Il est en fonction depuis 2002 comme directeur, mais y travaille depuis 1984, après avoir passé cinq ans dans un autre casino… Qui mieux que Guido Berghmans, le directeur du lieu, pour évoquer le passé et les ambitions de l’unique casino du Luxembourg, situé à Mondorf-les-Bains, qui célèbrera ce 7 juin son 40e anniversaire.
Quelles ont été les étapes marquantes du développement du Casino 2000 ces quarante dernières années?
Guido Berghmans. – «Depuis son existence, le Casino s’est constamment transformé et agrandi. Il y a toujours eu des travaux, en plusieurs phases. La grande phase de construction et de rénovation s’est terminée en 2001. Et d’autres grands travaux ont eu lieu entre 2009 et 2011 avec l’ouverture du Chapito (l’espace évènementiel du Casino 2000 ndlr). À cette occasion, nous avons agrandi pour doubler les espaces pour les clients. Dès le départ, l’activité évènementielle et restauration existaient, c’était déjà une bonne vision à l’époque de la part de M. (Werner Wilhelm) Wicker qui avait déjà en tête de bâtir un vrai centre de divertissement pour adultes dans la Grande Région.
Quel a été le chiffre d’affaires l’an dernier?
«Pour le casino, en 2022, nous avons réalisé 42 millions d’euros de chiffres d’affaires. Pour la partie évènementielle et restauration-hôtellerie, nous sommes entre 4 et 5 millions d’euros. C’est plus petit, mais c’est déjà beaucoup pour un casino. Dans les années à venir, nous prévoyons de développer cette activité évènementielle et d’investir dans ce secteur-là pour élaborer une programmation plus qualitative et plus dense. Déjà, depuis 2018, nous avons mis en place une programmation “digne de ce nom”, comme toute salle évènementielle de la région. Nous voulons nous positionner de plus en plus comme un vrai centre de divertissement.
Le Casino 2000 est le seul du pays. Ceux de la région vous font-ils de l’ombre?
«Oui, il y a pas mal de concurrence même si nous sommes les seuls au Luxembourg. Il y a beaucoup de casinos dans un rayon de 1h30 ou 2h. Le long de la frontière, il existe aussi “les circus”, des salles de machines à sous. Mais nous sommes aussi en concurrence avec les autres lieux évènementiels de la région, c’est pour cela que nous souhaitons développer cette partie.
La concurrence la plus féroce est celle des jeux en ligne. Mais dans quelle mesure?
«En effet! Et nous sommes le seul pays qui n’a pas encore règlementé ces jeux. Les opérateurs sont présents et c’est un grand marché estimé à 100 millions d’euros chaque année. Les casinos (physiques ndlr) en Europe, en prenant en compte le Royaume-Uni, ont généré en 2022 entre 8 et 9 milliards d’euros. Le plus grand marché, c’est la France avec un tiers de ce marché. Pour comparer, à la même échelle, les jeux sur internet, eux représentent 38,2 milliards… C’est beaucoup plus et c’est quelque chose qui est un peu invisible pour les politiciens qui ne se sont pas rendu compte de ce développement. C’est une concurrence énorme pour nous, mais qui, si elle n’est pas encadrée, peut appeler à la criminalité organisée, au blanchiment d’argent… Le secteur des jeux en ligne gagne chaque année des parts de marché. Les prédictions disent que sous quatre ans, ce sera de l’ordre de 55 milliards.
Et le Covid a accéléré ce phénomène, comme celui des salles de jeux clandestines…
«Ça ce n’est pas propre au Luxembourg. Partout ailleurs, pendant le Covid, beaucoup de casinos clandestins ont été repérés, en France notamment. On a déjà entendu des histoires au Luxembourg, des jeux de poker clandestins dans le nord du pays, ou dans des bars d’Esch… Pendant la période de Covid, beaucoup de joueurs ont commencé à jouer en ligne et ne reviennent plus dans les casinos. Les jeux en ligne ou d’autres formes de jeux illégaux ont contribué à diminuer nos recettes malgré la professionnalisation du secteur.
Quelle est la solution?
«Il faut absolument encadrer ce marché des jeux en ligne. Aujourd’hui, le marché est complètement désordonné, même si la France ou l’Allemagne ont règlementé le jeu en ligne, mais peinent à contrôler le jeu illégal qui est estimé à 50% de ce marché. Si l’État n’a pas la main dessus, ce sont des criminels qui s’en saisissent. L’État doit essayer d’avoir un maximum de contrôle sur le marché entier (les casinos, les jeux en ligne, les cafés…) pour pouvoir le superviser. Et il y a des taxes non négligeables à la clé et une sécurité à assurer pour le joueur. La recette est celle que les Belges et Lituaniens ont suivie, la France la réclame aussi; la demande est que les casinotiers reçoivent l’autorisation d’exploiter les jeux aussi sur internet. Cela aidera les casinos physiques à survivre, et permettra aux communes de continuer à recevoir des taxes. Cela pourrait se faire aussi ici.
Malgré cette concurrence, parfois déloyale, le Casino 2000 a su résister, quelle est la recette de cette longévité?
«Par des investissements réguliers. Dans les années avant l’ouverture du Chapito, plus de 60 millions d’euros ont été investis pour les travaux de rénovation, d’agrandissement. Depuis 2019, nous avons investi plus de 10 millions d’euros pour recommencer une rénovation, qui est en train de s’achever. Et nous avons encore quelques projets: continuer les rénovations, ouvrir une salle de jeu supplémentaire. L’accueil du client est important, il faut apporter un peu de chaleur, c’est comme cela que nous pourrons faire face à la concurrence avec d’autres lieux évènementiels. On se bat pour avoir les mêmes clients.
Depuis le début, notre crédo c’est: le règlement avant le marketing.
À propos des clients justement, quel est le profil du joueur au Casino 2000?
«Il n’y a pas de clientèle internationale chez nous, ni de très grands joueurs comme les high roller. Nous pensions au départ qu’avec la place financière, nous aurions ce type de joueurs. Mais ça n’a jamais été le cas. Nous avons majoritairement des Français (55%), puis des Luxembourgeois (30% environ), des Allemands (5%), des Belges (3%). En moyenne, un client visite le casino six à sept fois par an. L’âge moyen de nos joueurs est de 54 ans.
Et quelle est la clientèle que vous souhaitez cibler?
«Elle a une trentaine d’années. Pour nous, le client idéal, c’est quelqu’un qui a les moyens de nous apporter quelques centaines d’euros tous les mois, qui s’amuse, qui aime venir pour rencontrer et échanger avec les autres clients et, qui fasse attention. Cela n’est pas quelqu’un qui n’a pas les moyens de jouer et qui va tout perdre le mois suivant. Aujourd’hui, dans les casinos, il y a beaucoup de jeunes joueurs, c’est-à-dire de 18 à 25 ans, ils ont d’abord découvert le jeu sur internet et les casinotiers vont les chercher. Nous, nous ne les ciblons pas dans nos programmes de marketing, et nous ne voulons pas le faire.
Vous semblez défendre une certaine éthique dans un secteur parfois dangereux…
«Oui, depuis le début, c’est notre crédo: le règlement avant le marketing. Notre activité est très encadrée et c’est très important de respecter cela, car le casino peut être quelque chose de très critique. Notre ligne directrice a toujours été d’exploiter le casino d’une manière règlementaire, avec une logique de prévention de certains problèmes. Il n’y a jamais eu de problème au Casino 2000. Pour la partie évènementielle que nous souhaitons développer, elle nous permet de toucher un public plus large. En revanche, on n’aura pas d’artiste qui attirent des jeunes de moins de 25 ans, car nous ne voulons pas de trop jeunes qui trainent autour de la maison.
Cela se traduit notamment par votre programme de protection des joueurs. De quoi s’agit-il?
«Depuis 2002, nous avons lancé un vaste programme élaboré par des experts des Pays-Bas. C’est un programme proactif: nous observons les clients sur le terrain, leur comportement, leurs réactions et comment cela évolue: perdent-ils beaucoup d’argent? Deviennent-ils agressifs? Notre personnel est formé à repérer certains signes. Dans ce cas, nous organisons des entretiens de 30 minutes à la fin desquels on leur conseille de limiter leurs visites ou de ne plus venir pendant un temps. On sait que souvent ce sont des phases dans la vie de certains. Nous avons aussi des partenaires qui viennent sur site, notamment des psychologues, et qui font des formations sur place.
En termes de fréquentation, les clients «perdus» pendant la pandémie sont-ils revenus?
«Pour 2023, on prévoit 320.000 visiteurs. L’an dernier nous étions environ à 260.000. Nous avions une fréquentation plus haute avant le Covid, mais un quart des visiteurs n’est pas revenu. Certains ont pris d’autres habitudes de jeu.
Quels sont les jeux qui leur plaisent le plus?
«Les machines à sous, mais c’est pareil dans le monde entier. En Europe, elles représentent 75% du marché dans les casinos. Ce qui attire, c’est l’idée de mettre deux euros pour pouvoir gagner un million, ce qui est impossible sur une table de roulette…
Si on met un deuxième casino au Luxembourg, on sait qu’on ne pourra donc que se partager un chiffre d’affaires de 40 à 50 millions d’euros, mais on ne le dépasserait pas.
Le poker, très prisé avec des tournois dans toute l’Europe, n’est pas proposé au Casino 2000. Pourquoi?
«Oui, le poker est un jeu qui s’est beaucoup démocratisé. Il est très intéressant pour une clientèle jeune et la moitié des casinos en proposent. Au Luxembourg, ça n’est pas très intéressant, on n’a pas d’offre de poker life, mais nous aurons très bientôt une offre électronique, sur place. Les salles proposant des jeux électroniques dépassent les parts de marchés des tables de jeu. Nous proposerons cela d’ici la fin de l’année, ainsi que du blackjack électronique. C’est un produit qui nous distinguera des autres casinos.
Vous avez le monopole au Luxembourg, mais des demandes de licence ont déjà été déposées. Craignez-vous qu’un jour, un autre casino ouvre au Luxembourg?
«Il y a souvent eu des demandes, de la part de communes ou de grands groupes de casinotiers. Mais cela s’est calmé avec le fait que les jeux en ligne se développent. Si on met un deuxième casino au Luxembourg, on sait qu’on ne pourra donc que se partager un chiffre d’affaires de 40 à 50 millions d’euros, mais on ne le dépasserait pas. Aujourd’hui, avec la concurrence des jeux en ligne, je crois qu’exploiter un casino sera de plus en plus difficile…
Comment voyez-vous votre activité dans les années à venir?
«Chez nous le chiffre d’affaires augmente même au-delà de ce qu’on avait gagné avant le Covid, depuis octobre dernier. Bien que la fréquentation baisse un peu, c’est le cas dans tous les casinos. Pendant le Covid, les gens ont épargné, ça se ressent aujourd’hui. Je suis assez critique sur l’avenir, d’un point de vue global, avec le fait que l’énergie sera plus chère, qu’il faudra investir plus pour en avoir, mais aussi pour la défense, pour le changement climatique… Nous, on fait tout pour être le plus tendance, attirants, rajouter des produits et des offres d’entertainment. C’est un combat perpétuel. Le nouveau style plait et correspond aux attentes des gens qui nous rendent visite. Nous sommes tendance, et au moins aussi jeunes que nous l’étions il y a trente ans!»