, le panel rend son rapport final au directeur des ressources humaines.
Si les faits sont déclarés comme constitutifs de harcèlement, l’auteur présumé peut faire l’objet d’une procédure disciplinaire, tout comme le salarié prétendant être la victime si le panel estime que sa plainte repose sur des «allégations vexatoires, fausses ou malveillantes».