Stéphane Pallage met en avant l’interdisciplinarité pour mieux servir la société. (Photo: Gaël Lesure / archives Maison Moderne)

Stéphane Pallage met en avant l’interdisciplinarité pour mieux servir la société. (Photo: Gaël Lesure / archives Maison Moderne)

Pour sa troisième rentrée à Belval, le recteur de l’Université du Luxembourg revient sur les réajustements de certains programmes, les projets en cours, et surtout sur la stratégie de l’Uni à 20 ans.

Retrouvez la première partie de cette interview.

Le plan quadriennal actuel s’achève en 2021. Avez-vous déjà une idée de la stratégie que vous présenterez pour le suivant?

Stéphane Pallage. – «Nous avons déjà commencé à réfléchir à un plan stratégique pour l’Université… sur 20 ans. Nous voulons une vision claire de l’Université, et notre stratégie sera le chemin pour s’y rendre. Les stratégies suivaient auparavant les plans quadriennaux. C’était normal, parce que l’Université était jeune. Aujourd’hui, nous pouvons nous permettre une vision à 20 ans, qui rendra les stratégies à court terme beaucoup plus faciles à écrire.

Nous avons formé des ateliers de travail avec les membres de la communauté universitaire. Je voulais un grand rassemblement commun sur une journée, mais nous avons dû l’annuler du fait du Covid-19. Nous avons néanmoins organisé de plus petits rassemblements de moins de 30 personnes par téléconférence sur trois grandes thématiques: , les valeurs et le service à la société, l’enseignement et l’apprentissage… Nous présenterons nos réflexions au conseil de gouvernance cet automne, et façonnerons ensemble le visage de l’Université que nous voulons être à long terme.

L’Uni a reçu un budget de 766,8 millions d’euros pour la période 2018-2021 (+30%), sans compter les 26,4 millions pour la formation médicale. Est-ce suffisant?

«Nous avons toujours besoin de plus! [rires]. Les gouvernements successifs ont investi de manière importante et cohérente depuis 20 ans. Nous bénéficions de budgets considérables qui nous permettent d’aspirer à être parmi les meilleures universités au monde dans certains domaines. Par exemple, nous sommes classés 12e par le Times Higher Education pour les jeunes universités – au lieu de 17e l’an dernier, sachant que 80 universités supplémentaires ont rejoint ce classement.

Nous avons toujours été prudents et identifié les champs prioritaires. Cela donne des résultats. Nous comptons aujourd’hui 6.714 étudiants, 270 professeurs et plus de 1.700 chercheurs, dont 440 post-doctorants. Bien des universités ne peuvent rêver de cela, et encore moins avec la crise du Covid-19.

Nous voulons renforcer l’interdisciplinarité, parce que nous pensons que notre contribution à la société est la plus grande si nous sommes capables de réunir plusieurs cerveaux pensant différemment (…) autour de l’étude d’un problème sociétal important.
Stéphane Pallage

Stéphane PallagerecteurUniversité du Luxembourg

L’Uni a reçu, début 2020, 9,65 millions d’euros de plus (+2%). Outre l’extension des horaires d’ouverture du Luxembourg Learning Centre, à quoi a servi cette rallonge?

«Ce supplément doit financer des projets de mi-mandat que nous avons présentés l’automne dernier au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Notamment une partie de notre stratégie digitale, l’ouverture de la bibliothèque les samedis et dimanches.

Nous voulons aussi mettre en place un Centre pour l’éthique digitale (center for digital ethics), qui traiterait des questions fondamentales sur les droits et libertés qui surgissent dans une société de plus en plus digitalisée, où les vies privée et publique se mélangent. L’objectif du Centre sera d’observer ce qui se passe chez nous et ailleurs, et de conseiller sur les bonnes pratiques en matière digitale. Certains chercheurs travaillent déjà dans ce domaine, et nous en recruterons d’autres. Cet observatoire sera rattaché à la faculté des Sciences humaines, Sciences de l’éducation et Sciences sociales, avec une gouvernance proche de celle du Lucet.

Nous comptons aussi finaliser l’Institute of Advanced Studies, qui accueille les chercheurs portant des projets extrêmement osés au niveau interdisciplinaire, pour lesquels il n’est pas facile de trouver un financement. Nous voulons renforcer l’interdisciplinarité, parce que nous pensons que notre contribution à la société est la plus grande si nous sommes capables de réunir plusieurs cerveaux pensant différemment, avec des expériences et des outils différents, autour de l’étude d’un problème sociétal important.

Nous formons les étudiants pour des métiers qui n’existent pas encore.
Stéphane Pallage

Stéphane PallagerecteurUniversité du Luxembourg

Quelles sont les nouveautés de la rentrée universitaire 2020-2021?

«Nous lançons un , ainsi que les spécialités en oncologie et en neurologie. C’est un moment assez crucial pour le Luxembourg, parce que la crise nous a montré à quel point il est important de former des médecins. Le taux de médecins de plus de 60 ans est très élevé. Nous contribuons à former la relève.

Nous avons également procédé à une refonte des programmes d’ingénierie et de mathématiques, qui sont aussi importants pour le pays. Beaucoup de jeunes se lancent dans ces domaines, qui sont de plus en plus sollicités, par exemple les mathématiques pour l’intelligence artificielle, qui repose sur la gestion d’une masse considérable de données. Notre mission a changé avec le temps: nous formons les étudiants pour des métiers qui n’existent pas encore.

Êtes-vous satisfait du master interdisciplinaire de l’espace, qui accueillera sa deuxième promotion en septembre prochain?

«Je suis très heureux du modèle de partenariat monté avec l’industrie. Nous avons construit une maquette de programme et sommes allés la présenter devant les grandes entreprises du domaine spatial: SES, mais aussi Boeing, Airbus, Arianespace, Thales Alenia Space, SpaceX… Nous avons reçu un feed-back très positif, que nous avons pu intégrer pour construire le programme, qui compte un semestre en industrie sur un projet élaboré en partenariat entre l’Université et l’industrie. Cela crée une expérience assez unique.

Notre défi est de constituer, en pleine crise du Covid-19, une deuxième cohorte .

Excellente en recherche, la Luxembourg School of Finance devait se rapprocher du secteur financier.
Stéphane Pallage

Stéphane PallagerecteurUniversité du Luxembourg

, la Luxembourg School of Finance a officiellement été renommée «département de finance» au sein de la faculté de Droit, d’Économie et de Finance, début 2020. Est-ce une mutation réussie?

«La Luxembourg School of Finance a toujours été une unité de recherche dans la faculté, qui compte maintenant trois départements: Droit, Finance et Sciences économiques et gestion. Excellente en recherche, elle devait se rapprocher du secteur financier. Nous avons élaboré une stratégie pour ce département durant un an en consultant beaucoup. Les masters en finance ont été revus, en collaboration avec le monde de la finance.

Au-delà de l’excellent dialogue tissé avec l’ABBL, nous avons engagé un outreach officer, qui fait le pont constant entre l’Université et le secteur financier.

Un grand projet de finance durable est aussi en cours avec les ministères des Finances et de l’Environnement. La convention est signée depuis quelques mois et prévoit d’ajouter un module de finance durable dans le master en économie et finance.

Ce qui est fondamental dans cette réforme du master, c’est que nous l’avons rendu accessible à tous. Bien sûr, il faut être admis, mais les frais de scolarité sont les mêmes que pour les autres programmes de l’Université.

Comment définiriez-vous votre management en tant que recteur? Qu’avez-vous importé de vos années québécoises?

«Les Québécois sont des gens qui écoutent, qui prennent des décisions assez pragmatiques et sont prêts à reconnaître quand ils ont tort. Ils ne foncent pas droit dans un mur par peur de changer d’avis.

Mon but est d’apporter beaucoup d’humanité à cette université dans sa gestion, notamment dans la gestion des ressources humaines. L’Université, ce sont des gens avant toute chose, et sans les gens – cela inclut les étudiants –, il ne se passe rien. C’est important que notre communauté ait une bonne qualité de vie au travail.

Je ne suis pas d’un tempérament autoritaire, mais j’aime savoir où je vais. Notre culture commune est un élément à consolider, d’où l’importance d’un consensus sur une vision pour l’Université. Et je trouve que nous allons vraiment dans la bonne direction.»