Au début de cette crise, quelles ont été vos priorités en tant que président du conseil d’administration d’une grande banque, la Bil, et d’une chambre professionnelle, la Chambre de commerce?
. – «En tant que président, il faut surtout s’assurer que tout est fait pour la santé des équipes, la continuité des opérations, la bonne définition des fonctions critiques et être à disposition pour donner des conseils et des recommandations au management. Mon rôle est de garder une vue d’ensemble.
Concernant la Bil, quelles ont été les priorités?
«Nous avons veillé à assurer la continuité des opérations . C’est une institution financière qui doit continuer à fonctionner.
Car la banque doit aussi continuer à fonctionner pour donner un signal de confiance dans un tel contexte…
«Le système financier continue à fonctionner, c’est essentiel, car c’est le cœur de l’économie. Contrairement à 2008, la crise que nous traversons ne provient pas du secteur financier. Dans ce sens, malgré les mouvements boursiers importants, il n’y a aucun élément de panique autour du système financier, ce qui est positif. renforcent davantage le système financier.
Il faut faire en sorte que les frontaliers puissent, en tout temps, passer la frontière sans être inquiétés sur le plan fiscal ou social.
La crise actuelle souligne encore un peu plus le besoin pour l’économie de recourir aux frontaliers. Mais aussi leur importance pour le secteur des soins de santé. Comment percevez-vous cette situation?
«Nous vivons en Europe, il faut réfléchir en termes de régions et non en termes de frontières nationales. Il est normal que le Luxembourg, capitale économique de cet espace transfrontalier, soit un endroit où de nombreuses personnes de la Grande Région viennent travailler. La crise ne remet pas en cause ce modèle. Il faut plutôt faire en sorte que les frontaliers puissent, en tout temps, passer la frontière sans être inquiétés sur le plan fiscal ou social. La frontière ne doit pas être un obstacle.
Quelles leçons tirez-vous des crises précédentes auxquelles vous avez été confronté?
«J’ai en effet été confronté à différentes crises en tant que ministre de la Justice et ministre des Finances. Toutes sont relativement similaires quant aux méthodes qui sont nécessaires. Tout d’abord, il faut que l’État agisse vite et de façon déterminée. Ensuite, il faut que l’État intervienne de façon significative pour assurer que l’économie puisse continue à fonctionner. Puis il faut éviter toute contagion, dans ce cas de la crise sanitaire vers l’économie. Enfin, nous devons faire bloc autour des responsables politiques, dans un esprit d’union nationale. Avec ces quatre éléments-clés, nous pouvons réussir à surmonter des crises.
Beaucoup de conséquences économiques ne seront subies qu’à la fin de la crise sanitaire.
Comment percevez-vous l’action du gouvernement en ces temps difficiles?
«Le gouvernement luxembourgeois mais également les autres dirigeants européens ont bien joué leur rôle en termes d’action, de communication et de transparence. Mais, une nouvelle phase va s’ouvrir dans les semaines à venir sur le plan des mesures de soutien à l’économie. Il sera impératif de se concerter sur le plan national et européen pour ajouter d’autres mesures qui garantiront la survie des entreprises.
La priorité, à juste titre, a été jusqu’à présent portée sur la crise sanitaire. Toutes les mesures visant à éviter la propagation de l’épidémie étaient nécessaires. Il faudra ensuite et de façon intensive s’occuper des conséquences économiques qui sont aussi synonymes de conséquences sociales, car nous avons tous besoin d’un travail et d’un revenu. Ce travail en faveur de l’économie sera d’une ampleur tout aussi importante que celui mené pour juguler la pandémie. Beaucoup de conséquences économiques ne seront subies qu’à la fin de la crise sanitaire.
À l’heure actuelle, que redoutez-vous comme conséquences économiques?
«Je pense tout d’abord aux petites et moyennes entreprises du commerce, de l’horeca et du secteur du voyage au sens large, qui vont être impactées par des pertes importantes de revenu. Leurs difficultés peuvent avoir un effet boule de neige sur d’autres secteurs.
Demandez-vous d’autres mesures fortes de la part du gouvernement pour soutenir l’économie?
«Le gouvernement travaille sur un certain nombre de pistes. Il est essentiel que l’État prenne des engagements forts pour que l’économie puisse continuer à fonctionner. La possibilité de recourir rapidement au chômage partiel est une excellente mesure. Mais il faudra aussi certaines aides financières et des garanties bancaires en faveur des entreprises.
Quel doit être le rôle des banques dans ce contexte?
«Elles continuent à jouer leur rôle essentiel dans et pour l’économie. Certaines ont déjà pris des mesures en faveur des entreprises les derniers jours, notamment au niveau du remboursement des crédits. Il faut éviter que les banques elles-mêmes rencontrent des problèmes dans leur fonctionnement. C’est pour cela que l’État doit temporairement garantir certaines des obligations qu’ont les entreprises envers les banques pour éviter que tout le système financier ne s’écroule, surtout en cas de crise sanitaire prolongée.
La crise actuelle nous montre aussi combien il est important que les États disposent de finances publiques saines. En toutes circonstances – et même durant la crise de 2008 –, l’État luxembourgeois a toujours veillé à conserver le triple A, ce lui permet de pouvoir recourir à du financement extérieur sans problème, ce que d’autres pays ne peuvent pas toujours faire. D’où l’importance de maintenir en tout temps la bonne santé des finances publiques pour que l’État puisse soutenir l’économie, notamment par une politique d’investissement forte qui sera nécessaire à la fin de cette crise sanitaire.
Dans quel état d’esprit doit-on se trouver lorsqu’on est «aux manettes» du pouvoir politique et donc des décisions parfois difficiles à prendre?
«Il faut être déterminé, serein et communiquer de façon continue. Je voudrais dire aux habitants du pays et aux frontaliers qui sont dans l’incertitude et qui ont peur – ce qui est naturel – que chaque crise que nous avons vécue a toujours débouché sur une solution. Dans quelques semaines, cette crise aura trouvé une solution. La Chambre de commerce, qui représente la plupart des entreprises et des milliers de salariés par l’intermédiaire de ses membres, sera aux côtés du gouvernement dans un esprit d’union nationale des forces vives de la Nation pour trouver les solutions permettant une relance économique.
Nous devons rester confiants dans notre capacité collective à pouvoir surmonter les crises via des actions courageuses et déterminées. La crise de 2008 était, sur le plan économique et social, aussi grave que celle que nous vivons. Si les banques s’étaient écroulées, il y aurait eu une crise économique et sociale sans précédent. Les actions menées à l’époque donnent beaucoup de clés pour nous aider aujourd’hui.
La mondialisation ne s’arrêtera pas avec cette crise.
Il est encore trop tôt pour prédire la fin de la crise actuelle. Mais faut-il s’attendre au début d’une nouvelle donne économique?
«Je ne le pense pas. Cette crise n’est pas la première crise mondiale que nous vivons, même si elle est exceptionnelle comme crise sanitaire. Rappelons-nous les crises de 2008, ou celles liées aux attentats terroristes. Ces crises se caractérisent à chaque fois par de la nervosité, de l’incertitude, et la peur des gens, ce qui est bien compréhensible. Une fois les crises surmontées, nous en tirons les leçons pour renforcer certaines failles de nos systèmes, mais notre vie normale et nos habitudes reprendront comme avant la crise.
La mondialisation sera-t-elle remise en question alors que la crise actuelle met en lumière l’interdépendance économique particulière vis-à-vis d’un pays comme la Chine?
«Nous allons continuer à vivre dans une économie globalisée. Nous avons besoin des autres. L’idée que l’Europe puisse tout faire elle-même est irréaliste. Nous avons besoin des États-Unis, de la Chine et d’autres endroits du monde pour les idées et les produits. La mondialisation ne s’arrêtera pas avec cette crise. Cela serait d’ailleurs mauvais pour notre façon de vivre.»