En mars 2023, Metaform Architects célébrera ses 20 ans. Fondé par Thierry Cruchten et vous-même à la sortie de vos études, le bureau compte aujourd’hui près de 70 personnes. Comment expliquez-vous cette croissance si rapide?
– «Il y a 20 ans, fraîchement diplômés, nous avons mis sur pied Metaform Architects dans un coin de mon appartement avec un rêve en tête, celui de faire de l’architecture. Aujourd’hui, ce rêve persiste toujours et gagne en intensité au fil du temps et des rencontres. Il s’agit véritablement d’une passion que nous nourrissons avec tous nos clients, partenaires et collaborateurs. Au fur et à mesure que les projets se multiplient et se diversifient, nous nous enrichissons des spécificités et qualités de chacun des intervenants pour développer et affiner sans cesse les idées.
Et la croissance a continué…
«Effectivement, car, avec notre succès lors du concours que Post a organisé en 2016, nous nous sommes trouvés très vite face à un projet dont la taille et la complexité représentaient un vrai challenge pour notre équipe de l’époque. Nous avons dès lors continué à élargir notre expertise et, parallèlement, notre équipe a dû répondre aux demandes très spécifiques et pointues de notre client. D’autres succès ont suivi, comme le pavillon luxembourgeois à Dubaï, le vélodrome, le quartier général de Paul Wurth et, plus récemment, le quartier général des CFL et le projet Skypark avec le bureau d’architectes BIG au Findel.
Avez-vous aussi fait évoluer votre organisation interne, avec une nouvelle structuration?
«Metaform est comme une grande famille, une organisation collective qui se nourrit grâce à cette passion pour l’architecture. Nous avons mis en place une organisation horizontale, et non pas verticale. Ceci a l’avantage de laisser la liberté aux collaborateurs d’évoluer et prendre des responsabilités pour, un jour peut-être, devenir associés ou partenaires dans cette structure. Notre bureau ne devait pas être reconnaissable à travers un nom ou un style, mais bien à travers ses valeurs et visions. Lors de la création du bureau, Thierry et moi étions soucieux de nommer notre entreprise dans ce sens. Celui qui rejoint Metaform intègre une famille et ses valeurs.

Shahram Agaajani: «Notre bureau ne devait pas être reconnaissable à travers un nom ou un style, mais bien à travers ses valeurs et visions.» (Photos: Guy Wolff/Maison Moderne)
C’est dans cet état d’esprit qu’en 2017, Metaform a accueilli GG Kirchner, qui est aujourd’hui à vos côtés comme partenaire…
«Exactement. GG est un véritable pilier dans la structure du bureau. C’est un architecte exemplaire qui motive toujours les équipes et qui fait sortir le meilleur de chacun d’entre nous.
Ce partage d’expérience et d’expertise nous permet de gérer des projets de plus en plus complexes. Nous mettons en place des stratégies internes pour préparer l’avenir du bureau au Luxembourg ou ailleurs. Nous réfléchissons à une extension au Canada, et nous sommes aussi en train d’étudier la possibilité d’ouvrir une antenne dans le sud de la France pour répondre aux besoins d’un nouveau projet. Mais c’est encore trop tôt pour que je puisse vous en parler plus dans le détail. En procédant ainsi, on renforce la dynamique de l’entreprise, ce qui la prépare à de nouveaux challenges. Ce mode de fonctionnement demande de l’anticipation, de revoir les stratégies et les procédés constamment, et de rester curieux dans tous les domaines, tels que les conceptions durables, l’art, les technologies, la sociologie…
Vous avez créé, en février 2018, un bureau à Dubaï, Metaform Middle East. Maintenant que le pavillon pour l’exposition universelle est achevé, que devient ce bureau?
«Nous avons ouvert ce bureau à Dubaï pour gérer le projet du pavillon et, grâce à lui, nous avons pu participer à des concours dans la région. Nous avons obtenu plusieurs succès: une seconde place à un concours de très grande envergure au Koweït, et une première place à un concours à Abu Dhabi que nous avons dû décliner à cause des conditions du contrat. Aujourd’hui, nous avons d’autres défis à relever.
Notre approche est d’apporter une réponse la plus adaptée possible à un contexte et son histoire, à un budget et un programme dans l’intérêt d’un maître d’ouvrage et de son identité, tout en valorisant notre regard sur l’environnement bâti et notre propre patrimoine.
Que retenez-vous de l’expérience du pavillon à l’exposition universelle?
«L’expérience fut très enrichissante, mais aussi très difficile. Heureusement, le pavillon a rencontré un grand succès auprès des critiques et du public. Il a notamment été mentionné comme l’un des pavillons les plus appréciés au cours de l’exposition universelle. Mais encore, il a été l’un des rares pavillons à être maintenu sur place par les organisateurs avec une nouvelle fonction qui va continuer à lui donner vie très prochainement.
Votre père a fondé Asars Constructions après avoir quitté l’Iran en 1989 avec toute votre famille. A-t-il été un modèle pour vous?
«Mon père a déplacé des montagnes avec une petite cuillère. Nous sommes partis d’Iran à cause du régime qui sévissait dans le pays. Nous avons tout laissé derrière nous pour venir nous installer ici. Ces sacrifices-là n’ont pas de prix. Mon père nous a inculqué les valeurs du travail, l’honnêteté, la persévérance, la confiance en soi et envers autrui, et le respect tout simplement. Ce sont des valeurs de vie que j’ai reçues et que j’essaye de transmettre à mon tour.
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Alors que beaucoup de bureaux se plaignent du coût que représente une participation à un concours, votre bureau s’est spécialisé dans cet exercice. Pourquoi avoir choisi cette stratégie plutôt que la commande directe, par exemple?
«Les concours sont une manière très intéressante et enrichissante de partager son expertise avec des partenaires de plus en plus singuliers. Cela nous semble vital pour progresser et remettre toujours en question les idées reçues. Participer à un concours, c’est aussi avoir l’opportunité d’expérimenter différents concepts. Effectivement, cette démarche a un coût important pour un bureau. Vu sous un autre angle, cela signifie que les architectes paient en quelque sorte pour avoir du travail.
Et, du coup, vous avez constitué une cellule concours hyper efficace, qui a réussi à remporter plusieurs gros projets…
«Nous n’avons pas toujours gagné les concours. Ce qui est important, c’est d’apprendre de ses erreurs et de réussir à se remettre en question. Les réflexions que nous menons grâce aux concours permettent de stimuler les esprits et de créer une émulation positive qui favorise le travail en équipe. Les concours nous nourrissent et nous donnent ce pouvoir de relever tous les défis.
La démarche de concours témoigne aussi d’une volonté de la part du maître d’ouvrage d’aller vers une architecture de qualité, ce qui laisse supposer des relations plus aisées entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre?
«Les concours d’architecture livrent aux maîtres d’ouvrage plusieurs visions et concepts d’architectes à analyser, et cela leur permet de retenir un projet qui répond au mieux aux défis et aux contraintes fixés en amont. Organiser un concours sous-entend également de procéder à toute une série d’études préliminaires en relation avec le budget, les délais, le programme à définir, etc. Lorsqu’on gagne un concours, c’est autant de discussions épargnées grâce à ce travail fourni par le maître d’ouvrage.

Shahram Agaajani: ««Mon père a déplacé des montagnes avec une petite cuillère. Il nous a inculqué les valeurs du travail, l’honnêteté, la persévérance, la confiance en soi et envers autrui, et le respect tout simplement.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)
Lors d’une discussion précédente, et parce que vous êtes aussi vous-même pilote d’avion, vous m’aviez dit: «Être chef d’entreprise, c’est comme piloter un avion: avant de décoller, il faut établir un plan de vol et s’informer sur les conditions météo ou l’état de l’aéroport de destination, tout en s’assurant de la quantité de carburant à bord.» C’est comme cela que vous gérez votre bureau?
«Oui, tout est une question d’organisation et de structuration. Chaque décision que nous prenons a une incidence sur notre avenir professionnel. Nous devons nous fixer des buts et nous donner les moyens d’y arriver. Ces buts nous guident et nous motivent au quotidien. Ils nous permettent d’oser l’impossible. Nous préparons actuellement la réorganisation de notre structure et allons prochainement communiquer sur Metaform 3.0.
Prendre la parole à travers l’architecture, c’est important pour Metaform?
«C’est notre mission. L’architecture ne se résume pas à une question de goûts ou de couleurs. C’est une question d’éducation et de culture. On dit toujours qu’il y a peu de choses entre rêve et réalité. Comment quantifier ce peu de choses? Quelles en sont les valeurs? Que nous restera-t-il demain? Un rêve devient un objectif en y ajoutant une date. Un objectif composé de plusieurs étapes devient un projet. Un projet soutenu par des actions devient une réalité. Voilà la particularité de notre profession, nous sommes des rêveurs réalistes. Les rêves et les passions se partagent.
Vous vous sentez artiste?
«Notre métier a évolué. Nous ne sommes plus à l’époque où l’architecture artiste s’improvisait. La créativité dans notre métier ne représente plus qu’une petite marge par rapport à l’ensemble de notre mission. À mes yeux, l’architecture ne peut pas être seule considérée comme l’art, bien que nous vivions à une époque où une approche formelle et sculpturale rencontre bien plus souvent de succès qu’une architecture sobre et respectueuse des valeurs et de l’histoire du site. Notre approche est d’apporter une réponse la plus adaptée possible à un contexte et son histoire, à un budget et un programme dans l’intérêt d’un maître d’ouvrage et de son identité, tout en valorisant notre regard sur l’environnement bâti et notre propre patrimoine.
L’architecture ne se résume pas à une question de goûts ou de couleurs. C’est une question d’éducation et de culture.
Ce qui veut dire qu’il faut parfois forcer les règlements pour faire exister certains projets?
«Il faut oser, il faut rêver, car l’architecture est une discipline qui naît des contraintes. Nous avons une mission qui est de poser des questions. À l’image d’une bibliothèque que l’on viendrait enrichir avec différents ouvrages au quotidien, il faut donner la possibilité aux gens d’avoir des références pour apprécier l’architecture. Cette dernière a ce rôle d’être un sujet de débat et de discussion. C’est très facile de ne pas oser au Luxembourg. Tant que l’immobilier restera aussi rare à obtenir, on peut faire tout et n’importe quoi. Mais la crise actuelle pourrait bien redistribuer les cartes et être intéressante pour le développement culturel et patrimonial de notre pays.
Pourquoi n’avez-vous pas gardé ce lien avec Asars Constructions au décès de votre père? Cela aurait pu être une belle occasion de développer une synergie entre votre architecture et la promotion immobilière.
«Metaform a fait ses débuts aux côtés d’Asars Constructions, qui avait été fondée et était dirigée par mon père. Pour moi, ce n’était pas facile de sortir de l’école et de proposer un style architectural à mon père, qui s’était déjà forgé une vision très différente de la mienne. Puisqu’il s’agissait de travailler avec mon père, il était évident que ma mission était de faire ce travail de sensibilisation à l’Architecture avec un grand ‘A’. Avec le temps, Asars et Metaform ont prospéré grâce à cette confiance mutuelle et au respect des valeurs réciproques. À son décès, je n’ai plus retrouvé ces valeurs et je ne voyais plus de complémentarité pour un avenir commun.
À côté des logements subventionnés pour la population la moins favorisée, il devient urgent que la politique s’intéresse aux classes moyennes qui peinent de plus en plus à se loger.
«Notre premier projet était la maison de mes parents dans les vignes. À cette époque, nous avions eu beaucoup de mal à faire accepter par la commune l’utilisation de grandes baies vitrées et la toiture-terrasse. Mais nous avons trouvé le chemin pour le faire. Et, à la fin, ce projet est devenu une référence pour le village, et les règlements communaux ont même été adaptés par la suite pour permettre la réalisation de projets similaires. Notre métier contribue au développement de notre pays, tant d’un point de vue culturel qu’urbanistique, sociétal et environnemental. Autre exemple: notre projet d’immeuble résidentiel à Cessange dont la façade accueille des peintures de Sumo. Aujourd’hui, cet immeuble est devenu une véritable référence malgré les problèmes pour faire accepter le projet durant les phases de conception et d’exécution.
En cette année électorale, avez-vous un message à faire passer aux politiciens?
«C’est un moment difficile, car c’est une politique qui sort de la crise du Covid et qui accumule d’autres crises. Il faut maintenir l’attractivité du pays et montrer qu’on a le savoir-faire et les ambitions pour y arriver. Ce que je peux souhaiter à un politicien, c’est de maintenir l’union dans la société, car nous sommes dans une période qui en manque cruellement.
Pensez-vous que la crise du logement peut être résolue par la politique?
«Je ne pense pas que la politique puisse résoudre à elle seule ce problème. Les prix élevés de l’immobilier sont malheureusement le revers de la médaille d’un pays prospère et attractif. Il dépasse largement la capacité politique du pays. Il y a cependant des batailles à mener au niveau de la densité urbanistique pour changer certains règlements obsolètes. Je pense toutefois qu’à côté des logements subventionnés pour la population la moins favorisée, il devient urgent que la politique s’intéresse aux classes moyennes qui peinent de plus en plus à se loger. Elles gagnent soit trop pour pouvoir bénéficier d’un logement subventionné, soit pas assez pour trouver un logement sur le marché sans s’endetter sur des générations.»
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Cet interview a été rédigée pour l’édition magazine de parue le 25 janvier 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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