La plupart des gestionnaires de portefeuille se rappelleront, sans aucun doute, au moins un cas où ils ont rejeté une information parce qu’elle ne correspondait pas à leur thèse d’investissement initiale.  Crédit: Jasper James

La plupart des gestionnaires de portefeuille se rappelleront, sans aucun doute, au moins un cas où ils ont rejeté une information parce qu’elle ne correspondait pas à leur thèse d’investissement initiale.  Crédit: Jasper James

Les pièges comportementaux, dans le domaine de la finance, sont nombreux. Notre jugement est influencé par des biais, et nous cherchons à tout prix à valider nos thèses d’investissement, des idées pour lesquelles nous avons une forte conviction. Après tout, nous ne sommes que des humains! Mais y a-t-il un moyen de mieux gérer, ou de carrément éviter ces biais comportementaux?

La plupart des gestionnaires de portefeuille se rappelleront, sans aucun doute, au moins un cas où ils ont rejeté une information parce qu’elle ne correspondait pas à leur thèse d’investissement initiale. De même, tout investisseur peut penser à un moment où il s’est précipité sur une information positive concernant une action qui lui plaisait, tout en négligeant les signes moins favorables sur cette même action. Dans les deux cas, l’information trouvée n’est donc pas utilisée pour affiner l’analyse de la situation, elle est simplement approuvée ou rejetée pour confirmer un jugement initial.

Face à ces biais cognitifs et comportementaux, il semble que le secret du succès en matière d’investissement soit de garder l’esprit ouvert. Si une information inattendue vient remettre en cause la thèse initiale, peut-être que l’entreprise en question n’est pas aussi bonne qu’on le pensait! Le meilleur conseil est donc de rester flexible et capable d’ajuster son point de vue de manière objective en réaction aux nouvelles informations.

Tout le monde peut se tromper

Maintenant directeur des investissements chez Capital Group, Martyn Hole était, par le passé, gestionnaire de portefeuille. «Je me suis complètement trompé sur l’action Nokia. Je ne comprenais pas pourquoi quelqu’un voudrait acheter ces ‘briques’, avec cette technologie lourde et maladroite. Je n’ai pas compris pourquoi quelqu’un investirait dans cette entreprise avec sa technologie sans avenir. Et comme j’ai eu tort!» Inutile de dire que le cours de l’action a connu une forte hausse, et la technologie s’est améliorée d’année en année – comme le dicte la Loi de Moore. Il vaut la peine de prêter attention à ce genre de loi!

Aujourd’hui, nous avons tant d’informations à portée de main – mais cela nous aide-t-il réellement à prendre de meilleures décisions d’investissement? M. Hole pense que les gens sont submergés par la quantité d’informations, de surcroît parce que celles-ci ne sont pas toujours précieuses ou utiles: il s’agit souvent de bruit, voire d’une cacophonie. L’économiste John Maynard Keynes, gestionnaire de la dotation financière du King’s College de Cambridge, avait l’habitude de lire le Financial Times chaque matin au lit avant de prendre ses décisions. Au départ, cela a été très inefficace, note M. Hole: «Ce fut un désastre, parce qu’il spéculait. Il choisissait une action considérée comme incontournable et faisait son placement généralement au sommet du marché! Par la suite, il a donc décidé de changer d’approche, d’adopter une vision à plus long terme, d’ignorer le bruit et de ne pas réagir à tous les mouvements quotidiens des prix. Dès lors, la dotation du King’s College connut un succès spectaculaire. Grâce à sa gestion, elle a été démultipliée plusieurs fois. Si vous comparez sa performance de gestionnaire de portefeuille à l’évolution du marché au cours de cette même période, il l’a massivement battue. On lui attribue aujourd’hui cette belle maxime: «Quand les faits changent, je change d’avis, et vous?»

Essayer de faire des prédictions à court terme est une perte de temps.
Martyn Hole

Martyn HoleDirecteur des investissementsCapital Group

Déséquilibres économiques

Beaucoup d’entreprises s’efforcent de prévoir des indicateurs économiques à court terme. Les médias relaient que «le consensus est tel ou tel» en se référant à des statistiques économiques mensuelles telles que les données sur les salaires, les ventes au détail ou l’inflation. «Et ils ont toujours tort!», note M. Hole. «Essayer de faire des prédictions à court terme est une perte de temps. Qu’est-ce que cela ajoute au processus d’investissement? Si la croissance est plus forte, les investissements pourraient augmenter, mais qui sait vraiment?»

La «macro-réflexion» et la prise en compte du moyen et du long terme, ainsi qu’une réflexion sur les failles du consensus actuel, constituent une approche beaucoup plus prometteuse. Comme l’ont montré les dernières décennies, ce qui conduit généralement aux problèmes économiques, ce sont les déséquilibres. Par exemple, il y a eu l’écroulement du secteur de la technologie, des médias et des télécommunications (TMT) en 2000 et le déséquilibre du marché immobilier en 2007-2008 avec l’énorme prolifération des prêts hypothécaires dans l’immobilier résidentiel qui a conduit in fine à la crise financière mondiale. 

La «destruction créatrice»

En effet, toutes les récessions que nous avons eues au cours des 100 dernières années ont été causées par des déséquilibres – généralement dus à une spéculation excessive dans un domaine particulier, que ce soit les TMT, les entreprises minières ou l’immobilier. Lorsque les rendements semblent fantastiques, un surplus de capital est attiré vers ces zones, avec pour résultat un renversement naturel: cela entraîne les rendements vers le bas et prépare le terrain pour une correction du marché.  

Pour faire simple, on peut dire que les crises éliminent une grande partie des déchets du système. L’économiste autrichien Joseph Schumpeter a ainsi parlé de la «destruction créatrice» au sein du capitalisme. Certaines entreprises réussissent, d’autres échouent, et c’est comme ça. Si vous essayez d’arrêter ce processus ou de le retarder, cela peut aggraver le problème à l’avenir et déclencher des retombées beaucoup plus négatives que si vous laissez libre cours à ce processus salutaire. De toute évidence, c’est un phénomène désagréable pour les personnes impliquées dans les entreprises en difficulté qui ne parviennent pas à adapter leurs modèles d’affaires, mais c’est la vie.

Certaines situations entraînent des changements de comportement permanents. Si l’on regarde le marché boursier durant le confinement, tous les géants industriels qui auraient dû traverser cette période sans trop de difficultés y sont effectivement parvenus, comme par exemple Amazon, Netflix et Microsoft. Certaines entreprises sont même en plein essor en raison du confinement. Les choses vont-elles revenir à la «normale»? «Le secteur des produits médicaux a connu une hausse spectaculaire au cours des derniers mois, et il est possible qu’il rende une partie de ces gains excessifs dans le futur, lorsque la situation actuelle se normalisera. Néanmoins, je pense que les choses ont changé de façon permanente et que nous vivons désormais dans un monde différent de celui de février.» Il y aura certainement des ajustements, des changements durables dans la façon dont les gens agissent et font leurs achats, ce qui pourrait avoir un impact sur les domaines dans lesquels vous voudrez investir.

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Martyn Hole est directeur des investissements «actions» chez Capital Group. Il dispose d’une expérience de 38 ans dans le secteur financier, et a rejoint Capital Group il y a 17 ans. Avant cela, Martyn a travaillé chez JPMorgan AM. Martyn, basé à Londres, est diplômé de l’université de Cambridge et détient un CFA.