Quaero, ça vous parle? Theseus, peut-être davantage? Ni l’un ni l’autre? Jamais entendu parler du «Google européen»? Normal. Lancé le 26 octobre 2004, fierté fanfaronne d’un Jacques Chirac président de la République française, cette démonstration «européenne» de testostérone n’a pas survécu à son deuxième anniversaire, quand Deutsche Telekom et l’Allemagne ont décidé de faire des choix technologiques différents de ceux de la France. Des centaines de millions d’euros ont été engloutis: 300 millions d’euros français et allemands, plus 120 millions d’euros européens pour l’allemand Theseus et 99 millions pour le français Quaero, mais ce n’est pas tout à fait le problème. Non, le problème est que, vingt ans après, l’Europe est toujours incapable de faire émerger des champions de la tech, alors que tout n’est que technologie, surtout parce que le marché européen est toujours aussi fragmenté.
Que l’on ricane à propos de l’intelligence artificielle ou que l’on se moque bêtement des Chinois qui sont déjà les plus gros producteurs de panneaux solaires au monde, et de très loin, est en soi déjà le signe que l’on n’a rien appris, rien compris de l’évolution technologique. Aucune entreprise européenne technologique n’a une capitalisation boursière de 100 milliards de dollars, alors que les Américains en ont six à plus de 1.000 milliards. So what? Des investisseurs professionnels ne mettraient pas un kopek en Europe et, situation qui désole par exemple le recteur de l’Université, , les jeunes Européens continuent de voir la Silicon Valley comme l’eldorado. Les gros projets finissent par déménager aux États-Unis pour croître ou par péricliter en restant sur le continent. 30% des licornes européennes ont déjà mis le cap sur l’Amérique.
Pire, souligne le CEO de Stripe, Patrick Collison: avant de parler de marché unique, l’Europe, championne du monde de la régulation, doit se rendre compte qu’elle a aujourd’hui 100 réglementations sur la technologie et 270 régulateurs pour le monde numérique; l’Europe continue d’encourager le gold-plating, ce moment où un entrepreneur européen doit régler deux problèmes – qui a le meilleur potentiel pour mon produit ou service et où la législation est-elle la plus favorable, sans même parler des nombreux systèmes de subvention. Le coût de la compliance avec les réglementations est donc parfaitement supportable par les entreprises américaines ou chinoises et leurs armées d’avocats, tandis qu’un entrepreneur innovant européen doit prier pour se lancer sur un deuxième, puis un troisième marché européen, en découvrir les subtilités et espérer ne pas se faire mettre en touche par un copycat…
Et il n’est pas sûr que la proposition de M. Draghi – la création d’un statut unique européen, d’une «Innovative European Company», qui, selon ses calculs, pourrait profiter à 180.000 entreprises innovantes (start-up ou entreprises innovantes) en Europe – mette fin à cette fragmentation. Il faudrait un annuaire téléphonique ou un catalogue des 3 Suisses – pour ceux qui s’en souviennent – pour consolider toutes les différences à l’intérieur même de l’Europe.
Non, il faut un projet positif pour l’Europe. Un projet dans lequel les hommes politiques ne disent pas une chose chez eux et une autre au niveau européen. Et un leader pour le porter, qui puisse gentiment remettre les Allemands et les Français à leur place, ce qui sera moins difficile aujourd’hui qu’il y a quelques années…
Par exemple, du , on peut tirer un enseignement: si l’Europe marchait comme un seul homme (ou une seule femme), elle aurait les moyens d’imposer enfin sa patte dans le domaine des technologies vertes, ce qui est loin d’être anodin, puisqu’il nous faut absolument revoir notre modèle durable. Évidemment qu’il lui faudrait produire des talents dédiés, beaucoup plus que cela. Évidemment qu’il faudrait enfin que les fonds attribués dans le cadre de programmes européens soient évalués selon leur efficacité. Évidemment qu’il y a 1.000 choses à faire. Évidemment que Rome ne s’est pas faite en un jour. Mais peut-on y aller vraiment au lieu d’empiler les rapports?