«La situation a beaucoup changé depuis la création de l’Asti», constatait la présidente de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti), Laura Zuccoli, invitée du petit-déjeuner de la rédaction de Paperjam le vendredi 8 novembre, 40 ans jour pour jour après la création de l’association, en 1979, par des Luxembourgeois et des étrangers autour du slogan «Vivre, travailler et décider ensemble».
L’Asti demeure une petite structure, avec 30 salariés (la plupart à temps partiel), 150 bénévoles et 500 membres. «Avec cette taille, il est possible de rester militants et imaginatifs», selon sa présidente, qui occupe ce poste depuis 2008 et est active dans l’association depuis 1983. Soucieuse de son indépendance, l’association est financée par des dons. Elle a cependant dû évoluer pour s’adapter aux enjeux de l’époque contemporaine.
S’adapter aux évolutions de la société
Le nombre de migrants a en effet fortement augmenté, surtout depuis ces dernières années. «Au sein de l’Asti, nous ne parlons plus d’intégration, mais de vivre-ensemble», déclare Laura Zuccoli. «Qu’est-ce que l’intégration dans un pays où seulement 38% des gens peuvent, en remontant dans leur généalogie, trouver des grands-parents luxembourgeois?»
Des migrants plus nombreux et très différents de ce qu’ils étaient: «À l’origine, la majorité des migrants étaient des Portugais, perçus uniquement comme de la main-d’œuvre ouvrière», se rappelle Laura Zuccoli. «Désormais, si la majorité des migrants viennent de l’UE, une partie non négligeable est issue de pays tiers. Et si on parle souvent de l’Afrique ou des Balkans, ces migrants viennent pourtant majoritairement d’Amérique du Nord, de Chine et d’Inde, pour occuper des postes dans les banques ou les nouvelles technologies.»
Certains frontaliers se sentent davantage liés au Luxembourg qu’à leur propre pays.
Le phénomène frontalier aussi a transformé le rapport à la migration. D’autant que «certains frontaliers se sentent davantage liés au Luxembourg qu’à leur propre pays, ce qui pose la question de l’appartenance, non plus à un pays entouré de frontières, mais à un espace de vie qui s’étend sur l’ensemble de la Grande Région.»
Le rejet du droit de vote des étrangers, une déception
Un moment de bascule fut le référendum de 2015 et le rejet sans ambiguïté du droit de vote pour les étrangers. «Une déception», admet Laura Zuccoli. «Et une surprise, non pas que le droit de vote fut rejeté, mais qu’il l’ait été à une si forte majorité.»
Ce qui a provoqué un changement d’approche, non plus basée sur la revendication, mais sur l’objectif de «réactiver le débat avec des chercheurs et des personnes de terrain».
D’où un programme fourni en conférences pour la saison à venir, sur des thèmes allant de l’intégration des personnes noires à l’évolution du droit de vote des jeunes et des étrangers, en passant par la scolarisation des enfants étrangers ou les frontaliers.
Axer l’action au niveau communal
«Depuis la claque du référendum, nous axons davantage nos actions au niveau des communes, et moins sur la question du droit de vote. Nous développons des projets pilotes, avec des propositions. Ce n’est qu’ensuite que nous portons des revendications», explique Laura Zuccoli.
Le projet «Connections» est un exemple de cette nouvelle dynamique: des cours de langue à destination de la restauration et de la gestion d’immeuble. «Beaucoup de gens n’ont pas ces compétences linguistiques, mais sont d’accord pour faire ces jobs, et la demande de main-d’œuvre est élevée», explique Laura Zuccoli. «C’est un projet qui marche très bien. Quand il arrivera à terme, nous demanderons à l’Adem ou à un autre organisme de le reprendre à son compte. C’est ainsi que nous procédons.»
Le projet «Local» est une autre illustration: il vise à ce que les communes mettent à disposition un local convivial pour des activités diverses. «Construire des logements c’est bien, mais il faut que les gens aient la possibilité de se rencontrer», insiste la présidente de l’Asti.
L’intégration passe plus par le contact individuel que par le cadre juridique.
«L’intégration passe plus par le contact individuel que par le cadre juridique», assure Laura Zuccoli. «Le milieu associatif, l’engagement sportif ou participer à la vie de la commune sont d’excellents vecteurs d’intégration.»
Davantage que l’apprentissage de la langue, selon la présidente, qui n’est peut-être pas le plus nécessaire, au vu de l’existence de trois langues officielles, auxquelles s’ajoutent l’anglais et le portugais, très utilisés.
Contradiction entre le discours et la réalité
«Le problème est que le gouvernement contribue à maintenir une inquiétude concernant la disparition de la langue et de la culture luxembourgeoise en général», estime Laura Zuccoli.
Une inadéquation entre discours et action que constate amèrement la présidente de l’Asti: «Le discours officiel est très ouvert, plus que dans les autres pays, mais sur le terrain ce n’est pas évident. Même à droite on sait désormais que l’immigration est nécessaire pour notre économie. Mais concernant la question des droits des migrants et de leur intégration… Le Luxembourg aime bien l’immigration quand elle est qualifiée, mais pas quand il s’agit des ouvriers.»
Le Luxembourg aime bien l’immigration quand elle est qualifiée, mais pas quand il s’agit des ouvriers.
Ainsi, la réglementation concernant le logement, un enjeu majeur, reste paradoxale. Par exemple, certaines communes refusent la colocation ou la location de chambres vides parce que cela contrevient au principe du logement unifamilial. «Il y a une contradiction manifeste entre ce dont on va discuter lors d’un colloque et ce qui va être réalisé sur le terrain», déplore Laura Zuccoli.
Le problème originel reste la question du droit de vote des étrangers. «L’électorat luxembourgeois est très protégé, avec une vision conservatrice. Comment procéder alors aux changements législatifs nécessaires?», s’interroge Laura Zuccoli. «Ces électeurs ne donnent aucune idée nouvelle. Les immigrés sont bien plus jeunes et positifs.»