L’Administration des contributions directes met de temps à autre à jour ses «actualités» sur son site internet. Celle du 26 août dernier concernait des «Précisions apportées au niveau des conventions Allemagne/Belgique/France concernant le seuil de tolérance» du nombre de jours «autorisés» de télétravail, faut-il indiquer. Elle confirme des différences d’interprétation du texte des accords conclus avec les trois pays voisins.
En ce qui concerne la Belgique, l’administration luxembourgeoise confirme tout d’abord que le nombre de jours qu’un frontalier peut exercer hors du Grand-Duché sans être concerné par une imposition dans son pays de résidence est de 24 jours «pour la période du 1er juillet au 31 décembre 2022». Si vous avez télétravaillé 10 jours entre janvier et juin, par exemple, il vous reste donc tout de même un solde de 24 jours pour le restant de l’année.
Ensuite, le texte souligne qu’en ce qui concerne les employés à temps partiel, «le seuil de 24 jours n’est pas réduit proportionnellement». Un salarié qui preste 40 heures par semaine a donc droit à 24 jours potentiellement télétravaillables par an. Celui qui travaille 20 heures par semaine, ou même 8 heures par semaine… a donc aussi droit à ce même quota de 24 jours!
Mais voilà: la circulaire 22/2015 du fisc belge indique, pour sa part, que le nombre maximal de jours doit être réduit «proportionnellement aux prestations prévues au contrat. Le nombre de jours obtenu doit être arrondi à l’unité supérieure.»
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Un exemple est même donné, pour que cela soit bien clair: «Le contrat d’emploi d’un habitant du Royaume exerçant une activité salariée sur le territoire grand-ducal prévoit des prestations réduites à 80% du temps normal de travail. Sur la base de l’accord amiable, les rémunérations se rapportant à une activité exercée en Belgique et/ou dans un État tiers resteront imposables au Luxembourg si la présence physique de ce travailleur en Belgique et/ou dans l’État tiers n’excède pas au total 20 jours au cours de la période imposable (soit 24 jours x 80% = 19,2 jours arrondis à 20 jours).»
Une différence «normale»
Il y a donc de part et d’autre de la frontière une interprétation différente d’un même accord. Ce qui semble… normal. «Il n’est pas à exclure que deux autorités compétentes ne parviennent pas à dégager une interprétation commune de certaines dispositions conventionnelles, raison pour laquelle les conventions fiscales reprennent notamment une procédure d’entente amiable qui s’applique aux situations dans lesquelles une personne estime que les mesures prises par un État contractant ou les deux États contractants entraînent ou entraîneront pour elle une imposition non conforme aux dispositions de la convention», explique l’administration luxembourgeoise contactée par Paperjam.
Assumant totalement sa lecture du texte, elle souligne en outre «qu’il n’est ni matériellement possible ni systématiquement opportun pour un partenaire conventionnel de ne s’aligner dans le cadre de son réseau conventionnel que sur les positions ou interprétations de l’autre État conventionnel».
Nous ignorons pourquoi l’administration fiscale luxembourgeoise s’écarte de cette interprétation.
Côté belge, également sollicité par Paperjam, le ministère des Finances rappelle d’abord que la convention passée entre les deux pays ne prévoit aucune limite au télétravail. «La CPDI (Convention préventive de la double imposition) ne restreint aucunement la liberté qu’un salarié a de travailler en Belgique ou au Luxembourg puisqu’elle se borne à répartir le pouvoir d’imposition sur les revenus et la fortune entre la Belgique et le Luxembourg», explique Florence Angelici, sa porte-parole.
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Mais pour être intégralement imposé dans le pays où il exerce son activité, le salarié ne peut prester que 24 jours maximum en dehors de celui-ci. Et pour Bruxelles, «le quota de 24 jours doit être proratisé de façon correspondante à son temps de travail».
Ce qui semble du pur bon sens côté belge. «Nous ignorons pourquoi l’administration fiscale luxembourgeoise s’écarte de cette interprétation», dit d’ailleurs le ministère des Finances.
Les frontaliers français concernés aussi
Côté français, le ministère de l’Économie avait été plus clair dès la fin du mois de juin quant au nombre de jours valables du 1er juillet au 31 décembre, via un communiqué de presse: «Les jours de télétravail réalisés à compter du 1er juillet 2022 s’imputent donc de nouveau sur le forfait de 29 jours, étant précisé que ce forfait s’applique sans prorata pour 2022.»
Le Luxembourg estime, pour sa part, que, «pour 2022, le seuil de 29 jours est accordé pour la période du 1er juillet au 31 décembre».
L’employé français pourrait en déduire que ce quota est valable, peu importe son nombre d’heures hebdomadaires de travail. À défaut de précisions officielles apportées par Bercy, la lecture qu’a l’administration luxembourgeoise l’incitera à la prudence: «Lorsqu’un salarié qui est un résident de l’un des États contractants exerce son activité dans l’autre État contractant dans le cadre d’un contrat à temps partiel, le seuil de 29 jours est réduit proportionnellement.»
Un frontalier français employé 40 heures par semaine a donc droit à 29 jours de télétravail du 1er juillet au 31 décembre 2022 sans redevenir imposable en France. Un autre frontalier employé 20 heures par semaine n’a plus droit qu’à 14,5 jours.
Quant aux frontaliers allemands, leur administration fiscale avait indiqué en mars 2022 déjà que le nombre de jours autorisés en télétravail ne se ferait pas, en 2022 du moins, au prorata du temps de travail. Ce que confirme le Luxembourg: «Lorsqu’un salarié qui est un résident de l’un des États contractants exerce son activité dans l’autre État contractant dans le cadre d’un contrat à temps partiel, le seuil de 19 jours n’est pas réduit proportionnellement.» Temps plein ou temps partiel, c’est 19 jours pour tout le monde, quota valable du 1er juillet au 31 décembre.
Dès lors, les résidents allemands n’ont pas de souci à se faire puisque l’analyse de la CPDI est identique dans leur pays et au Luxembourg.
Trois situations différentes
Conclusion?
– Pour les Belges, au Luxembourg, l’Administration des contributions directes estime que chaque frontalier peut potentiellement avoir droit à 24 jours de télétravail entre le 1er juillet et le 31 décembre, peu importe son taux d’employabilité. Mais le ministère belge des Finances estime, lui, que ce quota doit être calculé au prorata du temps de travail (24 jours pour un temps plein; 12 jours si on travaille à mi-temps…);
– Les Français peuvent a priori être apaisés puisque si le Luxembourg considère qu’il doit y avoir un calcul du nombre de jours télétravaillables au prorata du temps de travail, Bercy – à qui ils auraient des comptes à rendre s’ils redevenaient en partie imposables dans leur pays de résidence – n’a pas pris position. Temps plein, 4/5e ou mi-temps, c’est 29 jours pour tout le monde, du 1er juillet au 31 décembre.
– Les Allemands profitent d’un alignement du fisc luxembourgeois et du fisc allemand: 19 jours pour tout le monde du 1er juillet au 31 décembre, peu importe le niveau d’employabilité.
Une possibilité, pas un droit
Néanmoins, il semble utile de préciser que toutes les fonctions ne sont pas «télétravaillables».
Mais aussi que cette possibilité dépend aussi du bon vouloir de l’employeur. N’étant pas (encore) inscrit dans le Code du travail ou dans les conventions collectives quand elles existent, le télétravail est au mieux une possibilité, mais certainement pas un droit.
Qu’il puisse bénéficier de 19, 24 ou 29 jours de télétravail, la loi autorise l’employé à les demander, mais ne lui offre aucune possibilité de les exiger.