La deuxième assermentation de l’année a fait entrer 127 avocats au Barreau de Luxembourg. (Photo: Marie De Decker)

La deuxième assermentation de l’année a fait entrer 127 avocats au Barreau de Luxembourg. (Photo: Marie De Decker)

Quelques jours après l’assermentation de 127 nouveaux avocats, le bâtonnier de Luxembourg revient sur une période difficile pour la profession.

Décalée d’un mois du fait des mesures sanitaires interdisant tout rassemblement, l’assermentation des 127 nouveaux admis au Barreau a pu avoir lieu la semaine dernière. La cérémonie – la deuxième de l’année sur quatre habituellement – a dû être épurée et privée de ses festivités de clôture. «C’était un acte plutôt administratif et moins festif que d’ordinaire», reconnaît le bâtonnier, Me . Ainsi, le Tableau compte 168 avocats de plus depuis début 2020. 351 l’avaient rejoint en 2018 et 297 en 2019, portant à 3.139 le nombre d’avocats exerçant actuellement au Luxembourg.

La période n’est toutefois pas forcément propice pour les jeunes avocats enfin autorisés à porter la robe. «Le premier conseil que je leur donnerais serait d’aller à la piscine et à la salle de musculation, ce qui leur permettrait d’avoir les épaules larges», grince Me Kremer. Les «épaules larges», une référence à l’expression utilisée par le ministre du Travail et de l’Emploi, (LSAP), pour d’urgence durant la crise. L’épisode a été . «Le Premier ministre avait dit qu’il ne laisserait personne dehors sous la pluie. Nous, avocats, comme d’autres indépendants, avons dû ouvrir nos parapluies…»

Le moment de vérité sera l’appel de cotisation dû le 15 septembre.
M e  François Kremer

M e François KremerbâtonnierOrdre des avocats du Barreau de Luxembourg

Professionnellement parlant, les conseils du bâtonnier «restent les mêmes: soyez ouverts au monde, soyez respectueux du Luxembourg, une place ouverte et une terre d’accueil pour tout le monde, parlez toutes les langues et faites du bon travail. Il faut travailler, travailler, travailler et encore travailler. Et faire les choses dans l’ordre: consulter, concilier, puis plaider – et non l’inverse.» Ce sont les mêmes mots que le bâtonnier émérite dans l’Écho du Barreau paru mercredi.

La période n’est toutefois pas la plus propice pour entrer dans la profession. Même si, pour l’instant, aucun voyant rouge ne clignote sur le tableau de bord du bâtonnier, que ce soit en termes de liquidation d’études, de démissions ou de suspension de stages judiciaires. L’argent rentrait encore durant la crise sanitaire, entre les encaissements des factures des mois précédents et l’effort de l’État pour payer ses dettes au moment dû. Et les avocats bénéficient des reports octroyés pour le paiement des cotisations sociales, des impôts et de la TVA.

«J’ai le sentiment que nous ne sommes pas encore dans le creux de la vague. Mais le jour où les administrations réclameront leur dû, on verra les dégâts», souligne Me Kremer, citant une étude du Barreau de Bordeaux selon laquelle «30% des avocats vont mordre la poussière d’une façon ou d’une autre».

Nous ne refusons pas ce geste, mais nous ne disons pas merci parce que ce n’est toujours pas suffisant.
M e  François Kremer

M e François KremerbâtonnierOrdre des avocats du Barreau de Luxembourg

Aucun appel à l’aide n’est parvenu à la Maison de l’avocat, qui n’a aucune visibilité sur la situation des uns et des autres. «Le moment de vérité sera l’appel de cotisation dû le 15 septembre», estime Me Kremer. 1.600 euros pour un avocat à la Cour (liste I) depuis plus de 10 ans, 750 pour un avocat à peine assermenté. Et s’ils ne s’en acquittent pas, ils seront rappelés à l’ordre, puis convoqués avant radiation.

Maigre consolation pour les avocats: la revalorisation de 10% de leur tarif au titre de l’assistance judiciaire, annoncée dans le paquet d’aides Neistart Lëtzebuerg. Un geste de la ministre de la Justice, (Déi Gréng), elle-même ancienne avocate, décidé devant le refus du gouvernement de débloquer une aide supplémentaire pour les avocats et autres indépendants. De fait, le Barreau attendait depuis longtemps le dégel du taux de l’assistance judiciaire, bloqué depuis 2011 et surtout désindexé depuis 2013.

«Ces 10% sont au mieux un rattrapage de l’index», sans même l’atteindre d’ailleurs, note Me Kremer. «Ils ne sont en tout cas pas le fruit d’une négociation.» Un avoué gagnera ainsi 96 euros de l’heure au lieu de 87 euros, et un stagiaire 64 euros au lieu de 58 euros. «Un avocat est un travailleur intellectuel hautement qualifié, bac+5 et deux ans de stage. 96 euros de l’heure, est-ce un bon prix? Alors, nous ne refusons pas ce geste, mais nous ne disons pas merci parce que ce n’est toujours pas suffisant.»

Un coup d’accélérateur pour la paperless justice

Toutefois, le bâtonnier consent un effet positif de cette mesure de consolation: «L’argent atterrit chez ceux qui en ont peut-être le plus besoin et c’est une bonne chose.»

La période trouble du confinement aura en tout cas eu un effet positif en donnant un coup d’accélérateur au processus de paperless justice, entamé depuis près d’une décennie et lent à aboutir. «La crise a réussi à créer un embryon de greffe électronique», se réjouit Me Kremer, soulignant un succès dû à «la bonne volonté, l’ingéniosité et l’acharnement à faire avancer les choses» au sein de l’administration judiciaire.