Sur fond de tensions élevées entre la Chine et les États-Unis, Paperjam a contacté un gestionnaire d’actifs baissier bien connu sur la Chine : Axel Cabrol, codirecteur adjoint des investissements et responsable de la gestion obligataire chez Tobam. (Photo: Tobam)

Sur fond de tensions élevées entre la Chine et les États-Unis, Paperjam a contacté un gestionnaire d’actifs baissier bien connu sur la Chine : Axel Cabrol, codirecteur adjoint des investissements et responsable de la gestion obligataire chez Tobam. (Photo: Tobam)

Axel Cabrol, chez Tobam, oppose les États-Unis, et la stabilité de leurs institutions démocratiques, à des pays aux tendances autocratiques, dont la Chine, avec laquelle les États-Unis entretiennent des relations commerciales complexes et tendues. Il analyse l’apparente divergence entre les actions de la Chine et du Japon concernant leurs avoirs en titres du Trésor américain, les taux du Trésor constituant un indicateur clé de la performance des politiques économiques de Trump.

Le président et DPI de Tobam, Yves Choueifaty, a déclaré en septembre 2024 lors d’une que les États-Unis étaient très loin d’être un régime autocratique. Est-ce toujours le cas?

Axel Cabrol. – «La question de savoir si un pays est une autocratie ou une démocratie dépend de ses institutions démocratiques au sens large. Il faut également évaluer l’équilibre des pouvoirs et l’indépendance de la justice. Aujourd’hui, on peut observer un président qui gouverne par décrets, ce qui est préoccupant, mais rien n’a changé sur le plan institutionnel. Les institutions restent indépendantes, le système judiciaire continue de fonctionner normalement, et la liberté de la presse est maintenue.

La situation est très différente de celle d’un pays comme la Turquie, où les autorités empêchent des candidats de se présenter et où des journalistes sont emprisonnés. En Russie, des journalistes sont assassinés. Nous sommes loin d’une telle réalité aux États-Unis.

Y a-t-il des indications selon lesquelles les fournisseurs d’indices évaluant le risque politique sont sur le point de modifier leur score/notation pour les États-Unis?

«Pas pour le moment. D’ailleurs, elles ne communiquent pas de «perspectives» aux agences de notation (Fitch, S&P, Moody’s). Elles se contentent de fournir des commentaires qualitatifs. Toutefois, ces développements sont assez récents. Si un changement devait survenir, il interviendrait en fin d’année.

La Chine est le deuxième détenteur étranger de bons du Trésor américain. Avez-vous vu des signes de vente de la part de ses autorités, ou se retiennent-elles pour éviter le renforcement du yuan?

«Il n’y a pas de réponse claire. Les explications se trouvent peut-être dans les croisements de devises. Le CNY est l’une des rares grandes monnaies à ne pas s’être renforcée face au dollar. Les médias avancent que les Chinois seraient responsables de la baisse du prix des bons du Trésor américain (et donc de la hausse des rendements). Pourtant, l’évolution du taux USD/CNY n’est pas rationnelle. Le suivi statistique est très complexe. Une équipe nationale de fonds de pension est connue pour investir de manière coordonnée dans les actions chinoises. La même équipe intervient également sur les bons du Trésor américain. Pourtant, ces flux ne sont pas visibles dans les statistiques internationales, car ils ne proviennent pas directement du gouvernement central chinois.

Si la Chine décide de rééquilibrer ses réserves de change vers l’euro, par exemple, cela n’affectera que le taux EUR/USD, sans influencer directement l’USD/CNY. Elle pourrait ainsi vendre des bons du Trésor américain, puis échanger les dollars obtenus contre des euros [afin de maintenir relativement stable le taux USD/CNY]. Nous devons enquêter sur la base des symptômes que nous observons sur le marché, mais nous n’en savons rien avec certitude. C’est typique d’une autocratie: nous ne saurons que ce que les autorités chinoises acceptent de laisser paraître. L’opacité reste très forte.

Comment la propriété étrangère des bons du Trésor américain a-t-elle évolué?

«La part de la propriété étrangère a considérablement diminué au cours des dix dernières années, passant de 33% à 23% en 2023. Par ses opérations d’assouplissement quantitatif [dans les années 2010], la Fed a joué un rôle majeur. Le marché privé national a également contribué, en raison de la hausse des taux. Depuis le début de l’année, la balance commerciale de la Chine avec les États-Unis a plus que doublé pour atteindre un milliard de dollars, mais la Banque populaire de Chine n’a pas augmenté ses avoirs en titres du Trésor américain. Elle ne soutient donc pas l’argument selon lequel la Chine accumulerait des bons du Trésor pour renforcer son pouvoir de négociation face aux États-Unis dans les discussions sur le déficit commercial.

Les recommandations ou instructions du gouvernement central chinois d’acheter des actions chinoises ont-elles eu l’impact escompté?

«Il est clair que «l’équipe nationale», composée des banques, des fonds et des caisses de retraite, est intervenue sur le marché. Ce n’est qu’ensuite que des articles de presse rendent compte de ces interventions. Il n’y a pas d’objectifs de rendement clairement définis ; on ne va pas aussi loin. Toutefois, il existe des seuils à partir desquels les interventions deviennent plus fréquentes.

Les Chinois ont agi comme s’ils avaient un plan. Ils ont été parmi les plus prompts à réagir avec leurs propres tarifs douaniers.
Axel Cabrol

Axel Cabrolco-deputy CIO, head of fixed income Tobam

La performance du marché boursier est devenue un indicateur clé de la réussite de leurs politiques. Après avoir chuté de moitié au cours des trois dernières années, la valorisation du marché boursier est devenue un actif d’épargne essentiel pour une population vieillissante, compte tenu des difficultés du marché immobilier [au cours des quatre dernières années].

Quelle est la performance des gestionnaires d’actifs chinois?

«Il y a quelques années, nous avons découvert des statistiques étonnantes indiquant que 80% des gestionnaires d’actifs locaux investis dans des actions de Chine continentale affichaient des performances supérieures à celles de leur indice. Il peut s’agir d’un délit d’initié non sanctionné. Les institutions de marché ne sont pas conçues pour garantir une concurrence loyale entre les acteurs.

Qu’a fait le Japon de ses bons du Trésor américain?

«Les soupçons de vente se portent davantage sur le Japon que sur la Chine, le yen s’étant amélioré par rapport au dollar [depuis un mois, de 150 à 140 aujourd’hui].

Est-il judicieux de vendre des bons du Trésor américain pour le Japon, compte tenu de la hausse probable du yen par rapport au dollar et de l’impact négatif éventuel sur le secteur automobile, qui est déjà frappé par des droits de douane de 25%?

«Qui décide au Japon? Nous savons que, en Chine, les actions sont coordonnées. Au Japon, il existe un peu plus d’autonomie entre les différents acteurs du marché dans leurs décisions d’investissement, y compris en ce qui concerne les bons du Trésor américain. Les Chinois, eux, ont agi comme s’ils suivaient un plan. Ils ont été parmi les plus rapides à réagir en imposant leurs propres tarifs douaniers.

En ce qui concerne les tarifs douaniers entre les États-Unis et la Chine, qui sera le prochain à agir? Qui a actuellement le plus à perdre? Y a-t-il un risque de conflit direct entre les deux pays?

«D’abord, Trump a annoncé, le 2 avril, des droits de douane qui ont surpris tout le monde par leur ampleur. Moins de deux semaines plus tard, il a instauré un moratoire de 90 jours pour permettre des négociations. Entre-temps, de nombreux événements ont eu lieu sur les marchés, dans la presse américaine et sur la scène politique, jouant en sa défaveur en termes de rapport de force. Les États-Unis ne sont pas un one-man-show. Ces événements se sont produits parce que la Chine a réagi par des embargos sur les terres rares et des hausses de droits de douane. Par ailleurs, il n’est pas certain qu’il y ait un véritable débat interne en Chine sur la meilleure façon de réagir.

Deuxièmement, 90 jours, c’est à la fois très long et très court : très long, car les entreprises américaines vont publier leurs résultats du premier trimestre, ce qui nous apportera de nombreuses informations sur la conjoncture économique ; et très court, car si les conditions financières se détériorent, beaucoup de choses peuvent évoluer rapidement aux États-Unis. Dans “The Art of the Deal”, Trump explique qu’il faut toujours commencer une négociation en choquant la partie adverse avec des propositions absurdes, afin de l’amener à la table des négociations dans de meilleures conditions.

Telle pourrait être sa stratégie. Dans son dernier livre de campagne présidentielle, Trump distinguait la «mauvaise» de la ‘bonne’ Chine: la ‘bonne’ Chine étant un partenaire économique avec lequel il est possible de conclure des accords, comme avec d’autres pays occidentaux; la ‘mauvaise’ Chine étant celle qui utilise l’économie comme une arme stratégique. Le plan de Trump vise à protéger les États-Unis contre cette menace. Avec les avancées de l’intelligence artificielle portées par DeepSeek, la Chine a prouvé qu’elle est une économie avancée. Les États-Unis devraient en tenir compte et ajuster leur stratégie de négociation en conséquence.»

Cet article a été rédigé initialement en anglais et traduit et édité en français.