Le 07 octobre 2020, au sein de l’auditorium d’Arendt House, avait lieu l’enregistrement du second épisode du podcast Arendt We Live. Un événement retransmis en direct sur Paperjam.lu, qui réunissait 3 experts autour d’une question: «Sortir de la crise: des solutions luxembourgeoises?». Aujourd’hui, retour sur l’intervention de Clara Mara-Marhuenda, Partner chez Arendt & Medernach.

S’il existe un mindset typiquement luxembourgeois, celui de l’audace, du goût d’innover et de créer en ce qui concerne l’entrepreneuriat, existe-t-il un état d’esprit identique dans le monde juridique? Si c’est le cas, la sphère légale luxembourgeoise présente-t-elle également des solutions de sortie de crise? C’est la question qui fut posée à l’avocate Clara Mara-Marhuenda, invitée de ce podcast, en préambule de son intervention. «Absolument, un des meilleurs exemples est la loi de juillet 2017 sur l’exploration et l’exploitation des ressources dans l’espace.» Cette loi fut adoptée à l’initiative du Ministre de l’économie de l’époque, Étienne Schneider, qui souhaitait promouvoir les entreprises luxembourgeoises dans le domaine spatial. Le Grand-Duché fut en effet un pionnier en la matière, le premier pays européen à créer ce cadre légal, après les USA. Cette loi devait permettre d’attirer des entreprises internationales (américaines ou japonaises par exemple) qui ont, par la suite, établi leur siège européen au Luxembourg.

«Cette loi incarne bien le pragmatisme luxembourgeois: elle ne fait que deux pages recto verso», poursuit Clara, amusée, avant de reprendre: «Son article premier résume à lui seul le contenu de cette loi, à savoir: les ressources de l’espace sont susceptibles d’appropriation.» L’essentiel est posé, les dix-sept articles suivants ne font que confirmer ce postulat de départ. Il est évident que l’innovation qui transpire de cette loi ne fait aucun doute non plus. En débutant par l’exploitation minière traditionnelle, pour se tourner ensuite vers les étoiles, le Luxembourg a su se réinventer et surmonter les crises. Une situation que Clara Mara-Marhuenda résume magnifiquement: «Nous avons su regarder ce qu’il y avait sous nos pieds avant de jeter un œil vers le ciel.»

S’il paraît évident que l’innovation émane de cette loi sur le space mining, pourrait-on cependant imaginer que, suite à la crise, une limitation des faillites des entreprises soit rendue possible par une modernisation des instruments légaux? «Il est vrai que la crise a jeté une lumière très crue sur le besoin immédiat des sociétés de disposer de mesures de restructuration, pour leur permettre de continuer leur activité», répond notre interlocutrice. Des mesures existent déjà, mais elles n’ont pas un effet assez rapide sur l’économie réelle. L’échec fait partie de la vie entrepreneuriale et une deuxième chance devrait être accordée aux dirigeants de bonne foi qui sont mis en difficulté uniquement à cause de cet état de crise et non pour des motifs malhonnêtes ou frauduleux. «Nous avons bien, depuis plusieurs années, une réforme de la faillite qui occupe l’actualité législative», indique Clara Mara-Marhuenda, avant de préciser: «Un projet de loi relatif à la préservation des entreprises et portant modernisation du droit de la faillite qui devrait prochainement aboutir.» Cette mesure devrait simplifier la mise en place de ces restructurations dont les entreprises ont besoin. Cette réforme s’articule autour de trois grands axes principaux: la prévention des faillites, la mise en place de mesures de restructuration avec la désignation d’un praticien pour aider les entreprises à élaborer leur plan de relance et enfin l’octroi d’une seconde chance aux entrepreneurs ayant fait faillite de bonne foi. Durant la crise financière de 2008, les tribunaux ont été confrontés à des liquidations de fonds d’investissement ou d’établissements de crédit et se sont reportés à la législation en vigueur. Par la suite, le législateur est intervenu pour compléter cette législation dans des domaines sectoriels spécifiques. «Aujourd’hui, l’heure a sonné de compléter la législation de droit commun du régime des faillites.»

Quid du télétravail? C’est aujourd’hui le modèle qu’ont adopté une grande partie des entreprises luxembourgeoises pour faire face à la crise sanitaire. Mais est-ce un moyen d’attirer et de retenir les talents? «Le télétravail autorise une certaine flexibilité pour les salariés et permet évidemment d’augmenter l’attractivité des employeurs», déclare notre oratrice. «Une meilleure conciliation de la vie personnelle et privée est également un argument de poids, pour les frontaliers notamment.»

Mais le télétravail soulève de nombreuses questions juridiques, lorsqu’il est pratiqué de manière habituelle et régulière par le salarié à son domicile et non de façon occasionnelle.

«On a vu, durant la crise, le gouvernement luxembourgeois réussir à négocier des accords et des mesures exceptionnelles avec ses pays frontaliers, concernant le nombre de jours de télétravail autorisé», indique l’avocate dans son intervention, mais reprend-elle: «La négociation pour des conventions fiscales durables est compliquée puisque les intérêts financiers des États voisins vont se télescoper avec ceux du Grand-Duché.» C’est une histoire d’équilibre à trouver, ce ne sera pas simple, mais pas impossible à en croire Clara Mara-Marhuenda.

Retrouvez le podcast Arendt We Live en intégralité sur Paperjam.lu

4 questions express à Clara Mara-Marhuenda

• La crise peut-elle être considérée comme une opportunité économique?

Vu les conséquences sanitaires, il est toujours compliqué de voir cette crise comme une opportunité, mais c’est en effet la possibilité de redéfinir le cadre économique, mais aussi global dans lequel on souhaite vivre, c’est évident.

Une des forces proprement luxembourgeoises qui lui permettra de sortir de la crise?

Elles sont nombreuses, mais je dirais que ce qui me vient en premier à l’esprit, c’est son pragmatisme, ainsi que la multiplicité des ressources disponibles qui font partie des forces du pays. Sa multiculturalité en est une autre.

• La loi, telle qu’elle existe actuellement, est-elle du côté du Luxembourg?

La loi sur les faillites, nous en avons parlé, doit être modernisée prochainement, mais les tribunaux ont montré par le passé qu’ils pouvaient apporter des solutions pratiques sur base de la législation existante. On peut donc être confiant.

Un accord fiscal entre les pays frontaliers suffira-t-il à voir le télétravail se développer?

Je ne crois pas au «tout-télétravail». On l’a vu lors de cette crise, de nombreux salariés étaient demandeurs d’un retour sur leur lieu de travail après plusieurs semaines. Juridiquement parlant, le télétravail à long terme exige de mettre en place des procédures fiscales, des formalités, je ne sais pas si les pays concernés sont tous prêts à y consentir.