Changement de paradigme –Le recteur insiste sur l’apprentissage de compétences plutôt que de savoirs encyclopédiques. (Photo: Gaël Lesure)

Changement de paradigme –Le recteur insiste sur l’apprentissage de compétences plutôt que de savoirs encyclopédiques. (Photo: Gaël Lesure)

Stéphane Pallage fait sa deuxième rentrée académique au campus de Belval. Doté d’un outil de travail que d’aucuns lui envient, le recteur défend la vision d’une université connectée avec son époque. Et surtout avec son pays. Revue des priorités.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Si c’était à refaire, vous signeriez de nouveau pour cette mission au Luxembourg?

Stéphane Pallage. – «Oui. N’importe quand. Montréal me manque tout de même, mes enfants – qui sont adultes – sont restés là-bas. Mais le Luxembourg est un lieu d’accueil fabuleux et le défi est à la hauteur des attentes.

Une université jeune est-elle plus facile à gérer?

«Sa jeunesse est un très gros avantage. Il y a certes encore beaucoup de choses à bâtir, mais nous n’avons pas de lourd héritage ou de murs à abattre quand on veut changer quelque chose. Et les gens sont généralement spontanés et ouverts au changement.

Le départ de votre prédécesseur, Rainer Klump, s’est fait sur fond de polémique sur la gestion financière de l’Uni. Un épisode terminé?

«Les finances se portent bien. Nous les gérons de façon professionnelle avec la mise en place de différents outils. Ceux-ci nous aident à une prise de décision éclairée. Nous avons aussi mis en place un bureau de la statistique qui vient appuyer nos décisions.

C’est ce manque d’outils de mesure qui a entraîné des erreurs de gestion par le passé?

«Nous étions en quelque sorte une start-up. Mais nous avons grandi. Comme toutes les start-up qui se portent bien, nous avons grandi de façon un peu exponentielle. Nous devons nous assurer que les outils de gestion dont nous nous sommes dotés, en lien avec notre digitalisation, suivent notre croissance. Cette mise en place d’outils avait commencé avant mon arrivée, elle s’est poursuivie.

La recherche devient de plus en plus digitale. Il faut aussi éduquer nos étudiants afin qu’ils appréhendent la notion de digital literacy et la possèdent en sortant de l’université.
Stéphane Pallage

Stéphane Pallagerecteur de l’Université du Luxembourg (Campus Belval)

Pouvez-vous mener vos ambitions grâce aux 766,8 millions de dotation que vous accorde l’État pour la période 2018 à 2021?

«Nous suivons le plan stratégique défini en l’adaptant à l’évolution de nos activités. Nous arrivons en effet à réaliser nos ambitions dans le cadre budgétaire imparti. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas d’autres ambitions, car de grands défis se profilent à l’horizon, notamment dans le domaine de la digitalisation.

Que signifie la «digitalisation» pour l’Uni?

«La recherche devient de plus en plus digitale. Il faut aussi éduquer nos étudiants afin qu’ils appréhendent la notion de digital literacy et la possèdent en sortant de l’université. Le digital influe aussi sur la manière d’enseigner.

Heureusement, nous avons un modèle qui est plutôt nord-américain avec relativement peu de cours dans de grands auditoires à 500 personnes. On parle le plus souvent de classes d’une trentaine de personnes, ce qui facilite l’interaction avec le professeur, qui est pour nous essentielle.

Les outils digitaux permettent d’enseigner à distance, mais surtout de développer le peer learning entre étudiants dans des endroits comme la bibliothèque, le Luxembourg Learning Centre. Ils peuvent se connecter à distance avec d’autres étudiants, organiser une communication avec un chercheur à l’étranger… Ce peer learning va prendre de plus en plus de place dans l’éducation universitaire, en complément du blended learning, qui combine cours en classe et cours à distance.

Nous nous affichons comme un écosystème de recherche publique.
Stéphane Pallage

Stéphane Pallagerecteur de l’Université du Luxembourg (Campus Belval)

Le modèle de cours en amphithéâtre est-il voué à disparaître?

«Je ne sais pas s’il est voué à disparaître, mais il ne faut plus qu’il soit la norme. Avoir un ou deux cours dans un grand auditoire est certainement un atout dans un cursus, mais n’avoir que cela est assez déprimant.

Les têtes d’une majorité des organismes de l’écosystème de la recherche ont été renouvelées ces dernières années. Comment se passe votre collaboration?

«Il y a une très forte amitié entre nous, et le fait d’être situés sur un même site apporte beaucoup. Nous avons décidé de former une équipe baptisée Research Luxembourg, avec un branding adapté qui nous sert à nous présenter lors de missions ou visites à l’étranger. Nous nous affichons comme un écosystème de recherche publique. Ce qui a un grand impact dans le sens où nous représentons une masse critique assez phénoménale de chercheurs dans certains domaines.

Je pense à la physique via le List ou à l’aménagement du territoire avec le Liser. Belval nous offre par ailleurs une carte de visite formidable. Nos interlocuteurs à l’étranger n’en croient pas leurs yeux. Le site est magnifique et permet une interaction optimale avec tous les acteurs. C’est un vrai hub d’innovation.

L’Université a-t-elle l’ambition d’être plus visible sur le terrain national?

«Nous le sommes déjà dans certains domaines comme l’histoire, mais nous pourrions certainement l’être davantage dans d’autres. Un article scientifique publié dans Nature est très important, mais nous pourrions encore plus contribuer à faire avancer le pays en rendant son contenu accessible à un plus grand public sur le terrain local.

Les connaissances sont essentielles, mais il faut aussi posséder des compétences transversales dans d’autres domaines comme savoir faire un pitch, savoir travailler en équipe, savoir parler plusieurs langues.
Stéphane Pallage

Stéphane Pallagerecteur de l’Université du Luxembourg (Campus Belval)

Il est primordial que le grand public comprenne l’importance et les notions de la recherche fondamentale. C’est la recherche appliquée de demain.

Entre les filières mathématique ou scientifique pour appréhender la technologie et les filières littéraires pour se doter de compétences plutôt sociales, quelle voie suivre dans un monde digitalisé?

«Il faut un bon mix, surtout au niveau du bachelor. N’oublions pas les aspects éthiques liés à la technologie. La philosophie doit faire partie de la digital literacy. J’ai toujours parlé de compétences plutôt que de filières. Les connaissances sont essentielles, mais il faut aussi posséder des compétences transversales dans d’autres domaines comme savoir faire un pitch, savoir travailler en équipe, savoir parler plusieurs langues, y compris le langage informatique… Ce sont des éléments que l’Uni doit offrir.

Quel conseil donneriez-vous à un étudiant qui va entamer ses études supérieures?

«Je lui dirais tout d’abord qu’il fasse quelque chose qui le fait rêver. C’est fondamental. Il doit avoir de grandes ambitions, mais il doit aussi pouvoir se tromper, changer de voie. Rien n’est jamais vraiment perdu. Toutes les compétences acquises lui seront utiles à certains moments. Il devra avant tout avoir un esprit flexible.»