Pour Ismaël Lecanu, il est encore temps d’investir sur le marché du crédit. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour Ismaël Lecanu, il est encore temps d’investir sur le marché du crédit. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Pour Ismaël Lecanu, le marché du crédit va encore créer de la valeur ces prochains mois, porté par la conjoncture économique et monétaire. Mais il faudra surveiller du coin de l’œil l’action des banques centrales.

Ismaël Lecanu est head of European credit IG & HY et gérant de portefeuille chez AXA IM Core (Fixed Income). Pour Paperjam et Delano, il a partagé ses vues sur l’évolution du marché du crédit.

Comment se porte le marché du crédit aujourd’hui?

Ismaël Lecanu. – «Après une année 2022 extrêmement volatile, on constate depuis octobre des performances exceptionnelles, avec des resserrements des spreads de crédit très forts.

Aujourd’hui, on est au milieu du gué: les investisseurs peuvent se poser la question de savoir s’il y a encore de la valeur sur ce marché. Pour nous, c’est clairement le cas. D’abord parce que l’on reste au-dessus des moyennes historiques en termes de valorisation, et surtout parce que les taux nominaux proposés ont historiquement augmenté si l’on regarde sur 10 années. Nous n’avons jamais été aussi haut.

Sommes-nous en présence d’un rally, ou bien ces performances sont-elles l’expression de quelque chose de bien plus structurel?

«On était allé trop loin à la baisse. Vous le savez, le marché a toujours tendance à corriger ses excès et donc il est reparti très franchement dans l’autre sens. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de consolidation. La tendance pour les prochains mois sera que les primes de risque vont continuer à se compresser sur le marché crédit investment grade, mais aussi sur la partie high yield, notamment sur la partie courte.

Nous voyons cela comme de bons points d’entrée sur ce marché.

Les investisseurs peuvent donc encore monter dans le train?

«Oui. Une partie de trajet est déjà faite, mais, clairement, il y aura de la valeur pour les prochains mois. Valeur tirée par le côté rendement nominal – le taux de rendement que l’on appelle le ‘carry’ – que va proposer la classe d’actifs.

On est au-dessus de 4% sur le marché catégorie investment grade, on est à 7% sur du high yield européen. Ce sont des niveaux de rendement qui sont très protecteurs pour le cycle à venir. Il y a encore donc un beau trajet devant nous sur ce marché.

Comment voyez-vous évoluer le marché en 2023?

«Notre hypothèse de départ est de dire que 2023 ne sera pas semblable à 2022. 2022 a été l’année de la mauvaise surprise de l’inflation, avec des rendements qui sont repartis fortement à la hausse pour justement mettre cette inflation dans les prix. Je pense que ce serait une mauvaise idée de penser que 2023 va répéter les mêmes maux que 2022. Pour le fixed income, ma vision est constructive: le cycle de désinflation est bien là et va continuer. Il n’est pas transitoire. Fin 2023, l’inflation globale comme l’inflation sous-jacente seront nettement plus basses qu’à la fin 2022.

Dans le même temps, la croissance va quand même ralentir. La conjugaison de ces deux phénomènes est porteuse pour le marché obligataire.

L’action des banques centrales peut-elle remettre en question votre scénario?

«On constate que la dynamique de crédit, surtout en Europe, est en train de baisser face à la hausse réelle des coûts de financement. Face à des niveaux d’activité moindres, l’équation va devenir compliquée pour les banques centrales. Ce qui devrait, selon nous, éviter qu’elles ne deviennent plus agressives qu’elles ne le sont aujourd’hui.

L’autre élément à considérer est celui de la réduction des bilans des banques centrales. Si l’inflation venait à déraper, cela pourrait accélérer le rythme de cette réduction. Ce serait un élément qui pourrait invalider notre scénario de baisse de rendement sur les marchés de taux.

Ce tableau posé, quelles sont les obligations que vous préférez et celles que vous évitez?

«On a une vue très constructive sur le crédit investment grade de la zone euro. Encore une fois, d’un point de vue historique, les rendements nominaux sur ces marchés sont très attractifs: on peut construire des portefeuilles avec des niveaux de rendement de 5%. 

Sur le marché du crédit high yield, étant donné qu’on ne prévoit pas de taux de défaut supérieur à la moyenne historique, on pense que sur la partie courte de ce marché, on a encore des opportunités d’investissement.

Globalement, sur les taux nominaux dans leur ensemble, il y a de la valeur à s’exposer sur la zone euro.

Il y a un secteur qui nous semble particulièrement intéressant: les banques. Des banques qui bénéficient à plein du nouveau monde avec des taux d’intérêt plus élevés et un coût du risque qui, malgré un scénario économique un peu plus faible, devraient rester maîtrisés.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.