Viviane et Marianne Welter le reconnaissent: «Le travail, c’est la famille.» (Illustration: Maison Moderne)

Viviane et Marianne Welter le reconnaissent: «Le travail, c’est la famille.» (Illustration: Maison Moderne)

Viviane et Marianne Welter conduisent en duo Arthur Welter Transports, créé il y a 60 ans par leur papa. L’entreprise qui emploie 700 personnes reflète les opportunités économiques et les enjeux de développement durable d’un pays qu’elle représente à travers toute l’Europe.

Arthur Welter Transports fête ses 60 ans. Quel regard portez-vous sur le développement de l’entreprise?

Viviane Welter (V. W.): «Nous sommes évidemment très fières de son évolution. Notre papa a commencé en 1962 avec le transport de bestiaux, et, avec notre maman, il a développé l’entreprise vers le transport routier. Notre maman a toujours travaillé au sein de la société, elle assurait la facturation, la comptabilité, et d’autres travaux administratifs. Notre papa conduisait lui-même, et ensuite il était au planning. C’était une grande famille, et quand on était petites, il y avait toujours des chauffeurs à table avec nous. C’était tout à fait normal.

Un environnement où travail et famille ne faisaient qu’un…

V. W.: «Oui, le travail, c’était la famille. Tout tournait toujours autour de la société.

Marianne Welter (M. W.): «Et c’est quelque chose qui est resté. Même aujourd’hui, quand nous sommes en famille, il y a toujours un moment où nous parlons de la société. Même avec nos enfants, c’est un sujet qui revient automatiquement. On ne se dit jamais «aujourd’hui, on n’en parle pas», c’est naturel.

Quel rôle occupent vos parents aujourd’hui?

V. W.: «Ils se sont retirés petit à petit, et ils sont aujourd’hui encore actionnaires. Ils sont souvent à l’étranger, mais quand ils sont au Luxembourg, notre papa vient à la société. Il n’est plus dans l’opérationnel de tous les jours comme nous, mais il est au courant de ce qui se passe, surtout lors de grands changements planifiés. Quand on a besoin de lui, il est là. C’est très bien et important d’avoir son point de vue. 

M. W.: «Oui, parce qu’il a l’expérience. Nous avons déjà vécu des moments difficiles durant lesquels il nous a aidées à relativiser et à prendre du recul.

Comment êtes-vous arrivées dans l’entreprise? Après quel parcours? 

M. W.: «J’ai fait un apprentissage de 1986 à 1989 en Allemagne dans le transport. Ensuite, j’ai rejoint l’entreprise au service affrètement, puis je suis passée à la logistique. Département dont je suis responsable aujourd’hui.

V. W.: «J’ai commencé des études de droit, que j’ai abandonnées pour reprendre des études en marketing. J’ai tout d’abord travaillé dans un tout autre domaine que le transport durant quelques années avant d’intégrer notre société en 1991. 

Qu’en disaient vos parents?

V. W.: «Ils voulaient que nous fassions des études et ne nous ont jamais mis la pression. Mon père nous avait dit: «Je sais que, si vous venez toutes les deux, on va développer la société. Si seulement l’une d’entre vous vient, ou aucune, on fera autrement. 

M. W.: «Nous n’avons jamais été forcées. Aujourd’hui, nous sommes contentes de notre décision et heureuses dans notre travail.

L’interview de Viviane et Marianne Welter introduit la liste des «50 Femmes CEO», dossier spécial au cœur de l’édition spéciale de mars 2022 du magazine Paperjam.  (Illustration: Maison Moderne)

L’interview de Viviane et Marianne Welter introduit la liste des «50 Femmes CEO», dossier spécial au cœur de l’édition spéciale de mars 2022 du magazine Paperjam.  (Illustration: Maison Moderne)

Partager une direction générale demande une forte lisibilité vis-à-vis du reste de l’entreprise. Comment vous partagez-vous cette mission? 

V. W.: «Au départ, il n’y avait pas vraiment de répartition, mais lorsque la structure a commencé à grandir, il a fallu plus de lisibilité. Je suis plutôt dans le transport international.

M. W.: «Je m’occupe de la logistique. Viviane est dans un bâtiment, et moi, dans l’autre, ce qui ne nous empêche pas de prendre les décisions stratégiques à deux, en accord avec notre management.

Quels sont vos principaux traits de caractère comme chefs d’entreprise?

M. W.: «Je suis quelquefois plus dans la retenue, je me pose plus de questions… mais je fonce quand il le faut!

V. W.: «Je fonctionne plutôt au feeling, je décide et je m’organise après! Si ça ne va pas, on fait marche arrière et on n’insiste pas.

D’autres personnes de la famille travaillent-elles dans l’entreprise?

M. W.: «Non, notre père était enfant unique. Nous sommes les seuls membres de la famille, mais nous sommes bien entourées par notre équipe de direction.

V. W.: Lorsque de nouvelles personnes arrivent et donnent un avis extérieur, cela fait du bien. C’était notamment le cas avec l’arrivée d’un nouveau directeur des ressources humaines et d’un nouveau directeur financier, qui ne venaient pas du tout de notre secteur. Depuis trois ans notre équipe se renouvelle peu à peu.

Quels critères retenez-vous pour le recrutement de nouveaux collaborateurs?

M. W.: «C’est l’investissement dans la société, l’ouverture d’esprit et l’état d’esprit «famille» qui comptent le plus.

V. W.: «Il y a une grande diversité dans nos métiers, il faut aussi savoir s’y adapter: les collaborateurs doivent pouvoir s’adresser aussi bien au comptable qu’au mécanicien ou aux chauffeurs, et comprendre que leurs besoins sont différents.

Est-ce compliqué de recruter des personnes qualifiées au Luxembourg?

M. W.: «Au niveau national, c’est plus facile, car les chauffeurs rentrent chaque soir chez eux et ont des horaires plus réguliers. À l’international, c’est plus compliqué, surtout chez les jeunes qui souhaitent passer davantage de temps avec leur famille.

V. W.: «On sent qu’ils veulent plus d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Mais le métier change. On a toujours eu une mauvaise image: le camion gêne, pollue… En attendant, ce n’est pas parce qu’on commande par internet qu’on est livré par drone. Il y aura toujours des soucis de recrutement; néanmoins, le transport par route reste indispensable.

Comment les attirez-vous?

M. W.: «Nous avons mis en place un système de primes, nous disposons d’un parc roulant neuf, et nous offrons un salaire attractif. 

L’actionnariat de l’entreprise est resté familial. Était-ce une volonté de votre père?

M. W.: «Il n’a jamais été question d’autre chose.

V. W.: «Quand on reprend, on reprend à 100%. C’est un avantage de tout gérer sans avoir à demander l’autorisation à qui que ce soit et de garder notre indépendance à tous les niveaux. 

On vous a déjà fait des propositions par le passé?

M. W.: «Oui, plusieurs, mais ce n’était pas du tout recevable ni à l’ordre du jour.

Votre activité nécessite de disposer d’importants terrains, qui se font rares au Luxembourg. Comment gérez-vous la problématique du foncier? 

M. W.: «Ici, à Leudelange, 5 hectares nous appartiennent. En 1996, nous avons cons­truit sur un terrain agricole que notre père avait acheté. Il avait parié sur l’autoroute, et il a eu raison.

V. W.: «À Dudelange, il s’agit d’un bail emphytéotique sur un terrain de 5 hectares, sur lequel nous avons construit un dépôt de 25.000 m2. Il est impossible d’acquérir d’aussi grands terrains aujourd’hui.

Justement, vous avez choisi de vous installer l’an dernier près de l’Eurohub de Dudelange. Pourquoi avoir choisi Dudelange, plutôt que Bettembourg?

M. W.: «À cause du manque de terrain. Le site de Dudelange est vraiment bien fait: toutes les sociétés qui y sont installées font la même chose et ont le même besoin. Nous avons cherché pendant six ans, nous avons contacté le ministère de l’Économie avant d’avoir une réponse. Le délai risquait de nous faire perdre des clients, et Dudelange a été le meilleur choix.

Quel investissement cela a-t-il représenté?

V. W.: «26 millions d’euros. Financés par capitaux propres et prêts bancaires. Nous avons tout de suite rempli le site, donc c’était un bon pari. Ici, à Leudelange, cela a été à l’époque un investissement de 12 millions d’euros.

Auriez-vous besoin d’un autre hubailleurs au Luxembourg?

V. W.: «Oui, du côté de l’aéroport, où il n’y a rien. Nous sommes sur le site de Lux-Airport, mais il n’y a pas de place pour installer une station-service, une station de lavage, voire un parking pour les camions, alors qu’il y a des besoins. 

Ce sont des choses que vous avez évoquées avec les instances publiques, en tant que vice-présidente du Cluster for Logistics?

V. W.: «Oui, au tout début. On avait même essayé de faire un parking sur un terrain appartenant à notre père près de l’aéroport, mais nous avons essuyé un refus. Le problème des camions, lorsqu’ils ne roulent pas, c’est qu’ils prennent de la place sur un parking. Ce qui donne une situation illogique, car ils font des kilomètres à vide pour revenir ici pour l’entretien et le lavage, alors qu’on nous demande d’agir pour l’environnement. Non, nous ne sommes pas aidées du tout…

M. W.: «Même si ce n’est pas loin, lorsque des camions font le trajet plusieurs fois par mois, ce n’est pas anodin non plus.

De combien de camions parle-t-on sur le site de l’aéroport?

V. W.: «160. C’est la plus grosse partie en international qui est là-bas. Ce qu’on appelle chez nous «road feeder service», c’est-à-dire le transport du fret aérien par route entre deux aéroports, ou directement du ou vers un client direct. 

Considérez-vous que la création d’un hub logistique transfrontalier soit une idée à creuser?

M. W.: «On en parle depuis des années, mais il faudrait un dénominateur commun pour savoir quelle entité porte le projet. Il n’existe pas non plus d’équivalent au Cluster for Logistics luxembourgeois au niveau de la Grande Région.

V. W.: L’autre souci est que notre entreprise fait du transport, de la logistique… alors que d’autres ne font qu’une partie de nos activités. Il y a un problème de concurrence.

Votre activité logistique se développe de plus en plus. L’ouverture de votre site à Dudelange en 2020 y est pour beaucoup?

M. W.: «Oui, nous avons en tout maintenant 45.000 m2 d’entrepôt, et cela nous conforte dans l’idée de développer une activité autre que la route.

V. W.: «Notre père accordait déjà une grande importance à la diversification. Il y a toujours une activité qui va tourner, et c’est important de pouvoir compenser avec une autre.

Nous sommes dépendants des frontaliers, car nous avons moins de cinq chauffeurs luxembourgeois.
Marianne Welter

Marianne WelterCEOArthur Welter

L’entreprise est présente à l’international: Benelux, Allemagne, France et Slovaquie. Quel est le rôle de chaque filiale?

V. W.: «En France, nous avons racheté une société car nous voulions entrer dans le secteur du transport alimentaire frais. Par l’acquisition d’une petite structure, nous avons pu entrer sur ce marché. Par la suite, nous avons acheté un terrain à Ennery (Moselle), et nous y avons implanté un dépôt de 2.500 m2 ainsi qu’une station de lavage pour camions.

M. W.: «Là aussi, cela a été rempli tout de suite. On fait de l’entreposage pour des clients aux alentours et du transport de fret. L’idée d’acheter le terrain voisin pour augmenter la capacité était tentante, mais il est soumis à obligation de fouilles archéologiques. Cela pourrait nous coûter très cher, pour finalement ne rien pouvoir y construire. 

Et ailleurs?

V. W.: «En Allemagne, nous sommes présents à l’aéroport de Hahn avec un bureau. Aux Pays-Bas, deux personnes sont présentes à l’aéroport de Schiphol-Rijk. Elles gèrent un grand nombre de camions qui passent par le pays quotidiennement. En Belgique, une personne gère les activités douanières dans notre bureau à Aubange. En Slovaquie, nous avons une flotte d’environ 60 véhicules, 80 chauffeurs, ainsi que 5 employés de bureau. Nous y avons construit nos propres bureaux. 

Ces chauffeurs vous coûtent-ils moins cher?

V. W.: «Dans le temps, c’était peut-être le cas. Aujourd’hui, non, car nous voulons des gens qualifiés, donc nous les payons plus. Parfois, ils finissent par s’installer au Luxembourg, et on les reprend sous contrat luxembourgeois.

M. W.: «Nous avons aménagé un appartement, ici, à Leudelange, où ils peuvent bénéficier de sanitaires, d’une cuisine équipée, d’un séjour et d’un dortoir.

Les chauffeurs routiers ne doivent pas dépasser le quota de 25% de leur temps de travail sur leur lieu de résidence sans risquer la désaffiliation de la Sécurité sociale luxembourgeoise. Comment composer avec cette règle?

M. W.: «Comme d’autres entreprises, nous sommes dépendants des frontaliers, car nous avons moins de cinq chauffeurs luxembourgeois. Nous avons un algorithme en interne qui nous permet de gérer les destinations et le temps passé à l’étranger par géolocalisation, ayant valeur de preuve à l’administration. La logique voudrait que les chauffeurs roulent principalement dans leur pays de nationalité. Or, pour respecter cette règle des 25%, les chauffeurs français, par exemple, doivent rouler une semaine en France, et, le reste du temps, nous devons les faire travailler ailleurs que dans leur pays de résidence, en Allemagne, en Belgique, etc. 

C’est très contrariant, car il n’y a, pour l’instant, pas de dispositions spécifiques pour le transport, et il faut tout calculer pour ne pas dépasser les limites autorisées. C’est également très contrariant pour les clients, car ceux-ci étaient habitués à voir régulièrement les mêmes chauffeurs, auxquels ils pouvaient parler dans leur langue. Nous connaissons depuis longtemps, et comme beaucoup d’autres métiers, des difficultés de recrutement; cette nouvelle règle ne va certainement pas faciliter les choses.

Très peu de vos collaborateurs peuvent donc être en télétravail…

V. W.: «Oui, très peu. Nos salariés à la comptabilité ou aux ressources humaines peuvent être en télétravail, mais le reste du personnel, qu’il soit au planning, dans les camions ou au sein de l’atelier, ne le peut pas.

Comment s’est passé le premier confinement?

M. W.: «C’était quand même très compliqué, nous avions décidé le vendredi de ce que nous allions faire le lundi. Les camions ont continué à circuler, et le ministère de l’Économie a été le premier à nous contacter pour s’assurer que nous continuions à travailler.

V. W.: «Nous avons eu l’honneur aussi d’avoir un appel téléphonique du Grand-Duc.

M. W.: «En effet, je croyais à une blague au début. Il nous a félicités d’avoir continué à travailler et à livrer les magasins. Notre secteur était considéré comme system relevant pour le fonctionnement du pays.

Avez-vous bénéficié d’aides de l’État?

V. W.: «Oui, dans le cadre du chômage partiel, mais nous en avons touché trop. Nous avons rapidement mis l’argent de côté, sachant qu’à un moment donné, il faudrait le rembourser. Le ministère avait calculé en fonction du nombre total de collaborateurs, mais, au final, nous avons eu au maximum 50 à 60 personnes en chômage partiel. Durant la période du confinement, nous avons mis en place des horaires aménagés, de sorte que chacun travaille environ 6 heures par jour pour éviter d’avoir trop de personnes sur le site. Malgré tout, 100% des salaires ont été payés.

Il n’y a pas eu de crainte de la part des salariés de continuer à travailler au début de la pandémie?

V. W.: «Au début, c’était un peu compliqué et stressant, parce que le Covid-19 était un virus que l’on ne connaissait pas. Les chauffeurs nous demandaient de désinfecter les camions parce qu’ils craignaient d’être infectés. Mais au final, tout le monde a joué le jeu, et c’est là que l’on ressent l’esprit de famille dans notre entreprise.

C’était une période intense pour vous aussi?

V. W.: «Oui, nous faisions double poste avec Marianne, nous avons passé pas mal d’heures dans nos bureaux. Nous avons jugé devoir être là pour nos collaborateurs.

M. W.: «Notre activité a augmenté durant cette période. Mais il fallait être attentives à ne pas prendre de mauvaises décisions.

V. W.: «Ce n’est pas tant le fait de faire un meilleur chiffre d’affaires qui importe, mais c’est le résultat qui compte. Et nous avions une obligation par rapport à nos clients, qui nous ont demandé des services qu’ils ne nous demandaient pas auparavant.

Quels exemples avez-vous en tête?

V. W.: «Par exemple, des transports que d’autres transporteurs ne pouvaient plus assurer. 

M. W.: «Pendant le confinement, nous avons également détaché sept chauffeurs et magasiniers à l’hôpital du Kirchberg parce qu’ils avaient des personnes absentes et avaient besoin de renfort au niveau de la logistique. C’était un secteur à risque avec des personnes malades, mais nos salariés, de manière spontanée, ont été d’accord, alors que ce n’était pas du tout leur métier de base. 

Quel est votre chiffre d’affaires en 2021?

V. W.: «Il est d’environ 100 millions d’euros, nous avons fait un grand bond avec la logistique, qui a doublé avec l’ouverture de Dudelange.

La pénurie de matériaux a-t-elle des conséquences sur votre entreprise?

V. W.: «Au niveau de notre activité, oui, mais nous l’avons compensée en déplaçant une partie de notre flotte vers l’aéroport, où l’activité était en forte hausse. Par ailleurs, le problème que nous rencontrons au sein même de l’entreprise, c’est la question du remplacement de notre matériel. Des remorques sont en commande depuis huit mois, et elles n’ont toujours pas été livrées. Normalement, cela devrait aller mieux à partir de 2023, donc il faut tenir jusqu’à la fin de l’année.

Comment les fluctuations des prix de l’énergie impactent-elles votre business?

V. W.: «L’AdBlue a notamment doublé de prix parce qu’il n’y en a plus assez sur le marché. C’est un vrai problème, parce que, sans AdBlue, le camion ne roule plus. Nous avons une station-­service à Leudelange, ravitaillée par notre propre camion-citerne au départ de la Belgique.

Quel est le budget des dépenses en carburant au sein de l’entreprise?

V. W.: «En janvier, nous avons déboursé 1,438 million d’euros pour le diesel. Avec la flambée des prix, nous sommes à 47% d’augmentation par rapport à 2021. Les nouveaux véhicules consomment moins, mais cela ne va jamais compenser une telle hausse. Depuis le 1er janvier, le diesel a augmenté de près de 6 centimes. Cela peut sembler peu, mais quand on pense que l’on consomme à peu près un million de litres par mois, c’est énorme.

Le gouvernement, de son côté, a annoncé qu’avec la taxe CO2, le prix du carbone allait atteindre les 30 euros la tonne en 2023. Comment allez-vous composer avec cette hausse?

M. W.: «Nous avons l’impression que c’est toujours sur le secteur du transport que cela retombe. Nous avons des surcharges de gazole avec certains gros clients où l’on peut répercuter une partie de cette taxe, mais ce n’est pas forcément instantané, donc il faut quand même que l’on avance les frais.

Vous avez aussi présenté cet été votre premier camion alimenté en carburant produit à partir de matières premières végétales, 100% renouvelables…

V. W.: «Oui, en collaboration avec Total et notre client Bolloré, nous essayons de promouvoir cela. Le problème, c’est que ce carburant coûte le double du diesel normal, et heureusement, notre client joue le jeu et nous aide à financer une partie du coût supplémentaire. De la part du ministère des Finances, aucune aide n’est prévue actuellement. 

Le secteur du transport est pourtant pointé du doigt comme étant le plus grand poste d’émissions de CO2 du pays, avec 61,1%. L’objectif est de réduire de 57% les émissions du transport à l’horizon 2030. Comment y parvenir?

V. W.: «Si nous pouvions utiliser uniquement ce biodiesel, techniquement, il n’y aurait aucun souci, mais nous ne pouvons pas le financer seuls. Si nous prenons l’exemple du mois de janvier dernier, cela nous aurait coûté 2,87 millions d’euros pour alimenter l’ensemble de notre flotte en biocarburant. Le gazole représente environ 25% de nos coûts globaux, donc s’ils doublent, vous pouvez vous imaginer la perte de rentabilité que nous devrions assumer.

Vous ne vous sentez pas soutenues par le gouvernement?

V. W.: «Nous avons déjà participé à des réunions avec différents ministères, mais derrière les idées, il n’y a pas vraiment de stratégie. Pour eux, 2030, c’est encore loin, mais pour nous, c’est demain. Notre flotte est remplacée tous les quatre ans, donc nous serons encore dans les clous pour une fois, mais, dans quatre ans, il faudra réfléchir à ce que l’on va acheter.

Quelles autres pistes envisagez-vous pour rendre votre flotte moins polluante?

M. W.: «Nous sommes toujours dépendants des constructeurs. En ce moment, ils développent des alternatives, mais ce ne sera pas encore disponible demain. L’électrique semble très difficile à envisager, à cause de l’autonomie des véhicules, mais surtout avec les problématiques de recharge. Un temps plébiscité, l’hydrogène est finalement boudé, le gaz a aussi doublé de prix… Donc il n’y a pas une seule bonne solution. Nous analysons les consommations de nos chauffeurs aussi, et nous proposons des formations si besoin. Nous évitons au maximum les kilomètres à vide.

V. W.: Nous pouvons agir à notre échelle, mais nous ne pouvons pas inventer le camion du futur. Nous avons un groupe de travail qui suit les dernières innovations dans notre secteur, pour voir ce que l’on peut reprendre chez nous, et ce que l’on peut financer. On essaie d’être le plus neutre possible, de la production à l’émission.

 L’interview de Marianne et Viviane Welter est à retrouver au format papier dans le magazine Paperjam du mois de mars 2022.  (Illustration: Maison Moderne)

 L’interview de Marianne et Viviane Welter est à retrouver au format papier dans le magazine Paperjam du mois de mars 2022.  (Illustration: Maison Moderne)

Vous êtes inquiètes pour l’avenir?

M. W.: «On se demande jusqu’à quel point nous allons devoir supporter ces mesures sans aide.

V. W.: «Au niveau de la flotte, nous avons déjà décidé de ne plus l’augmenter, nous aurons désormais recours à la sous-traitance. Cela ne changera rien aux émissions de CO2, mais pour nous, ce sera plus rentable que d’investir dans une flotte qui ne pourra peut-être plus rouler dans quelques années.

Vous vous intéressez à d’autres modes de transport comme les drones ou le maritime?

M. W.: «Pas pour l’instant. Les CFL aimeraient beaucoup que l’on mette nos camions sur leurs rails, surtout que nous sommes au bon endroit à Dudelange. Mais malheureusement, cela ne satisfait pas nos clients en termes de délais, qui sont trop longs. C’est sûr que l’on s’y intéresse, et s’il devait y avoir une alternative, ce serait le train.

Craignez-vous une ubérisation de votre métier?

M. W.: «Je pense que cela se développera, car, aujourd’hui, les technologies sont là.

V. W.: «Mais derrière cela, il y aura toujours le service. Notre devise est de rester sur des secteurs de niche, comme le transport du fret aérien par la route, où il faut des formations spéciales, du matériel de transport adapté et des certifications spécifiques, des choses que tout le monde ne peut pas faire. 

Vous pensez déjà à la transmission?

V. W.: «J’ai deux filles, de 24 et 20 ans. L’aînée suit des études en communication, elle a fait quelques créations design pour l’entreprise; la plus jeune fait des études d’économie-­gestion. Elles s’intéressent et discutent de la société avec leur cousin Nicolas, le fils de Marianne, qui a 17 ans. Nous allons les laisser faire, et on verra bien. Évidemment, ce serait une bonne chose qu’ils veuillent reprendre la société, mais s’ils en décident autrement, nous nous adapterons. 

M. W.: «Il faut aimer ce que l’on fait, cela ne sert à rien de forcer les choses. Dans tous les cas, ils devront faire leur expérience ailleurs, et après s’investir dans la société, ou non. 

Un conseil de votre père dont vous vous souvenez ou qui vous a marquées?

V. W.: «Il y a quelque chose que j’ai toujours retenu, et qu’il nous dit encore aujourd’hui: “D’abord, il faut avoir le client, et après on gère.” Ça, c’est quelque chose qui m’a toujours marquée.

M. W.: «Et aussi ce goût du risque, de ne pas toujours être sur la retenue, de quelquefois foncer, et on verra bien. Des fois, ça va bien, et des fois, ça va moins bien, mais on peut toujours faire marche arrière.

Une entreprise qui vous inspire?

V. W.: «Évidemment, nous suivons nos compétiteurs, mais nous fonctionnons au feeling, et nous avons notre manière de travailler.

C’est peut-être vous qui inspirez les autres?

V. W.: «Peut-être, on nous a déjà fait remarquer à maintes reprises que notre style de management est particulier, mais il est adapté à notre entreprise et fonctionne très bien.»

Cet article a été rédigé pour  parue le 23 février 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

 

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