Soulagement: En ce soir de match, le Losc gagne 3-0 face à Saint-Étienne. Le président a attendu le coup de sifflet final pour laisser éclater sa joie. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Soulagement: En ce soir de match, le Losc gagne 3-0 face à Saint-Étienne. Le président a attendu le coup de sifflet final pour laisser éclater sa joie. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Enfant terrible du pays, Gerard Lopez n’est jamais à court d’idées. Aussi discret que connecté, il a accordé à Paperjam une de ses rares interviews pour parler éducation, technologie, football et, bien entendu, évoquer le Luxembourg. Son pays qui garde une place particulière dans son réseau international.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Y a-t-il un filtre qui vous fait dire «je ne ferai pas d’affaires avec cette personne»?

.- «Il y a tout simplement des aspects humains. Avoir un large réseau vous donne le luxe de choisir avec qui vous voulez travailler et le deuxième luxe de pouvoir vous renseigner sur une personne. Les valeurs et l’éthique entrent en compte. J’ai la chance de ne pas avoir besoin de tout faire. Même si je suis omnivore en termes de projets, je peux en refuser s’ils ne correspondent pas à mes valeurs.

Les neurosciences sont un domaine qui vous intéresse. Quel est le lien avec le monde de l’entreprise?

«Tout système d’organisation, aussi efficace qu’il soit, ne marche pas si les personnes ne fonctionnent pas entre elles. Ce qui fait la différence, ce n’est pas l’être humain dans sa capacité cognitive à absorber de la connaissance, mais dans sa capacité à ressentir des choses.

Cette intelligence émotionnelle est très peu considérée en entreprise, car elle nécessite des outils spécifiques, une écoute pour gérer in fine ce qui s’appelle la culture d’entreprise, qui ne peut pas être gérée par des processus. Nous ne sommes pas des machines. Certains ont la capacité innée de mettre en place la culture d’entreprise. Souvent, ces personnes-là mettent l’humain au centre de leurs réflexions et non les processus.

Cette problématique s’illustre chez les start-up qui rencontrent des problèmes en phase de croissance, quand toute l’équipe ne se connaît plus personnellement. Il y a une déconnexion émotionnelle qui est souvent remplacée par des processus, qui peuvent s’avérer utiles pour certaines opérations. Mais il ne faut surtout pas oublier la partie émotionnelle.

Communication: Après une première saison loin des caméras, le président Lopez est passé à une phase de communication davantage publique. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Communication: Après une première saison loin des caméras, le président Lopez est passé à une phase de communication davantage publique. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Les monnaies virtuelles rempliront-elles, à terme, une fonction de monnaie d’échange?

«C’est inévitable. Mais nous sommes encore à l’âge de pierre technologique. Avec le smartphone, nous avons un outil qui nous permet de faire différentes opérations, financières ou non, mais qui n’est pas ‘native’. À partir de ce constat, nous allons assister à l’émergence d’une arborescence. Les sociétés qui sont actives dans les applications pour smartphones représentant le tronc à partir duquel vont naître des arborescences dans la communication – par exemple la capacité à traduire immédiatement –, dans la santé, dans l’éducation.

Le smartphone a supplanté la télé ou la console de jeux comme ‘hub’ domestique pour faire du commerce électronique. Mais le smartphone ne peut pas tout. Dès qu’il sera possible d’avoir de la technologie sur soi, nous allons revenir à des devices dédiés à des usages séparés. Peut-être reviendrons-nous à des outils plus petits qui ne feront plus que des appels vocaux… qui fonctionneront vraiment.

À l’échelle macroéconomique, la bataille autour des droits douaniers américains et chinois ne concerne pas l’import-export de produits, mais bien la 5G qui est au cœur de ce que j’évoquais. La 5G permettra de connecter beaucoup plus d’outils, qui seront davantage séparés que le smartphone n’est centralisé.

Une technologie qui serait aussi incrustée au corps humain?

«Oui, même si je ne suis pas fan.

Que pensez-vous de l’initiative de Facebook de lancer sa propre monnaie, la Libra?

«Facebook est en perte de vitesse importante chez les moins de 18 ans. Sans être arrogant, je l’ai toujours prédit. Facebook a d’abord été créé comme un outil de communication et est vite devenu un outil social, en étant vu par ses utilisateurs comme la réponse à tout sans pourtant tout faire de façon optimale.

J’ai eu l’occasion de donner un discours au Forum des Amériques, aux côtés de John Negroponte, l’ancien patron de la CIA. J’y ai dit que la prochaine génération, celle qui est actuellement à l’école primaire, cherchera à préserver davantage sa vie privée. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne partagera plus, mais elle le fera de manière plus intelligente. Or, Facebook, c’est tout le contraire. Ce qui explique sa perte de vitesse. Mais grâce à sa capitalisation, le réseau social peut miser sur de nouvelles fonctions ou de nouveaux produits pour se rattraper.

S’il souhaite continuer à capter l’univers d’utilisateurs qu’il possède, il doit capter leur argent. On parle souvent de ‘stickiness’ dans le domaine des technologies, soit le degré de ‘colle’ que vous avez à une application. Si vous avez votre argent sur une app, votre degré de ‘stickiness’ est très élevé. La Libra est donc un moyen d’enrayer le départ d’utilisateurs ou en gagner de nouveaux avec un outil qui est on ne peut plus ‘sticky’: l’argent.

Je voudrais que le Luxembourg soit leader dans le domaine des cryptomonnaies.
Gerard Lopez 

Gerard Lopez présidentLosc

Comment percevez-vous justement l’utilisation de nouvelles formes de monnaie?

«Les cryptomonnaies, bitcoin ou autres, auront une vraie valeur ajoutée lorsqu’elles rempliront les fonctions d’une monnaie et ne seront plus uniquement un instrument d’investissement mutualisé. La deuxième problématique vient du manque de régulation des cryptomonnaies. Tout en gardant en tête la valeur technologique et l’innovation apportées par les réseaux distribués, il faut amener de la régulation dans ce domaine qui n’est pas encore accessible à tous.

C’est pour cela que j’ai décidé de conseiller le fonds en fintech et IA dont je parlais et d’orienter ses initiateurs vers le Luxembourg en raison de l’écoute dont pouvait faire preuve la CSSF, mais aussi dans l’optique de partager leur expérience avec les pouvoirs publics. Je voudrais que le Luxembourg soit leader dans le domaine des cryptomonnaies. Nous avons tout pour l’être, mais la seule façon d’être véritablement leader dans ce type de domaine est de disposer du capital humain.

À l’instar de ce que nous avions fait pour le développement de Skype, qui a ensuite amené eBay puis Paypal à s’installer au gré des rachats de Skype. Ces arrivées ont permis l’émergence d’un écosystème de sociétés qui ont apporté des compétences au Luxembourg. Dans le monde digital d’aujourd’hui, un tel effet boule de neige peut apporter beaucoup de valeur à un pays.

Nous sommes au début d’une nouvelle aventure?

«On est vraiment au début de quelque chose. Le Luxembourg a une carte à jouer en tant qu’outsider. Nous avons les mêmes chances que les grands pays. Seuls le capital humain et les décisions feront la différence. La capacité à décider rapidement et de façon concrète est très importante.

Or, il sera toujours plus simple de passer un texte de loi à la Chambre des députés pour quelque chose de fondamental comme peuvent l’être les monnaies électroniques plutôt que de passer un texte au Congrès des États-Unis. La puissance économique est là-bas, mais la puissance d’action économique est ici. Entre autres.

L’électrique est un problème plus qu’une vraie solution.
Gerard Lopez

Gerard LopezprésidentLosc

Votre vision consiste-t-elle à placer le Luxembourg, à terme, en tant que leader des cryptomonnaies?

«Je veux aider le Luxembourg à courir plusieurs marathons dans ce domaine, pour essayer d’en gagner un ou au moins de terminer sur un podium. Le Luxembourg a une taille tellement intéressante que pouvoir compter sur un domaine qui le porte pendant 20 ans change la donne. Nous avons connu des exemples par le passé. Les autres pays n’ont pas le même luxe. Ils doivent courir six marathons et terminer sur six podiums… ce qui est un désavantage important.

L’automobile est une de vos autres passions. Êtes-vous un supporter du «tout-électrique»?

«L’électrique est un problème plus qu’une vraie solution. Ce sont les marchés et les législateurs qui poussent cette idée, qui sera catastrophique à terme. Le 100% électrique ne marche pas parce que les réseaux électriques existants ne sont pas capables de porter une capacité de charge adéquate.

À Londres, selon une étude confidentielle, mais connue dans les milieux, le pourcentage de véhicules électriques qui peuvent être chargés avant d’avoir une rupture du réseau électrique est de 3,7%. Qu’est-ce qui marchera? La solution – intermédiaire dans les 20 à 30 prochaines années est l’hybride, car la centrale thermique est dans la voiture, elle permet d’éviter les pertes et les bornes de chargement. Je parierais contre le ‘tout-électrique’, sans hésiter.

Le Luxembourg peut-il se positionner dans le domaine de l’économie green?

«Deux éléments sont essentiels pour que le Luxembourg réussisse dans les nouveaux domaines d’activité: attirer le capital humain et le former. C’est le rôle de l’université. Mais il est aussi impératif de faire évoluer les cursus souvent très figés et pas toujours créatifs dans l’enseignement secondaire, qui a tendance à envoyer les jeunes dans ce que j’appelle la ‘technocratie’. D’où l’importance d’attirer également des cerveaux de l’étranger, qui apportent d’autres visions et une expérience en dehors du système éducatif luxembourgeois.

Après-match: Le président Lopez rencontre Renato Sanchez recruté cet été pour 20 millions d’euros. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Après-match: Le président Lopez rencontre Renato Sanchez recruté cet été pour 20 millions d’euros. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Le Luxembourg, une start-up nation. Un doux rêve ou une réalité?

«Il l’a déjà été dans la finance, dans le satellitaire. Il faut désormais s’engager sur plusieurs courses pour en gagner une et devenir spécialiste dans un domaine. Oui, le Luxembourg peut être une start-up nation. La logique voudrait que cela se passe autour du monde de la finance, mais avec la créativité et l’évolution technologique, beaucoup de choses sont possibles. On pourrait dire que le Luxembourg devrait penser out of the box. Mais why have a box? Il ne faut même plus avoir de boîte au départ de la réflexion et, dans ce cas, il y aura des opportunités si nous sommes ouverts et que nous répondons efficacement à celles-ci.

Je serais déçu si le Luxembourg n’était pas leader dans le domaine de la finance, en sachant ce que cela va signifier dans les prochaines années… Dans cette course-là, le Luxembourg ne peut pas se permettre de ne pas gagner. Sinon, il remiserait une expertise acquise depuis plusieurs dizaines d’années dans un domaine où tout le monde se bat. L’effort devra donc être, plus que jamais, collectif.»