Tom Steffen: «Nous pouvons nous estimer heureux d’être diversifiés depuis toujours.» (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Tom Steffen: «Nous pouvons nous estimer heureux d’être diversifiés depuis toujours.» (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Forcé, comme tous les chefs d’entreprise, de gérer les conséquences d’une crise sanitaire sans précédent, Tom Steffen, 34 ans, garde foi dans un métier historique, celui de boucher. Le groupe éponyme a pu compter sur la diversification enclenchée par le père de Tom, Frank, pour encaisser le choc.

Le gouvernement a-t-il été à la hauteur dans la gestion de cette crise, notamment via les aides proposées aux entreprises?

. – «Je pense que, d’entrée de jeu, le plan du gouvernement luxembourgeois était ambitieux. Maintenant, il faut le garder assez ambitieux dans sa réalisation. Les aides remboursables ne font que repousser le problème. Et ce n’est pas dans trois mois qu’il y aura un volume d’activité générant des résultats positifs.

Que faudrait-il faire, au Luxembourg, pour sauver le secteur?

«Aujourd’hui, notre activité n’est pas arrêtée seulement par l’épidémie, mais par un cadre légal, totalement raisonnable. D’où l’espoir que les aides n’en restent pas là. En Autriche, on soutient de manière non remboursable des sociétés dans les secteurs particulièrement touchés. C’est une démarche qui, si elle était mise en place au Luxembourg, serait applaudie par notre secteur. Cela peut toujours l’être, il n’est jamais trop tard. On sait que, de toute manière, c’est au niveau de l’imposition que cela se paiera. Est-ce qu’en janvier ou février, on va avoir la nouvelle d’un impôt de crise? Je pense certainement, et ce sera justifié.

Dans l’idéal, il s’agirait donc d’annuler certaines charges, plutôt que de les reporter. Sont-elles lourdes chez Steffen?

«Nous avons besoin de lieux de production, de matériel, de personnel compétent. Ce sont des choses essentielles à notre activité, et qui se paient. Cette masse de frais est certainement adaptée pour faire 100% de chiffre d’affaires, 120, peut-être 90% une année, mais pas 45% ou 50% de chiffre, voire moins.

En 2019, nos charges fixes au sein du groupe Steffen étaient de 13 millions d’euros au total.

De quelles aides avez-vous profité?

«Du chômage partiel, crucial pour maintenir nos équipes en place. Nous sommes très contents qu’il ait été prolongé dans notre secteur, et on espère qu’il le sera à nouveau. Si les sociétés sont économiquement contraintes à passer à des licenciements, on casse beaucoup de savoir-faire. À ce jour, 26 de nos collaborateurs sont encore au chômage partiel. Nous n’avons pas souhaité faire de diminutions drastiques, même si la situation économique l’imposait presque.

Nous avons aussi profité du prêt garanti par l’État, qui est un contresens économique. En tant qu’entrepreneur, on a du mal à aller, philosophiquement, se faire prêter de l’argent pour payer des frais courants…

Et nous avons aussi bénéficié des petites tranches d’aides non remboursables.

En France, on demande le chômage partiel, et 10 jours après, l’argent est sur le compte. Ce n’est pas le cas au Luxembourg.
Tom Steffen

Tom SteffenAssociéGroupe Steffen

Avez-vous eu des difficultés à obtenir ces aides?

«Nous sommes en ce moment occupés par les démarches, mais je pense qu’il n’y aura pas de grands soucis. Je parle, dans mon cas, d’une société qui a la chance d’avoir des gens compétents dans son département Finances, des gens réactifs dans son département Ressources humaines, qui s’occupe justement des détails administratifs pour toutes ces charges-là. Pour les entreprises qui ne sont pas dotées de tels avantages, j’imagine que c’est beaucoup plus compliqué.

En France, on demande le chômage partiel, et 10 jours après, l’argent est sur le compte. Ce n’est pas le cas au Luxembourg. Or, le décalage entre la demande et la perception des aides peut avoir de lourdes conséquences pour beaucoup de sociétés.

Imaginez-vous une date de sortie de crise?

«À force de passer pour des gens qui ont l’impression d’avoir une boule de cristal, on devient très prudents. J’espère retrouver, lors de l’été prochain, un esprit semblable à ce que l’on connaissait avant. Je pense que ce n’est pas irréaliste, mais ça ne tient pas compte d’une évolution épidémiologique; nous ne savons pas comment le virus va évoluer, ni quelles seront les mesures.

Y a-t-il un monde avant et après-Covid?

«Dans notre domaine, il y a déjà un monde d’après. Le monde d’après-après, on ne le connaît pas encore, malheureusement. Un collègue des Pays-Bas avait 2.400 collaborateurs, il a déposé le bilan. D’autres en Russie (Via delle Rose) se sont reconvertis dans des box en take-away pour les enterrements. Les sociétés qui tiennent le coup sont rares.

Est-ce qu’avec du recul, le confinement était une bonne ou une mauvaise idée?

«Je ne me permettrai pas de critiquer ce choix. Il avait du sens, probablement médicalement.

Qu’est-ce que je pense d’un reconfinement? Ce serait absolument dramatique pour des sociétés qui ont été tenues en vie artificiellement par des systèmes d’aide.

En septembre, que peut-on dire de la reprise des différentes activités du groupe Steffen?

«Nous pouvons nous estimer heureux d’être diversifiés depuis toujours. Notre métier de traiteur souffre beaucoup. Il a fallu assez rapidement faire une croix sur l’année 2020. Aujourd’hui, nous sommes à 45% de notre activité dans ce domaine. Je plains nos confrères qui n’ont pas d’autres activités pour limiter la casse. Or, c’est quand même un secteur qui génère quelque 3.000 emplois sur l’économie luxembourgeoise.

Nos métiers sont facilitateurs de rencontres, catalyseurs de partage. Or, rencontres et partage, en ce moment, et surtout de manière rapprochée, ne sont pas favorisés. Traiteur événementiel n’est pas un métier qui existe depuis 1600, il est relativement récent. Nous n’avons jamais connu une telle crise dans ce domaine.

Vous parliez de cette chance d’être diversifiés… Ce n’est pas le fruit du hasard.

«C’est une vraie philosophie que mon père a menée depuis 1989, de manière à ne pas avoir tous ses œufs dans le même panier. Il y a des effets de synergie entre les activités, qui se croisent de près ou de loin.

Quelle part occupe l’activité traiteur dans votre chiffre d’affaires?

«L’activité traiteur représentait 32% de notre chiffre d’affaires en 2019. En 2020, ce ne sera bien sûr pas la même chose…

Notre chiffre d’affaires est passé de 12 millions d’euros non consolidés en 2010 à 24 millions en 2019. Le traiteur est passé de 5 à 7,8 millions d’euros. Cela veut dire que d’autres activités se sont ajoutées, notamment notre première aventure de restaurant avec La Table de Frank, à Steinfort, qui a ouvert ses portes en 2011.

Puis, il y a deux ans, le take-away et le ­restaurant à la gare centrale de Luxembourg (Le Quai Steffen). Une continuation de ­l’assise de notre activité historique avec la ­boucherie et la salaison.

Quelles sont les perspectives de reprise dans l’événementiel?

«Les événements, c’est compliqué, mais ça peut se faire dans les règles de l’art. Je tiens à le souligner.

Avec la LEA (Luxembourg Event Association, dont Steffen est un des membres ­fondateurs, ndlr) et le ministère des Classes moyennes, nous avons élaboré un guide de bonnes pratiques, Safe to Meet, qui va bien plus loin que le contexte légal, pour être sûrs que les événements puissent se dérouler en toute sécurité.

On parle de flux de personnes, d’espacement, d’obligation du port du masque, de désinfection, de mode de service préconisé. Aujourd’hui, faire un buffet où tout le monde va se servir seul, c’est limite.

Nous organisons des mariages, pour 120 à 140 personnes. Cela se fait en France. Il y en a aussi au Luxembourg, mais dans un cadre beaucoup plus restreint.

La situation sanitaire freine-t-elle aussi la reprise dans vos restaurants?

«Nous avons deux exemples polarisants et représentatifs de ce qui se passe dans le pays.

Si je prends La Table de Frank, à Steinfort, nous sommes sur le même niveau d’activité que l’année dernière.

Au Quai Steffen, on est à 40-45% de notre capacité. C’est un restaurant d’une taille honorable à Luxembourg-ville, à la gare centrale, entouré de beaucoup de bâtiments de bureaux, et qui devenait un lieu de rendez-vous. Il a tout juste un an. Ce n’est pas la capacité réduite qui nous empêche de travailler, mais l’absence de personnel de bureau.

Le télétravail est-il une mauvaise idée?

«Cela a un impact sur mes activités, donc tout ce que je vais vous dire sur le sujet va être biaisé par mes intérêts économiques, mais aussi par mon envie de retrouver ce partage avec le client. C’est avant tout pour cela que nous aimons faire ce métier.

La dynamique du Quai Steffen a été cou­pée en plein élan. De quoi vous faire regretter ce choix d’ouvrir une nouvelle enseigne?

«Non. Si on fait un projet, on y croit, et on n’arrête pas d’y croire au bout de deux ans.

Nous avons parlé de l’activité traiteur, la plus touchée. La restauration l’est un peu moins. La boucherie a, quant à elle, été prise d’assaut pendant le confinement… C’est la branche d’activité qui a bien fonctionné pendant, et même après le confinement. Les gens qui n’allaient plus au restaurant devaient bien manger. Ils avaient plus de temps pour se lancer dans une recherche qualitative, faire le tour des magasins et aller chez leur boulanger préféré, chez leur boucher préféré, chez le maraîcher, éventuellement.

Avez-vous gagné de nouveaux clients?

«Oui, tout à fait. Il y a une fréquence d’achat inférieure, mais les gens cuisinent plus.

Se tourner vers le local, est-ce une tendance due au Covid-19, ou est-ce que cela va durer?

«Il n’y a que le temps qui nous le dira. Nous le souhaitons. Cela ne se passe pas que dans la boucherie. Nous avons pu fonder un partenariat avec Auchan concernant les plats traiteurs de notre gamme L’Atelier Steffen. La grande distribution a une réelle envie de se tourner vers le local, ce n’est plus seulement anecdotique.

Ce sont deux mondes qui, très longtemps, se sont regardés d’un œil suspicieux: les artisans d’un côté, et la grande distribution de l’autre, et qui maintenant trouvent un réel in­té­rêt à se rapprocher et travailler main dans la main.

Nous avons une crise, mais pensons déjà au-delà.
Tom Steffen

Tom SteffenAssociéGroupe Steffen

Allez-vous chercher d’autres partenariats, intensifier cette proposition?

«Intensifier cette proposition, oui. Nous avons une crise, mais pensons déjà au-delà. Nous nous permettons de rester rêveurs et d’ajuster notre activité de manière cohérente. Ce produit prêt à l’emploi va pouvoir encore créer, comme l’ensemble de nos activités, une assise plus grande, des synergies cohérentes pour l’ensemble de nos collaborateurs.

Comment tentez-vous de vous démarquer de vos concurrents?

«Pour la restauration et la boucherie, il y a une démarche de fond de qualité, mais c’est aussi une question géographique. Les clients de Metz ne vont pas venir à la boucherie de Steinfort.

Du côté traiteur, les limites géographiques ne sont pas aussi importantes. Nous essayons d’améliorer constamment l’expérience totale que le client vit avec nous, sur une base durable. L’idée n’est pas d’être extraordinaires un jour, et complètement moyens celui d’après.

Qu’en est-il du regroupement de vos activités logistiques à Niederkorn?

«Il reste toujours nos entités de production à déménager à Niederkorn. On voulait commencer au début de l’année prochaine. Nous avons déjà réalisé 6 millions d’euros d’investissement pour construire notre hub logistique servant l’ensemble de nos corps de métiers. Il reste 7 millions à investir, dans un futur qu’on espère proche.

C’était prévu pour 2021, mais le Covid est passé par là, et nous nous devons par conséquent d’assurer la fiabilité de nos projections pour l’installation de notre manufacture artisanale regroupant enfin l’ensemble de nos activités de production, et qui, plus que tout, rapprochera enfin l’ensemble de nos artisans dévoués.

Nous avons actuellement cinq sites de production. En termes d’accompagnement, ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus évident. À terme, nous voulons réunir l’ensemble de nos collaborateurs là-bas.

Est-il compliqué d’aller convaincre les banques de vous accompagner sur de tels projets?

«De manière générale, nos partenaires financiers nous suivent, parce qu’ils savent que nous sommes une entreprise très sérieuse. Nous détenons notre capital encore à 100% dans notre famille, ce qui n’est pas le cas de tout le monde dans le secteur.

Est-ce que le marché frontalier vous intéresse?

«Cela représente déjà 10% de notre activité événementielle pour 2019. Généralement, nous avons un réseau européen assez ­cohérent. J’essaie d’abord de conseiller à nos clients des prestataires de confiance dans leurs villes respectives, mais s’ils souhaitent qu’on les accompagne dans leur aventure, on le fait.

De nombreuses entreprises ont accéléré leur digitalisation, ou ont digitalisé certains de leurs services ou fonctions depuis le début de la crise. Est-ce votre cas également?

«Nous travaillons effectivement dans ce sens, car nous souhaiterions offrir à nos clients un service encore plus complet et toucher aussi ceux qui n’ont peut-être pas toujours le temps de se déplacer chez leur artisan de cœur.

On parle ici d’un service de livraison garantissant le prolongement de nos valeurs artisanales, non seulement dans nos produits, mais aussi dans l’expérience de service de nos clients. Ces derniers y retrouveront bien entendu l’ensemble de nos produits traiteur, ainsi que boucherie, mais plus encore… On est déjà bien plus loin que la simple idée, et les choses se concrétisent peu à peu. Se fermer à ce type de service en ligne (pour ne prendre que ce volet de la digitalisation) serait manquer de sauter sur un train qui est en train de partir, voire même déjà bien en route. En tant que société avec une vue de long terme dans l’artisanat, on se doit de proposer une sélection cohérente de produits et de services à nos clients via ce canal. Cette crise nous aura permis, même si elle est encore loin d’être derrière nous, d’être plus précis dans la formulation de nos ambitions, de les concrétiser et d’être plus en accord avec la fragilité de notre savoir-faire, malgré notre contexte diversifié.

Je veux donner l’opportunité à ceux qui ont fait le choix de se nourrir autrement de retrouver ce goût qui leur manque peut-être.
Tom Steffen

Tom SteffenAssociéGroupe Steffen

La boucherie vous a sauvés. Pourtant, le véganisme prend de l’ampleur. Est-il difficile de vendre de la viande en 2020?

«Le Luxembourg a toujours été un pays qui consomme beaucoup de produits carnés, là n’est pas la question. Mais c’est devenu un débat très politique. Je ne mange pas de viande quatre fois par jour. Quand j’en mange à la maison, ce sont des plats en sauce, avec peu de viande, mais de qualité. Et si je me prends une bonne pièce, c’est pour me faire plaisir, pas tous les jours. Je ne m’identifie pas à la surconsommation et à la guerre des prix dans l’industrie carnée. Nous restons artisans. Mon père avait sorti, en 2001, deux ou trois pages de plats végétariens dans notre brochure. Il n’avait rien vendu, car, à l’époque, la personne végétarienne n’allait jamais chez le boucher. Maintenant, certains membres d’une famille sont véganes, et les autres non. Nous sommes justement en train de développer un filet américain complètement végane, qui a le même goût et la même texture que le bœuf. Je veux donner l’opportunité à ceux qui ont fait le choix de se nourrir autrement de retrouver ce goût qui leur manque peut-être.

De quoi est-il fait?

«Ce serait trop vous dire. On travaille beaucoup avec des protéines végétales, que ce soient des haricots, des champignons, des lentilles, des pois chiches… Je cherche à créer de vraies alternatives de qualité pour cette population, que je comprends à un certain niveau. Il y a une partie de notre industrie à laquelle je ne m’identifie pas du tout non plus. Ça commence par l’élevage. Certaines pratiques d’élevage et d’abattage que je ne cautionne pas forcément.

C’est bien d’être boucher dans le cœur, mais il faut aussi être boucher dans l’âme.
Tom Steffen

Tom SteffenAssociéGroupe Steffen

Comment veillez-vous au bien-être animal?

«Les circuits courts. L’abattoir avec lequel nous travaillons, celui d’Ettelbruck, j’y suis régulièrement. Je sais comment ils travaillent. C’est bien d’être boucher dans le cœur, mais il faut aussi être boucher dans l’âme.

Comment vous positionnez-vous sur le bio?

«Nous sommes certifiés bio. Tous les produits ne le sont pas, mais ceux qui sont stipulés bio, c’est certifié, nous avons des contrôles annuels. Quand un produit dans son ensemble est bio, c’est le beurre qui est bio, le lait, les épices, tout.

Est-ce facile au Luxembourg?

«Si on veut, oui. Tout est une question de volonté et de démarche de fond.

Votre père, Frank, a fondé le groupe Steffen en 1989. La crise accélère-t-elle la transmission familiale?

«Ces moments forts et intenses représentent un pas de plus vers la transmission de l’entreprise de la génération précédente, mon père, à la génération qui reprend: moi, mais aussi ma sœur Lisa (24 ans), qui est en train de finir ses études dans l’hôtellerie-restauration en Suisse et qui souhaite nous rejoindre d’ici quelques années. J’ai une deuxième sœur, Anne, 32 ans, qui travaille dans le marketing de luxe chez un joaillier en Suisse. Elle, pour sa part, n’a jamais été intéressée par l’entreprise familiale.

Justement, comment vous êtes-vous orga­nisé avec votre père dans la gestion de crise?

«Nous nous sommes vus tous les jours pour faire un briefing avec le comité de direction. La crise nous demande d’avoir une vision à long terme, mais de gérer des changements au jour le jour. C’est compliqué.

Vous avez donc travaillé main dansla main pendant la crise. Comment s’organisera la suite?

«C’est quelque chose qui doit se faire naturellement. Nous connaissons chacun nos forces et nos faiblesses, sur lesquelles je dois travailler pour lui arriver à la cheville, et j’espère au-delà. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, et je le complète sur d’autres, comme sur son côté caractériel d’entrepreneur artisanal. Nous avons des différends, mais nous nous complétons et arrivons à entendre l’autre pour trouver un consensus.

Il a créé beaucoup de choses. Est-ce une responsabilité de reprendre l’entreprise familiale?

«Oui, c’est une responsabilité. Face à nos clients, mais aussi à nos 201 collaborateurs. La force de décision nous appartient à certains niveaux, mais sans eux, nous ne sommes rien. Être conscient de cette dualité-là, c’est très important, surtout dans une entreprise artisanale.

En tant que manager en temps de crise, vous devez donner confiance à vos équipes et communiquer?

«C’est le ton adopté depuis le confinement. Être en contact avec nos équipes, échanger avec elles, faire face à leurs peurs évidentes. Ce n’est pas toujours facile de communiquer des réalités économiques à une équipe. Derrière ce que vous dites, il y a le film qui se déroule dans la tête des gens. Gérer ces aspects-là, je trouve cela particulièrement délicat, et ça a été par moment éprouvant. Nous avons été très présents et très à l’écoute de nos équipes, mais je pense qu’au vu du contexte, pas encore assez. Pour le faire dans les règles de l’art, il aurait fallu des journées de 48 heures. Toujours est-il que je suis absolument fier de l’ensemble de notre équipe quant à la manière dont tout le monde a joué le jeu.

Je pense que ce n’est pas une question de nouvelle génération, mais d’état d’esprit et de motivation personnelle.
Tom Steffen

Tom SteffenAssociéGroupe Steffen

Une structure familiale est-elle plus résiliente en situation de crise?

«Parce qu’on a une vision d’entreprise familiale, on commence par l’activité au sens général et par nos collaborateurs, et pas par les finances. Si on commence avec les finances dans une situation pareille, cela ne contribue pas à une fin heureuse pour l’ensemble des intervenants.

Diriez-vous qu’il est plus difficile pour les nouvelles générations de reprendre une entreprise qu’à l’époque?

«Je pense que ce n’est pas une question de nouvelle génération, mais d’état d’esprit et de motivation personnelle. Ma sœur Anne n’a pas souhaité le faire et a pu faire autre chose. Ce n’est pas le cas dans toutes les familles. Si vous forcez la main à vos enfants, ils vont finir dans l’entreprise pour les mauvais motifs. Après, il y a d’autres raisons qui peuvent pousser les gens à finir dans l’entreprise pour les mauvais motifs.

C’est quelque chose qui n’est pas assez creusé, cela se fait dans l’éducation des enfants. Je pense que pour pouvoir acquérir les compétences pour gérer une entreprise d’une certaine taille, il y a tout un état d’esprit qui doit aller avec. Il y a surtout un esprit du sacrifice, qui doit aller avec. Oui, il y a plein de côtés lumière, mais il y a aussi des ombres. Les ombres, il faut que les enfants les comprennent bien.

Si c’était à refaire, changeriez-vous de direction?

«Non, c’est une remise en question permanente. C’est justement ça que j’adore. On a la chance d’apprendre énormément.

Votre père représente-t-il votre mentor?

«Oui, mais il m’a enseigné autre chose. Il ne nous a jamais demandé de devenir lui. Son ego n’a pas besoin de ça.

Il y a des gens que j’admire pour diverses raisons, dans toutes les rencontres que j’ai faites dans ma vie. J’essaie de comprendre les caractéristiques que j’admire chez eux et de m’en inspirer. Pour être à la tête d’une équipe, il y a un spectre de compétences très larges à prendre en compte. Avoir assez de finesse humaine et être assez humble pour le faire, et ensuite pouvoir progresser là-dedans tout doucement, «step by step».

Comment vous définissez-vous? Entrepreneur, restaurateur, boucher?

«Un peu de tout cela. Nous avons la chance de pouvoir être à la tête de cette belle équipe. Nous sommes des frustrés positifs. Me dire «je sais ce que je veux être» va me frustrer, mais «je sais où je veux être» ne va pas me frustrer. Dans cette direction, j’essaie d’être une meilleure version de ce que j’étais hier pour m’en rapprocher. Pour faire grandir les gens avec nous en termes de qualités personnelles.

Est-ce que cela influe sur votre manière de recruter?

«Oui. Je préfère embaucher des gens motivés que je dois former que des gens formés que je dois motiver. Il faut aussi créer un environnement dans lequel ils peuvent dire ce qu’ils pensent, pour pouvoir après en discuter. Et j’ai l’impression qu’on a un bel échange à ce niveau-là avec nos collaborateurs.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de qui est parue le 24 septembre 2020.

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