La sortie de crise «va jouer un rôle sur la quantité et la durée d’un nouveau paquet d’aides que nous pourrions apporter», souligne Pierre Gramegna quant à d’éventuelles nouvelles mesures décidées au niveau luxembourgeois.  (Photo: archives Paperjam)

La sortie de crise «va jouer un rôle sur la quantité et la durée d’un nouveau paquet d’aides que nous pourrions apporter», souligne Pierre Gramegna quant à d’éventuelles nouvelles mesures décidées au niveau luxembourgeois.  (Photo: archives Paperjam)

Après les blocages, l’accord bouclé jeudi soir par l’Eurogroupe est de nature à rassurer le ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), sur la capacité des leaders européens à se mobiliser rapidement pour contrer les effets de cette crise. Impressions recueillies avant une autre réunion tout aussi importante, le conseil de gouvernement de ce vendredi matin.

Êtes-vous soulagé suite à l’accord obtenu jeudi soir au sein de l’Eurogroupe et qui porte sur un de soutien aux entreprises, aux travailleurs et aux États dans le cadre de la crise du coronavirus?

. – «Je me sens surtout rassuré par la capacité de l’Europe à agir ensemble, à prendre ses responsabilités face à une crise majeure qui nous frappe tous. Si nous n’avions pas été capables d’affronter cette crise, je me demande comment nous aurions pu, à l’avenir, affronter d’autres crises de natures différentes.

Ce paquet d’aides n’a pas d’équivalent dans notre histoire récente.
Pierre Gramegna

Pierre Gramegnaministre des Finances

Comment expliquez-vous le blocage qui s’est produit la veille? Certains pays s’étaient montrés réticents à mutualiser les coûts des mesures…

«Certains pays étaient en effet extrêmement prudents et réticents par rapport à certains instruments par souci budgétaire. À mon avis, ils ignoraient le fait que nous sommes tous égaux face à cette crise sanitaire, générée par un virus qui nous frappe tous. Nous sommes tous égaux face à la crise économique que cette crise sanitaire va provoquer. Il nous fallait donc en tirer les conclusions nécessaires.

Je retiens qu’en un peu moins d’un mois, nous avons été capables de mettre en place à l’échelle européenne un paquet de mesures de plus de 500 milliards d’euros, un paquet qui comprend un financement d’aide aux entreprises, aux salariés et aux États. Ce paquet d’aides n’a pas d’équivalent dans notre histoire récente.

500 milliards d’euros seront donc mobilisés dans un premier temps et trois filets de sécurité déployés. Le premier de ces trois filets concerne les entreprises.

«C’est la Banque européenne d’investissement (BEI) qui va mobiliser 25 milliards d’euros pour un plan européen de garanties, qui permettra de libérer près de 200 milliards d’euros pour les entreprises et notamment les PME.

Les États vont aussi bénéficier d’un des filets de sécurité via le mécanisme européen de stabilité (MES).

«Le MES va mettre à disposition 240 milliards d’euros pour tous les États membres. Ils pourront y accéder sans recours au mécanisme habituel lié au MES, à savoir des mesures de discipline budgétaire pour le pays en question. Nous parlons ici d’un accès privilégié pour chaque État, dans un esprit de solidarité et en raison de l’urgence sanitaire, car chaque État membre est confronté à la crise du coronavirus.

Quelles seront les conditions de remboursement?

«Il s’agit en effet d’emprunts. Le MES mettra les fonds à disposition à des taux intéressants, mais ils seront limités à 2% du PIB de chaque État et l’utilisation de ces fonds devra être suffisamment précise et reliée aux problèmes sanitaires ou encore aux conséquences sur les systèmes de santé que génère cette crise.

Avez-vous prévu de recourir à cette aide pour le Luxembourg?

«Chaque État devra faire sa propre évaluation. Nous attendons dans un premier temps les détails en provenance du MES, mais vous savez que, grâce à sa notation triple A, le Luxembourg a la grande chance d’avoir un accès aux marchés financiers à des taux avantageux. C’est donc un arbitrage qu’il faudra effectuer en fonction des coûts. Mais en temps de crise, il ne faut jamais dire ‘fontaine, je ne boirai pas de ton eau’.

Enfin, un filet de sécurité concerne les travailleurs. Comment est-il déployé?

«Chaque État membre est en effet touché par le chômage partiel, comme nous l’appelons ici. Cela coûte très cher aux finances publiques, rien qu’au Luxembourg, un mois de chômage partiel représente un coût de 500 millions d’euros.

Pour soulager certains États, la Commission européenne a proposé de mettre en place un programme de financement via les marchés financiers auxquels la Commission a un accès privilégié, également en raison de sa notation triple A. Les fonds permettront ensuite d’aider ces États. J’ajoute que le Luxembourg a soutenu activement cette initiative et s’en porte garant avec l’ensemble des autres pays.

Allez-vous faire appel à ce programme?

«Ici aussi, nous devrons effectuer des arbitrages en fonction des conditions de financement sur les marchés financiers. Ce sont, a priori, les États qui ont actuellement de plus fortes difficultés financières qui auront recours à ce fonds en priorité. Ce qui montre bien la dynamique de solidarité que nous avons réussi à insuffler.

Ce dont nous aurons besoin à la sortie de la crise sanitaire et ce dont nous aurons besoin pour qu’il y ait une vraie relance, c’est investir, investir et investir.
Pierre Gramegna

Pierre Gramegnaministre des Finances

Le MES et la BEI, deux institutions d’ailleurs basées à Luxembourg, qui va être, en tant que capitale européenne, en première ligne pour gérer cette phase de la crise.

«Absolument, le Luxembourg est un peu la capitale financière de l’Union européenne depuis la naissance de la Communauté européenne en 1957 et la création de la Banque européenne d’investissement en 1958.

L’idée d’un fonds de relance a aussi été approuvée, il s’agit de la prochaine étape. Était-ce trop tôt pour parler d’une forme de mutualisation de la dette ou d’un outil comme les «coronabonds»?

«L’idée des coronabonds a été rejetée par une demi-douzaine de pays, mais ce fonds de relance, proposé par la France, se concentrera non pas sur la question de la dette relative aux pays, mais sur le financement d’investissements. Car ce dont nous aurons besoin à la sortie de la crise sanitaire et ce dont nous aurons besoin pour qu’il y ait une vraie relance, c’est investir, investir et investir.

Dans pareille situation, il faut rester calme, garder son sang-froid.
Pierre Gramegna

Pierre Gramegnaministre des Finances

Sur le plan national, préparez-vous, après le programme de stabilisation de l’économie, de nouvelles mesures de soutien pour les entreprises?

«Le Luxembourg a mobilisé 8,8 milliards d’euros d’aides, de garanties, de reports fiscaux et de cotisations sociales, soit un paquet qui représente 14% du PIB. Nous faisons partie des pays qui ont pris les mesures les plus conséquentes pour faire face à cette crise. Pour le reste, nous devons suivre les évolutions de la crise et sa durée, dont dépendra la réouverture de l’économie, sans prendre trop de risque. C’est cette sortie de crise qui va jouer un rôle sur la quantité et la durée d’un nouveau paquet d’aides que nous pourrions apporter. Mais c’est trop tôt pour faire des prévisions.

Est-on au-devant d’une crise économique sans précédent?

«Tout dépend de ce que l’on entend par ‘sans précédent’. Elle est sans précédent en ce qu’elle est provoquée par un virus qui a des effets spectaculaires et rapides, effets qui exigent que des pans entiers de l’économie soient fermés. Elle est encore plus rapide que la précédente crise financière, de 2008. Mais est-ce à dire qu’elle n’aura pas de précédent en termes de durée et de difficultés?

Dans pareille situation, il faut rester calme, garder son sang-froid. Si je considère la réaction au niveau de l’Eurogroupe, les mesures prises au niveau des différents États membres, de la BCE ou encore de la Réserve fédérale américaine, je me dis que tous les dirigeants politiques ont compris rapidement qu’il fallait agir et ils ont débloqué des sommes extraordinaires pour assurer un certain amortissement à cette crise.»