Où étiez-vous quand la pandémie liée au Covid-19 s’est déclarée? Quel a été votre rôle dans ce contexte?
Clément Villaume. – «Je n’occupais la fonction de directeur juridique au sein de Foyer que depuis quelques mois. Toutefois, j’évoluais déjà au sein du département quand le confinement s’est imposé. À ce moment, nous avons été amenés à assumer un rôle de co-acteurs de la gestion de crise. Du jour au lendemain, de nombreuses nouvelles questions, avec une incidence juridique importante, ont été soulevées. Elles étaient en lien avec nos produits d’assurance, nos relations avec nos fournisseurs ou nos locataires, ou encore vis-à-vis de l’encadrement du télétravail.
L’une des difficultés, au cœur de cette crise, résidait en outre dans la gestion de l’ensemble de l’équipe à distance. La préoccupation, à ce moment, était de garantir la sécurité des personnes. Du jour au lendemain, tout a changé, avec la nécessité de composer avec de nouvelles règles très évolutives, relatives au droit de sortir, de se rencontrer, aux distances à respecter entre les personnes. De façon générale, mais de manière plus intense en cas de crise, l’équipe juridique est là pour apporter un conseil, aider à comprendre les enjeux et supporter la prise de décision.
La pandémie semble aujourd’hui loin derrière nous. Avec le recul, quel impact a-t-elle eu sur vos métiers?
«Petit à petit, avec la levée des règles contraignantes, les équipes ont pu se retrouver au bureau. Cependant, beaucoup de choses avaient changé dans un laps de temps relativement court. L’organisation a considérablement évolué et, pour assurer le travail à distance, nous avons adopté de nouveaux outils – de nombreux processus avaient, en effet, été dématérialisés. Il a fallu également revenir à l’humain. Dans le domaine juridique, je reste convaincu qu’il est souvent plus aisé de gérer une problématique sans écrans interposés entre les personnes.
Cependant, de nombreux collaborateurs ont aspiré à préserver certains avantages du télétravail. Un retour au monde d’avant semble impossible…
«Oui. L’un des plus grands défis des métiers juridiques, dans cette ère post-pandémie, vise à accompagner l’évolution de l’organisation du travail, notamment par l’encadrement du télétravail. Les collaborateurs en particulier aspirent à davantage de flexibilité, dans les limites de ce qui est autorisé, notamment en raison des règles fiscales et sociales. Ces derniers mois, pour les travailleurs transfrontaliers, le cadre a été harmonisé, avec un seuil de tolérance fiscale fixé à 34 jours de travail prestés en dehors du Grand-Duché.
Pour le reste, c’est à l’employeur de déterminer ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Le télétravail ne constitue pas un droit, mais s’envisage selon des règles établies au sein de l’organisation. Notre rôle, encore une fois, est d’accompagner la prise de décision et de fixer le cadre déterminé par un ensemble d’outils juridiques, comme des politiques, des chartes opposables aux salariés, ou encore des clauses contractuelles.
Si l’on est autorisé à prester à distance, cela doit se faire à domicile, dans un espace propice – et non dans sa voiture, par exemple.
Dans l’établissement de ces règles, à quels éléments faut-il être particulièrement vigilant?
«L’employeur, par exemple, est garant de la sécurité de ses collaborateurs dans l’exercice de leurs fonctions. Il est toutefois difficile de veiller à la sécurité de chacun à domicile. Dès lors, il est important de déterminer le cadre dans une charte qui fixe les règles du télétravail. Si l’on est autorisé à prester à distance, cela doit se faire à domicile, dans un espace propice – et non dans sa voiture, par exemple. En tant qu’employeur, par ailleurs, nous veillons à fournir le matériel permettant de travailler dans des conditions de confort optimales, avec, par exemple, la mise à disposition d’un écran de taille adaptée. La notion du droit à la déconnexion a aussi émergé dans cette ère post-pandémie.
Alors que le travailleur demande plus de flexibilité, comment veiller à assurer ce droit à la déconnexion?
«Il faut veiller à ce que l’employé, en dehors de ses heures de travail, puisse se déconnecter des outils numériques. Dès lors, la flexibilité accordée doit être encadrée, pour notamment éviter qu’un collègue soit sollicité en dehors de son temps de travail. L’enjeu dépasse, cependant, l’unique droit à la déconnexion. Il s’agit avant tout de garantir que les uns et les autres travaillent ensemble et puissent continuer à répondre aux impératifs ‘métier’. Des limites doivent être posées et le cadre qui autorise cette flexibilité ne peut pas être généralisé. On imagine mal, dans un secteur d’activité qui accueille de la clientèle, que les horaires de travail d’un collaborateur soient en décalage avec les heures d’ouverture. L’un des autres enjeux majeurs réside dans la sécurisation des informations dans un cadre ouvert.
En quoi la pandémie a-t-elle changé la donne?
«Pour travailler à distance, il a fallu adopter de nouveaux outils numériques, ouvrir notre réseau, afin de permettre aux collaborateurs de se connecter aux applications nécessaires à la bonne exécution de leurs missions. La préservation de la confidentialité des données était évidemment beaucoup plus facile à assurer quand les collaborateurs ne pouvaient y accéder que depuis leur bureau. Dans ce contexte, de nouvelles mesures ont dû être prises. Cela passe par la sensibilisation des employés, mais aussi par des limitation d’accès à certains outils ou à certaines données quand on est à distance.
Notre rôle est d’accompagner le déploiement et la mise à disposition des outils, pour s’assurer que la confidentialité des données et leur intégrité soient bien préservées.
Notre rôle, en tant que fonction juridique, est d’accompagner le déploiement et la mise à disposition des outils, pour s’assurer que la confidentialité des données et leur intégrité soient bien préservées. Les cyber-risques, d’autre part, ont sensiblement augmenté au cours des derniers mois, les cybercriminels n’hésitant pas à abuser de ces changements pour tenter de corrompre les systèmes d’information. Bien que les enjeux de sécurité ne soient pas nouveaux, il faut s’adapter en fonction de l’évolution de la menace.
L’environnement informatique a aussi considérablement changé, avec un recours plus important à des solutions basées sur le cloud. Qu’est-ce que cela implique dans vos relations avec vos fournisseurs de services?
«En effet, le travail à distance, mais plus généralement l’évolution technologique, nous incite à adopter des solutions cloud. Dans un secteur régulé comme le nôtre, cela soulève aussi d’importantes questions juridiques, liées à la protection des données ou encore au secret professionnel, qui doivent trouver des réponses dans les relations contractuelles que nous entretenons avec nos partenaires, fournisseurs de services ou de solutions. Encore une fois, en la matière, c’est une question de contexte. Si les outils de collaboration, comme les solutions de visioconférence, s’appuient sur le cloud, les serveurs mail ne doivent pas forcément être déployés sur une plateforme externe.
Le recours aux outils cloud va aussi dépendre de l’utilisation qui en est faite. S’il s’agit d’une activité qui relève de notre cœur de métier, impliquant des données relatives à nos clients, par exemple, il faudra être particulièrement vigilants et, le cas échéant, restreindre l’accès à ces outils. En revanche, pour des fonctions de support, comme le marketing ou la communication, le recours à des solutions cloud peut s’envisager différemment.
Dans ce monde post-pandémie, comment évolue la relation avec le client?
«La digitalisation des services avait été engagée avant la crise sanitaire, bien que les choses se soient accélérées depuis lors. Aujourd’hui, beaucoup d’opérations peuvent être effectuées au départ d’un espace client sécurisé, dans lequel chaque bénéficiaire d’une couverture d’assurance peut retrouver les informations le concernant, comme ses contrats et ses factures, ou entrer en contact avec l’entreprise. Cependant, la digitalisation n’a de sens que si elle apporte une valeur ajoutée au client. Elle ne remplace pas l’humain, particulièrement dans nos métiers, dans ces moments où nous devons soutenir notre clientèle.
En effet, lorsqu’ils font face à une situation de détresse, à la suite d’un incendie ou d’une inondation, par exemple, les clients ont besoin de ce contact humain porté par nos agents. La digitalisation s’accélère surtout au niveau des processus, du back-office, des traitements. Ces transformations, cependant, n’impliquent pas forcément de faire évoluer la relation contractuelle avec le client.
La situation étant inédite, la fonction juridique a été mobilisée pour apporter les bonnes réponses.
La pandémie a-t-elle eu un impact sur le rapport au risque? Au niveau de vos clauses contractuelles, des adaptations ont-elles dû être apportées pour exclure ou inclure ce type de risque?
«Certains risques de masse, comme les pandémies ou les accidents nucléaires, sont extrêmement difficiles à assurer. Avant la crise, la pandémie n’était pas envisagée dans les plans de risque des organisations, mais elle est désormais mieux comprise. Cela ne signifie pas pour autant que nous devions intégrer une multitude de clauses spécifiques dans nos contrats. Notre rôle consiste avant tout à définir clairement ce qui est couvert et ce qui ne l’est pas. Le risque pandémique, par exemple, n’était pas couvert avant la crise et ne l’est toujours pas. Par ailleurs, face à des événements aussi globaux, qui touchent tout le monde de manière simultanée, il est difficile de concevoir des produits qui puissent réellement répondre aux risques qui en découlent.
Au début de cet entretien, vous évoquiez le fait que la pandémie a soulevé de nombreuses interrogations juridiques liées aux couvertures proposées. Quelle était la nature de ces questions?
«Par exemple, de nombreuses questions liées à l’assurance voyage nous ont été posées au moment où tous les déplacements ont été purement et simplement annulés. La situation étant inédite, la fonction juridique a été mobilisée pour apporter les bonnes réponses, trouver des solutions. D’autres cas intéressants ont été soulevés durant cette période particulière, vis-à-vis de fournisseurs, de prestataires de services, ou encore de locataires. Au niveau juridique, la notion de ‘cas de force majeure’, qui peut être incluse dans des contrats, a été évoquée et questionnée, afin de pouvoir apporter des réponses à chaque situation.
En quoi cet épisode pandémique a-t-il fait évoluer le regard que l’on porte sur les métiers juridiques?
«De cette crise et des événements qui lui ont succédé, on retient que l’on ne peut pas tout prévoir. Si notre rôle est d’éviter d’exposer l’entreprise à des imprévus, de les limiter autant que possible et d’anticiper certaines situations, il y aura toujours des événements imprévisibles. Nous vivons dans un monde où les incertitudes sont nombreuses. À nous de trouver les moyens d’y faire face. Le regard que l’on porte sur les métiers juridiques, en outre, évolue fortement d’une entreprise à l’autre. En ce qui nous concerne, le risque juridique est au cœur de l’activité. Notre rôle consiste également à sécuriser tous les contrats d’assurance, aussi bien pour la société que pour le client.»
Des législations qui pèsent
Le monde de l’assurance doit aussi faire face à de nombreuses exigences réglementaires. Ce qui, comme le pointait , président du conseil d’administration de Foyer dans le rapport d’activité 2023, constitue un défi de taille. «Poursuivant des objectifs légitimes, les nouvelles législations foisonnent, souvent imprécises et éloignées des réalités opérationnelles», expliquait-il. «Excédant les ressources des organes de contrôle, elles surchargent les entreprises d’obligations de reporting toujours plus nombreuses et complexes. En plus de créer des charges administratives disproportionnées, elles suscitent des coûts toujours croissants finalement portés à la charge des clients. Les textes et les directives des organes de contrôle se gardant d’édicter des mesures pratiques de mise en œuvre, des entreprises peuvent se montrer excessivement prudentes, au risque de dégrader le service dû à leurs clients. Je forme l’espoir que les organes compétents en prennent conscience.»
Épidémie vs pandémie
Dans le domaine de l’assurance, l’activation d’une couverture dépend d’abord de la cause, et parfois un peu de la sémantique. Une assurance annulation voyage pourra, par exemple, être activée si le bénéficiaire est effectivement malade. Cependant, si les vols sont annulés pour des mesures visant à prévenir la propagation d’un virus, ce ne sera pas forcément le cas. En France, lors de la crise sanitaire, on a aussi pu voir qu’épidémie – qui, dans le cadre de certaines couvertures, pouvait donner lieu à des indemnités pour pertes d’exploitation – n’équivalait pas à pandémie…
Cet article a été rédigé pour de l’édition de parue le 23 octobre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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