Le parti de David Wagner, déi Lénk, veut impulser des dynamiques de lutte. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Le parti de David Wagner, déi Lénk, veut impulser des dynamiques de lutte. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Toute la semaine, retrouvez chaque jour l’interview d’un candidat aux élections législatives. Cinquième volet avec David Wagner (déi Lénk), candidat comme les autres puisque le parti de gauche n’a pas nommé de tête de liste nationale. 

Cette interview a été réalisée le 24 juillet 2023, pour l’édition magazine de Paperjam du mois d’octobre, disponible en kiosque . Les interviews seront publiées selon l’ordre de la numérotation officielle des partis candidats. Jeudi 21 septembre, retrouvez l’interview de (ADR). 

Comment abordez-vous l’échéance électorale de ce 8 octobre?

– «Avec un certain optimisme, malgré le résultat mitigé des communales où nous avons reculé. Pas d’une manière catastrophique: nous avons perdu environ 1% de voix. Mais cela faisait longtemps que cela ne nous était pas arrivé. Depuis plusieurs années, à chaque élection, nous progressions. Légèrement, soit, mais nous progressions constamment. Le côté positif, c’est l’enthousiasme autour de ces élections. Enthousiasme qui se constate dans le nombre de nouveaux – et surtout très jeunes – candidats qui figurent sur nos listes.

À quoi attribuez-vous cet afflux de jeunes candidats?

«Je pense que les élections communales ont réveillé beaucoup de gens qui, jusqu’à présent, n’étaient pas politiquement engagés et qui se disent qu’il est important de nous soutenir et que nous gardions nos deux députés. Nous devons absolument garder nos deux sièges, c’est l’objectif. Et pourquoi pas en gagner un de plus? Nous avons adopté une stratégie de ciblage de l’électorat jeune – enfin, on prend tout le monde, ce n’est pas le problème… –, mais notre analyse, c’est de dire qu’un parti de gauche fonctionne bien lorsqu’il rassemble des gens qui ont tout à gagner. Donc, par définition, les jeunes. Des jeunes qui sont plus dynamiques, qui sont très souvent moins conservateurs et qui n’ont pas peur. On constate qu’il y a beaucoup de jeunes qui sont dans la vingtaine ou peut-être au début de la trentaine qui sont bien formés, mais dont les ambitions sont bridées au niveau du travail, puisque le plein emploi n’existe plus, de même que le modèle du travail fixe, stable et émancipateur. On remarque aussi que pour beaucoup de jeunes, ce n’est pas forcément l’argent qui les intéresse. Ils veulent faire quelque chose qui leur plaît et qui a du sens.

Pour y arriver, nous nous sommes remis en question et nous avons développé une stratégie de présence sur les réseaux sociaux. Nous avons embauché un influenceur ­Twitter pour cela. Pour parler à la jeunesse, il faut vraiment quelqu’un qui ait les codes. Nous aurions aimé être prêts pour les communales, mais cela n’a pas été possible. C’est quand même beaucoup de travail pour un petit parti comme le nôtre.

Pour un petit parti comme le vôtre, la succession rapprochée de deux échéances électorales vous pénalise-t-elle?

«C’est une période intense et fatigante, surtout pour un petit parti. Il y a beaucoup de choses à faire. Monter les panneaux, les démonter, les remonter, cela demande de l’huile de coude… Et puis il faut travailler sur les idées, le programme, organiser des rencontres, sélectionner les candidats, participer aux interviews et aux tables rondes. Cela nécessite beaucoup de préparation. En plus, le calendrier fait qu’il faut être très actif en été, une période traditionnellement creuse. Cette année, par la force des choses, la campagne sera courte.

Pensez-vous qu’en quatre mois, les tendances des communales peuvent s’inverser?

«On l’espère, évidemment. On dit toujours qu’on ne peut pas comparer le communal et le national. C’est vrai. Je ne suis pas fataliste, mais des tendances se sont dégagées et il faut en tenir compte. Une critique que beaucoup de gens nous ont faite pendant la campagne – et je veux dire des gens proches –, c’était que l’on ne nous voyait pas assez sur les panneaux d’affichage. Et je crois qu’effectivement, nous avons mal géré cela. Être en retrait sur le plan visuel, dans la rue, donnait l’impression que nous n’étions pas offensifs. Là, on va mettre le paquet…

Il n’y a rien de pire en politique que le fatalisme ou l’indifférence.
David Wagner

David Wagnerdéi Lénk

Parmi les tendances qui seront dégagées du scrutin électoral, il y en a une majeure: la poursuite du morcellement du paysage politique. Est-ce un atout ou un défi pour vous?

«Il y a sept partis actuellement au Parlement. Ce n’est ni excessif ni catastrophique, selon moi. De nouveaux partis sont apparus – Fokus, Liberté-Fräiheet! et Volt. Ils ne chassent pas sur nos terres et ne nous prendront pas de voix. À gauche, en fait, nous n’avons pas de concurrence de la part de petits partis. C’est vrai qu’il y a encore quelques années, il y avait peut-être une plus grande identification aux partis. Quand on venait du Sud, que l’on était ouvrier ou fils d’ouvrier, il était quasiment évident d’adhérer au parti socialiste ou au parti communiste. Quand on était de la capitale et bourgeois, le DP était une évidence. De ce point de vue là, les choses se brouillent. Mais la réalité politique du Luxembourg, c’est qu’il y a une course au centre, à l’extrême centre même. Les quatre grands partis arrivent toujours à se mettre d’accord sur un certain nombre de points.

Comment, dans ce contexte de centrisme politique, pouvez-vous faire entendre votre voix et peser sur la politique?

«Il est extrêmement important qu’il y ait à gauche de l’échiquier politique une force radicale. Nous sommes conscients que nous ne sommes pas dans une perspective d’accession au pouvoir à court terme. Mais ce n’est pas grave. L’important est de pouvoir impulser des dynamiques de lutte dans la société. Si les gens descendent dans la rue contre telle ou telle réforme, le gouvernement y réfléchira à deux fois. Notre ambition, c’est aussi de sortir les gens d’une forme de déprime, de dépression politique. Il n’y a rien de pire en politique que le fatalisme ou l’indifférence.

Quel bilan tirez-vous de la dernière législature?

«Ces cinq années ont été marquées par deux crises majeures: le Covid et la crise en Ukraine. Des problèmes que l’on peut assez facilement résoudre. Ce qui n’est pas le cas de l’autre crise majeure que nous traversons: la question climatique. Nous sommes engagés dans une séquence très angoissante et je n’ai pas l’impression que le gouvernement prenne les mesures radicales qui s’imposent. C’est une des raisons pour lesquelles j’en veux aux Verts: ils ont raison quand ils parlent de la question climatique – et nous partageons leur constat –, mais ils arrivent à rendre impopulaires des mesures qui devraient être populaires. Pourquoi? Parce qu’ils ont dissocié cette question de la question sociale. Leur électorat est un électorat bourgeois et les mesures se basent toujours sur l’individualisme, alors que c’est l’État qui devrait prendre la question en charge. Il faut que les choses soient faites de manière massive. Les Verts n’y arrivent pas.

De manière générale, je dirais que cela a été une législature du laisser-faire. Rien ne s’est passé. Regardez le logement. Maintenant, l’Autorité de la concurrence fait le constat que tout le monde connaissait déjà: le problème central, c’est la spéculation. Ne le savaient-ils pas au gouvernement? Et s’ils le savaient et qu’ils n’ont rien fait, c’est problématique… Les libéraux ont gagné, en fait. Et on peut faire la même analyse pour la réforme fiscale. Une erreur monumentale. Et une argumentation déplorable: ce n’était pas le moment! C’est quand tout va mal qu’il faut réformer, pas quand tout va bien. Pareil avec la réduction du travail: ce n’était pas le moment… Ou alors, ils n’étaient tout simplement pas d’accord entre eux.

Une rupture réactionnaire pourrait se produire si Luc Frieden devenait Premier ministre. 
David Wagner

David Wagnerdéi Lénk

Quels seront les mots-clés de cette campagne, selon vous, et pourquoi?

«Outre les thèmes déjà évoqués, il y en a un qui s’impose: la rupture. Une rupture politique avec ce qui existe aujourd’hui. J’ai l’impression qu’il y a dans l’électorat une volonté de rupture, aussi bien progressiste que réactionnaire. Nous, nous voudrions une rupture avec le système libéral actuel du laisser-faire politique. Mais une rupture réactionnaire pourrait se produire si devenait Premier ministre. Il y a des ruptures nécessaires, et il y a d’autres ruptures dont je ne voudrais pas.

Quels seront les dossiers chauds pour le prochain gouvernement, selon vous? Et si vous arriviez aux affaires, quelles seraient vos mesures phares dans les 100 premiers jours?

«Je pense qu’une des premières choses qu’il faut faire, c’est une refonte institutionnelle. Il faudrait faire une constituante pour impliquer totalement la population dans une nouvelle Constitution. Une Constitution qui donnerait plus de droits économiques et sociaux et qui impliquerait concrètement les citoyens dans la rédaction des textes législatifs.

Le droit de pétition serait-il insuffisant?

«Le droit de pétition, c’est juste la permission de demander quelque chose. Après, c’est “cause toujours, tu m’intéresses”… Je voudrais une “démocratie de base” dans laquelle les citoyens, éventuellement épaulés par des fonctionnaires ayant des compétences techniques, pourraient imposer des choses dans la rédaction des textes législatifs.

Puisque nous parlons de réforme institutionnelle, quid d’une circonscription électorale unique?

«Nous sommes pour et nous l’avons d’ailleurs proposée il y a plusieurs années. Déjà, les circonscriptions actuelles ne correspondent à aucune réalité géographique et démographique. Le fait qu’une voix du Sud n’ait pas le même poids qu’une voix du Nord ou de l’Est est un problème. Et dans un petit pays comme le nôtre, ce découpage est artificiel. On peut habiter Kehlen et militer au centre. Tout cela ne fait aucun sens.

Il faut revaloriser le salaire minimum de 300 euros. 
David Wagner 

David Wagner déi Lénk

Hormis la chose institutionnelle, quelles seraient les autres mesures urgentes à prendre?

«Il faut revaloriser le salaire minimum de 300 euros. En ce qui concerne le climat, l’État doit développer toute la filière décarbonatée. C’est un gros travail. Il faut assainir et verdir le pays. Dans le secteur du logement, il faut construire des logements publics en masse et plafonner les loyers en attendant que les logements en construction soient disponibles.

Pourriez-vous résumer votre programme en deux mots?

«Tout à gagner. C’est d’ailleurs notre slogan.

Parlons coalition. Êtes-vous prêt à prendre des responsabilités gouvernementales si on vous le demande?

«Je n’y pense pas quand je me rase… Gouverner n’est pas quelque chose qui m’intéresse personnellement. Au niveau du parti, nous n’avons jamais dit que nous ne le ferions pas. Nous avons déjà pris des responsabilités au niveau communal. Mais pas à n’importe quel prix. Il faudrait déjà qu’il y ait un bon rapport de force. Avec deux députés, je ne pense pas qu’on puisse entrer dans un gouvernement. Surtout que nous voulons opérer des changements radicaux. Avoir des strapontins avec peu de compétences pour passer cinq ans à avaler des couleuvres, pas question.

Pour vous, qu’est-ce que l’accomplissement en politique?

«Qu’il n’y ait plus besoin d’hommes ou de femmes politiques. Le but ultime, c’est que tout le monde fasse de la politique et que l’on n’ait plus besoin d’élus professionnels. Le jour où tout le monde sera capable de faire de la politique et de gouverner en collectif, alors nous aurons accompli une grande chose»